« Vous pouvez parfaitement combiner les affaires et l’amour et obtenir, en définitive, un formidable résultat. »
MURIEL STERLING,
Savoir mêler les affaires et la joie de vivre :
Comment équilibrer avec succès les affaires et l’amour
— Pat, je ne te remercierai jamais assez de m’apporter ton aide.
C’était ainsi que, pleine de reconnaissance, Muriel s’adressa à son amie tandis que toutes deux œuvraient laborieusement dans la jungle des documents administratifs, factures et relevés de banque qui encombraient le bureau de Waldo.
Toutes cette paperasserie lui était apparue si accablante, tout comme le livre de comptes que lui avait remis Pat. Déductions fiscales, refinancement, taux hypothécaires, intérêts composés (elle était censée comprendre ce tableau ? Vraiment ?)… Autant de notions barbares dénuées de tout intérêt à ses yeux. Elle ne parlait pas cette langue. C’étaient… des mathématiques ! Pourtant, ce livre avait servi à quelque chose : la lecture de quelques pages lui avait suffi pour s’endormir le soir d’un sommeil profond. Plus efficace qu’un somnifère.
Cependant, ça ne l’aidait pas précisément à assainir ses finances. Elle avait donc passé un appel de détresse à Pat, qui avait débarqué, munie de sa calculatrice, et les deux femmes étaient maintenant sur le point de s’attaquer aux factures.
— Je n’ai pas la moindre idée de la façon dont je vais réussir à tenir, avec ce dont je dispose, confessa Muriel à son amie.
Elle secoua la tête avant de poursuivre :
— Toutes ces factures… C’est humiliant ! Je dois être une idiote savante. La seule chose dont je suis capable, c’est d’écrire.
Pourquoi n’avait-elle pas persisté à s’impliquer plus activement dans la gestion, du vivant de Stephen ? Ou même de Waldo ? Après la disparition de Stephen, elle aurait dû s’y plonger et prendre en charge tout ce qui devait l’être.
Mais il y avait tellement de choses à gérer : montagnes de formalités à remplir, factures à trier… Elle avait multiplié les chèques sans provision. Elle ne comptait plus les soirs où Arnie était venu éplucher son relevé bancaire et arranger le dernier imbroglio, en essayant de lui expliquer où elle s’était trompée. « Tenez, Muriel. Vous n’avez qu’à établir ce chèque à l’ordre de la compagnie d’eau et d’électricité PUD 1 pour un montant de quatre-vingt-douze dollars. »
Elle continuait à émettre des chèques en bois quand elle avait rencontré Waldo, et c’était avec grand plaisir qu’elle lui avait transmis le flambeau. « Ne t’inquiète pas, ma chérie. Je vais m’occuper de ces factures. Toi, tu n’as qu’à écrire. » A considérer les événements rétrospectivement, elle prenait conscience d’avoir été une sorte d’analphabète, qui ne possédait pas les compétences nécessaires pour lire, mais trouvait systématiquement des parades lui permettant de contourner sa lacune.
Pat l’encouragea :
— Tu vas finir par attraper le coup. Pour le moment, travaillons avec les fonds dont tu disposes, et voyons comment les répartir.
Deux heures plus tard, elles avaient recensé, sous forme de feuille de calcul, les dépenses de Muriel. Les décaissements étaient incontestablement supérieurs aux encaissements. Même Muriel pouvait en faire le constat. Il lui faudrait se défaire de la BMW de Waldo avant sa saisie, et mettre sans tarder la maison en vente. Il n’y avait là rien de surprenant. Elle aurait tout de même souhaité bénéficier d’un peu plus de temps pour se remettre d’aplomb.
Voyant son amie perdue dans ses pensées, Pat reprit la parole :
— Il ne te restera probablement pas beaucoup d’argent, mais en fin de compte tu devrais en dégager suffisamment pour te tirer d’embarras jusqu’à ce que tu termines ton prochain livre.
Y aurait-il jamais un prochain livre ?
Vendre la maison constituait une difficulté émotionnelle suffisamment importante, pour l’instant. Une étape à la fois, songea-t-elle en appelant l’agence immobilière Mountain Meadows Real Estate, afin de fixer un rendez-vous avec un agent.
La conversation se révéla positive, si bien qu’après avoir raccroché elle eut le sentiment de s’engager dans la bonne direction. Désormais, elle avait un projet et une feuille de calcul, et c’était encourageant. Elle avait l’impression de tout pouvoir maîtriser. Ah, Stephen, tu ne m’en aurais jamais crue capable, n’est-ce pas ? Or, on dirait bien que je le suis.
Et si elle était capable d’affronter la tâche ingrate de gérer l’argent, nul doute qu’elle était également capable de contribuer à mettre sur pied un festival du chocolat.
* * *
Chargée de deux valises et d’un bagage à main, Bailey arriva à l’aéroport de Seattle-Tacoma le mercredi précédant le week-end du festival, dans la matinée.
— Me voilà ! Que la partie commence !
Sur cette exclamation, elle tomba dans les bras de Samantha. Et cela au sens littéral du terme. En effet, comme elle ne regardait pas où elle allait, elle trébucha sur le bagage d’un autre passager.
Samantha fit remarquer en la redressant :
— Tu as apporté toute ta garde-robe…
Bailey repoussa de son visage ses boucles couleur châtaine.
— Tous ces trucs serviront pour le dîner et le goûter au chocolat de l’après-midi, Samantha. J’ai déniché toutes sortes d’éléments de décoration dans un magasin de babioles à un dollar. Je sais bien que les affaires ne vont pas bien, mais peut-être pourriez-vous me rembourser ? Je vais être un peu à court d’argent, d’ici ma prochaine prestation de traiteur.
Bailey était « un peu à court d’argent » depuis ses douze ans. A l’instar de leur mère, les chiffres étaient sa bête noire. Samantha redoutait déjà la facture : même dans ce type de magasin, elle soupçonnait sa sœur de pouvoir dépenser des sommes exorbitantes.
En prenant un bagage, Samantha répliqua :
— Donne-moi le reçu et nous te rembourserons.
Tant bien que mal… Avec tous les achats à réaliser pour les différents événements prévus, les dépenses ne cessaient d’augmenter et, à ce rythme, elle serait obligée de rembourser Bailey avec des pièces en chocolat enveloppées de papier d’or et d’argent.
S’emparant de l’autre bagage, Cecily intervint :
— J’ai vraiment hâte de voir ça.
Du coup, se retrouvant à ne porter que son bagage à main, Bailey donna le bras à sa sœur aînée.
— On va tellement s’amuser !
S’amuser, c’était le code de Bailey. Même lancer son affaire de traiteur avait davantage relevé du divertissement que d’un véritable travail, avec leur père qui la soutenait généreusement sur le plan financier. Pour autant, Samantha n’éprouvait aucune jalousie. Elle n’aurait pour rien au monde échangé son expérience chez Sweet Dreams. Elle avait gravi les échelons, depuis la vente de friandises à la boutique jusqu’au développement de l’entreprise, et il y avait de quoi être fière de ce parcours.
Après avoir approuvé Bailey, Cecily ajouta, en évoquant le récent glissement de terrain :
— On va effectivement s’amuser, maintenant que la crise est conjurée.
L’une des crises, en tout cas. Car elles avaient encore besoin d’argent. Mais, grâce à une nouvelle annonce parue dans le journal de Seattle, invitant les touristes à s’aventurer sur la route du col qui menait à Icicle Falls, ainsi qu’à l’émission télévisée Northwest Now, elles allaient, semblait-il, juguler la panique initiale. Les Bed & Breakfast recommençaient à enregistrer des réservations et les commerçants étaient pleins d’espoir. La ville tout entière avait travaillé sans relâche pour agencer tout ça en un temps record, et les visiteurs ne pourraient que tomber sous le charme d’Icicle Falls, et évidemment, des chocolats Sweet Dreams.
Malgré tout, Samantha n’aurait pas l’esprit tranquille tant que le week-end ne serait pas passé. Elle se donnait l’impression d’un jongleur essayant de maintenir en l’air une douzaine de torches enflammées, tout en se livrant à une gigue irlandaise sur un fil tendu en hauteur. En talons. Elle s’était rongé les ongles quasiment jusqu’au sang et avait pris près de trois kilos à force de grignoter du chocolat, mais si le festival s’avérait une réussite, cela vaudrait tous les moments de stress et tous les kilos supplémentaires.
— J’ai la meilleure recette de dessert au monde pour le dîner tout chocolat, dit Bailey : un diplomate de truffes de chocolat, confectionné avec nos chocolats, cela va sans dire.
— Ça a un côté délicieusement décadent, fit remarquer Cecily. Ça tiendra du miracle si nous ne mourons pas tous d’une overdose de chocolat ce week-end !
Samantha s’identifiait très bien à ce présage, elle qui était déjà à mi-parcours. Existait-il une association comme « les Choco-addicts anonymes » ? Si c’était le cas, il allait falloir qu’elle en devienne membre.
— Ah, au fait, poursuivit Bailey, j’ai une autre bonne nouvelle à vous annoncer, la meilleure de toutes, incontestablement…
— Tu as trouvé un millionnaire qui désire nous fournir des fonds, ironisa Samantha. Si seulement !
— C’est presque aussi bien. Dimanche, j’ai assuré des prestations de traiteur dans le cadre d’une réception pour une future maman, et devinez qui j’ai rencontré ?
Se faisant plus sarcastique, Samantha répliqua :
— Mimi LeGrande.
Cecily était parvenue à obtenir le nom du producteur de Mimi, mais ses e-mails étaient demeurés sans réponse.
— J’ai rencontré la cousine de son producteur ! s’exclama Bailey, triomphante. Je l’ai prévenue que je lui apporterais quelques échantillons après le festival.
Samantha regarda fixement sa sœur, médusée, à peine capable d’en croire ses oreilles.
— Oh… mon Dieu ! dit Cecily. Chapeau, Bailey !
— Tu peux répéter ça ? demanda Samantha, au comble de la stupéfaction.
Passer par le truchement de l’ami d’un ami était toujours incertain, mais, en l’occurrence, ce moyen-là valait largement la chandelle. Le festival constituait un galop d’essai, et elles avaient une opportunité de contact avec Mimi LeGrande. Comme se plaisait à le répéter leur mère : « Tout vient à point à qui sait attendre. » Apparemment, elle avait raison.
Elles reprirent la voiture pour quitter l’aéroport, Bailey continuant de bavarder avec entrain et Samantha, attentive à la route, voyant se profiler un avenir comblé de succès.
* * *
C’était bon de voir leur mère s’intéresser de nouveau à la vie, songea Cecily en se rendant au bureau pour vérifier le contenu des coffrets-cadeaux du concours de Monsieur Idéal. Elle avait laissé leur mère discuter recettes avec Bailey. Du reste, celles-ci étaient tellement absorbées qu’elles avaient à peine prêté attention à son départ. Certes, un voile de tristesse subsistait dans le regard de Muriel, et elle s’éclipsait encore souvent pour aller se coucher de bonne heure, mais, son deuil étant très récent, c’était compréhensible. En réalité, compte tenu des nombreuses épreuves qu’elle venait de traverser, Cecily était impressionnée par sa force d’âme.
Quel effet cela faisait-il, d’avoir successivement deux compagnons dévoués à son côté, et de les perdre l’un et l’autre ? Cecily ne parvenait pas à l’imaginer. Du reste, elle n’imaginait même pas la présence d’un seul homme attentif et délicat à son côté.
Pourtant, les hommes de cette espèce existaient. Elle en avait marié quelques-uns, dans sa brève carrière de conseillère en rencontres. Mais, selon toute évidence, ils étaient extrêmement rares.
Elle arriva à Sweet Dreams en même temps que Luke Goodman, qui s’avançait de l’autre côté de la rue. Luke Goodman… Lui faisait partie des hommes bien. Cet homme était solide comme une forteresse.
Luke s’empressa de la saluer.
— Bonjour, Cecily, vos coffrets-cadeaux sont prêts. Vous désirez y jeter un œil ?
Tout en lui emboîtant le pas dans l’entrepôt, elle répondit :
— C’est justement pour ça que je suis là.
Marcher derrière Luke Goodman revenait à marcher à l’abri d’un rempart. Une femme pouvait se sentir en sécurité, avec un homme tel que lui.
Connaissait-elle une femme qui lui correspondrait ?
Tu n’es plus dans le métier, que je sache, se sermonna-t-elle.
Quand même, les vieilles habitudes avaient la vie dure. Bailey, peut-être ? Mais non, Luke avait beau être très gentil avec elle, Cecily ne voyait pas sa petite sœur avec cet homme-là. Bailey était encore trop enfant, et Luke en avait déjà une à élever.
— Dommage que vous ne soyez pas passée une heure plus tôt, fit remarquer Luke. Je vous aurais demandé de m’aider pour un achat.
— Ah ? Quel genre d’achat ?
— Une robe, répondit-il en tâchant de conserver un air impassible.
— Ce doit être difficile d’en dénicher une à votre taille.
— Pour Serena, répliqua-t-il avec un sourire. Je devais donner mon avis d’expert. Ma mère l’avait emmenée chez Gilded Lily’s pour en trouver une pour le goûter de l’après-midi, et elles en avaient sélectionné deux.
Faire les boutiques, cela faisait partie des plaisirs qu’il y avait à élever une petite fille. Fillettes, bébés… Cecily prit subitement conscience du tic-tac à peine perceptible à l’arrière de son cerveau.
Elle s’empara mentalement d’un marteau imaginaire pour affronter la coupable : une horloge biologique qui égrenait le temps, ça n’était pas une raison suffisante pour se jeter dans une relation. Plus de nos jours. Biologie et culture ne s’assortissaient pas toujours harmonieusement. D’ailleurs, le taux de divorces élevé en témoignait. Manifestement, les gens se mettaient rarement en couple avec l’idée de rester ensemble leur vie durant.
Même Icicle Falls n’était pas épargnée par le démon de midi. Elle pensait notamment à Cass Wilkes et Charlene Albach, toutes deux des femmes extraordinaires qui auraient dû vivre au Pays des jours heureux. Par ailleurs, elle avait entendu dire que son amie d’enfance, Ella O’Brien, qui tenait le Gilded Lily’s, le commerce de sa mère, avait des problèmes. Elle espérait que ces rumeurs n’étaient pas fondées.
Ella et Jake étaient ensemble depuis le lycée : il s’agissait, en fait, de la première union réussie inscrite au palmarès de Cecily. Ella n’avait rien laissé entendre lorsqu’elles avaient déjeuné ensemble, quelques semaines auparavant. Mais elles ne s’étaient pas vues depuis cinq ans, et ce n’était certainement pas le genre d’information qu’on divulgue lors de retrouvailles avec une amie de longue date, en particulier si c’est elle qui a scellé votre rencontre avec votre mari.
Cecily et Luke se trouvaient à présent dans l’entrepôt. Elle esquissa un sourire à la vue de tous les stocks qui s’accumulaient. Ce week-end, la ville allait connaître une véritable avalanche de chocolats. Frissonnant autant de froid que d’excitation, Cecily se frotta les bras l’un contre l’autre. Luke ôta alors son blouson de cuir pour lui en recouvrir les épaules — points supplémentaires au titre d’homme parfait pour Luke Goodman —, puis il la conduisit vers un lot de cartons empilés dans un coin.
Après en avoir ouvert un, il en sortit une petite boîte de couleur rose ornée d’un ruban d’or, et fermée par la fameuse petite médaille dorée marquée au logo de la chocolaterie : un croissant de lune aux traits féminins endormi, doté de longs cils et souriant. Il s’agissait d’un coffret contenant un assortiment de quatre saveurs, les quatre variétés de chocolats les plus appréciées par la clientèle : caramel salé, truffe de crème de citron enrobée de chocolat blanc, truffe au chocolat noir cœur ganache chocolat et, enfin, chocolat-menthe.
Luke la tendit à Cecily pour qu’elle l’examine.
— Impeccable, déclara celle-ci, satisfaite.
— Je suppose qu’il va y avoir foule, à votre concours, lui dit-il en jetant un œil aux cartons.
— Nous affichons complet, répondit-elle avec fierté.
Samantha avait regimbé à cette idée, mais, à présent, Cecily buvait secrètement du petit-lait à l’idée d’avoir fait la preuve que sa sœur aînée ne savait pas tout sur tout. Toutes les personnes avec lesquelles elle avait discuté étaient enthousiasmées par cet événement. En fait, tout le monde débordait d’enthousiasme, et elle se félicitait de l’effervescence qui s’était d’ores et déjà emparée de la ville à l’approche du festival. Assurer la promotion du chocolat constituait une tâche nettement plus agréable que favoriser des rencontres pour des clients ingrats.
Au moment où Cecily reposait le coffret dans le carton, Luke prédit :
— Ces coffrets devraient faire un tabac. Vous me raconterez quel accueil ils auront reçu.
— Vous ne viendrez pas le voir par vous-même ? demanda Cecily, surprise. Ce sera un sacré spectacle.
— Ça ne m’intéresse pas. Mais ma mère essaie de me convaincre d’aller au bal. Pour soutenir l’entreprise.
— Vous devriez, prince charmant. Peut-être y trouverez-vous une princesse.
Il s’appuya contre le mur et la regarda d’un air songeur.
— Est-ce réellement ce que vous pensez ?
Oh là… Elle venait de l’induire en erreur. Elle reprit aussitôt, sur un ton léger :
— Eh bien, on ne sait jamais… Je pourrais mettre une fois encore mon chapeau de conseillère en rencontres, pour voir si j’arrive à la trouver pour vous.
— Est-ce ainsi que ça a marché pour le prince charmant ?
— Eh bien, oui, d’une certaine manière : n’oubliez pas la fée marraine.
Il secoua la tête pour signifier qu’il n’était pas de cet avis et objecta :
— Elle n’a fourni que les vêtements et l’équipage. Ce sont eux deux qui ont apporté la magie. Un peu comme dans la vraie vie.
Cecily pointa un doigt faussement accusateur vers lui.
— Vous êtes un romantique.
Il haussa les épaules.
— Il n’y a rien de mal à cela. Je crois à la magie.
Elle y avait cru, elle aussi, mais la magie n’avait jamais duré.
Luke lui donna alors une pichenette sur le nez et lança en guise de conclusion :
— Quoi qu’il en soit, sait-on jamais ce qui peut arriver à un bal ? Quand on fait preuve d’ouverture d’esprit…
— Je m’en souviendrai, répondit-elle.
Comme elle quittait l’entrepôt pour regagner le bureau, elle prit conscience qu’elle était envahie par une onde de bien-être et de joie, comme si quelques onces de la magie évoquée avaient investi le doigt de Luke lorsqu’il l’avait touchée. C’est un homme charmant, se dit-elle à part elle. Et quelle femme sensée ne voudrait pas d’un homme charmant ?
De retour au bureau, elle tomba sur Jonathan Templar qui s’apprêtait à partir.
— Cet homme mérite une médaille, lui dit Elena. Une fois de plus, il vient de nous sauver.
Leur héros du disque dur rajusta ses lunettes sur son nez avant de tempérer ces propos :
— C’est légèrement exagéré.
— Non, non, insista Elena. Ce n’est pas exagéré, croyez-moi. Vous êtes le roi de l’ordinateur.
En remontant la fermeture Eclair de son blouson, il confirma dans un sourire :
— C’est tout à fait moi.
Puis Elena demanda à Cecily :
— Alors, que nous vaut votre présence ici, chica ?
— J’ai un petit travail à faire concernant le concours de Monsieur Idéal, lui expliqua Cecily.
A ces mots, une ombre de mécontentement vint assombrir le visage de Jonathan. Il se hâta de la dissimuler, sans être toutefois assez rapide.
Du coup, Cecily saisit l’occasion pour le taquiner :
— Je crois que Jonathan désapprouve notre concours.
— Mais non, du moment que ça rapporte de l’argent, lui répondit-il, jouant la carte diplomatique.
— Mais ce n’est pas digne de vous, je me trompe ?
— Je ne suis pas exactement le matériau dont on fait un Monsieur Idéal, répliqua Jonathan.
En le regardant d’un œil attentif, Elena intervint à son tour :
— Ah, je n’en suis pas si sûre… Les lunettes en moins, un peu de sport… Vous avez du potentiel. N’est-ce pas ?
— Absolument, approuva Cecily.
A présent, le visage de Jonathan s’empourprait.
— Euh… il faut que j’y aille. Bonne journée à vous.
Sur quoi, il quitta la pièce.
— Pauvre Jonathan, commenta Cecily. Nous l’avons placé dans une position embarrassante.
— Il doit renforcer son estime de lui-même, fit remarquer Elena. Vous devriez lui trouver quelqu’un.
— J’ai abandonné cette activité. De toute façon, il ne veut qu’une seule femme, et c’est Lisa Castle.
— Celle-là…, répliqua Elena avec un grommellement écœuré. Il ne l’aura jamais. Pour quelle raison tant d’hommes convoitent-ils les femmes qui ne les voient même pas ?
— Loyauté mal placée ? Inconscience ? Qui sait ? C’est encore un des mystères de l’amour.
Et pourquoi tant de femmes étaient-elles attirées par le mauvais type d’hommes ? Si elle était à même de résoudre cette énigme, sa propre vie amoureuse prendrait enfin son envol.
Cecily s’installa en soupirant au bureau libre et s’attela à finaliser les derniers détails pour le concours de Monsieur Idéal. Cette tâche accomplie, elle consulta ses courriels.
Avant de partir avec Samantha récupérer Bailey, elle avait envoyé à tous les candidats une notification leur rappelant le déroulement prévu de la soirée à la salle des fêtes. La plupart lui avaient répondu de bon cœur.
Bill Will avait écrit :
Tenez la couronne prête ! Et que diriez-vous de m’accompagner pour une sortie kayak, une fois que j’aurai été sacré vainqueur ?
Ce sacré Bill, la confiance en soi incarnée… Néanmoins, il aurait à affronter une concurrence sévère. Figuraient effectivement, parmi les inscrits, un certain nombre de beaux gosses.
Aussitôt, l’image de Todd Black surgit à son esprit. Avec son visage de pirate au teint basané, gagner le concours, c’était du tout cuit pour lui. Quel hypocrite, quand même… S’inscrire après s’être copieusement moqué d’elle ! Les prix proposés étaient manifestement trop tentants pour qu’il y résiste.
Et quand on parlait du loup… Elle avait maintenant sous les yeux un courriel du pirate en personne.
Je ne me suis pas inscrit.
Elle lui retourna un message.
Vraiment ? J’ai votre photo et votre formulaire d’inscription ici même au bureau. Vous avez failli dépasser la date limite.
Quelques secondes plus tard, la sonnerie du téléphone retentissait. Elena avertit Cecily :
— Todd Black pour vous sur la une.
Sans lui laisser le temps de dire bonjour, ce dernier entra d’emblée dans le vif du sujet :
— O.K., vous vous êtes bien amusée.
Autant son entrevue avec Luke l’avait laissée emplie d’une douce chaleur, autant son bref échange avec Todd Black lui faisait l’effet d’avoir avalé un cierge magique allumé… Essayant d’étouffer ce feu d’étincelles en gardant fermement à l’esprit que Todd Black était un cynique, elle réussit à expliquer :
— Quelqu’un vous a bien inscrit à notre concours. Photo sympathique, au demeurant. Vous avez l’air d’un vrai pro du ski, dessus.
— J’en suis effectivement un.
— Bon choix, dans ce cas-là.
— Ce n’est pas moi qui l’ai envoyée.
— Qui, alors ? L’une de vos petites amies ?
— Comment pourrais-je bien le savoir ? La photo figurait sur ma page d’accueil Facebook. N’importe qui aurait pu l’imprimer. C’est vraisemblablement une idée de mon barman pour me faire une mauvaise blague.
Ainsi donc, son concours était une « mauvaise blague ».
— Une fichue blague, oui. Il a quand même versé les vingt-cinq dollars d’inscription.
— Gardez l’argent, mais désinscrivez-moi. Je n’irai pas me pavaner en caleçon devant une horde de femmes surexcitées.
— Entendu. De toute façon, personne n’a envie de vous voir en caleçon.
L’image de Todd Black portant un caleçon à motifs de cœurs de la Saint-Valentin clignota devant les yeux de Cecily. Todd n’était pas un rempart en mouvement comme Luke, mais c’était un vrai mâle, et elle n’avait aucune difficulté à visualiser ses abdos en béton et ses pectoraux magnifiquement sculptés, éventuellement ombrés de poils bruns. Plus de cierges magiques dans sa poitrine, maintenant. Ils avaient cédé la place à des fusées.
Se piquant au jeu, Todd Black répliqua d’un ton doucereux :
— Je pense néanmoins à plusieurs femmes que ça pourrait intéresser. D’ailleurs, je donne des spectacles en privé.
Une nouvelle fusée explosa.
— Merci pour l’information. Si je croise une bimbo décérébrée, je vous l’adresserai.
Il raccrocha en éclatant de rire :
— Ha, ha, ha !
— Oh… très original.
Seule la tonalité du téléphone lui fit écho. Elle raccrocha à son tour, un peu plus brusquement que nécessaire. Elle se rendit compte alors qu’Elena se tenait de l’autre côté de son bureau, affichant une expression de madame Je-sais-tout.
Agacée, Cecily demanda :
— Nada, répliqua Elena d’un air insouciant.
Cecily reprit en marmonnant :
— Nada, c’est exactement ça.
Es-ce qu’il faisait chaud, dans la pièce ?