24

Dès le milieu de la matinée, Samantha avait trois nouveaux produits à ajouter au catalogue de Sweet Dreams. Elle était tout excitée, et pas seulement à cause du sucre : Elle avait réussi. Elle l’avait fait : elle avait inventé en rêve de nouveaux chocolats, exactement comme son arrière-grand-mère Rose.

Son mobile sonna. C’était Cecily.

— Je viens de faire un gros versement.

Gros, c’était le qualificatif qui convenait : le chiffre que Cecily lui annonça était impressionnant. Pas assez important pour rembourser intégralement la banque, mais certainement assez pour impressionner Blake. Oh, quelle magnifique matinée !

Samantha, quant à elle, exultait :

— Et moi, je viens d’inventer trois nouveaux chocolats.

— Sérieusement ?

— Sérieusement. Je file sous la douche, puis je vous retrouve chez maman pour que nous puissions les goûter ensemble.

— Je préviens Bailey. Elle s’apprêtait à partir chez Olivia pour le thé.

Une occasion de s’extasier devant Brandon. Cecily avait appelé juste à temps.

Elle empaqueta soigneusement les échantillons de ses nouvelles créations, puis se souvint d’appeler le bureau pour prévenir Elena qu’elle ne viendrait qu’après le déjeuner.

— Vous feriez bien, lui dit Elena. Enormément de gens ont appelé ce matin pour parler du festival. J’ai mal à l’oreille et je n’arrive pas à venir à bout du moindre travail.

— Vous êtes une perle. Ai-je pensé à vous le dire, ces derniers temps ?

Lorsque Elena répondit, Samantha put entendre à sa voix qu’elle souriait.

— Non, mais je le sais déjà.

— Allez donc vous chercher quelques caramels et faites une pause, suggéra Samantha.

Mais elle se reprit aussitôt :

— Ou plutôt, attendez… Gardez vos papilles intactes. Je vais vous apporter des nouveautés, tout à l’heure.

A présent, Elena était intriguée.

— Des nouveautés ?

— Nous avons de nouvelles recettes, annonça fièrement Samantha.

Dont une, peut-être, qui les rendrait célèbres.

— Alors pourquoi perdez-vous votre temps à me parler au téléphone ? Dépêchez-vous d’arriver.

Samantha souriait quand elle coupa la communication. Elle allait créer un véritable buzz, avec ça.

Chez Muriel, ses sœurs et sa mère l’attendaient impatiemment.

Samantha ouvrit la petite boîte, et Bailey s’écria :

— Oh… C’est si excitant !

Leur mère, quant à elle, fit remarquer avec respect :

— Ils sont très jolis.

C’était bien vrai. Des truffes de chocolat noir et blanc surmontées d’un délicat bouton de rose.

— Tout d’abord, dit Samantha, je vais vous donner la rose chocolatée.

Elles en prirent chacune une, et elle regarda sa mère et ses sœurs les goûter. Les yeux de Cecily s’écarquillèrent de surprise.

— C’est incroyable…

— Oh…, gémit Cecily. Je suis en train d’avoir un orgasme de chocolat.

Muriel lui lança un regard désapprobateur, puis elle se tourna vers Samantha.

— C’est un délice, un merveilleux hommage à ton arrière-grand-mère.

— C’était le moins que je pouvais faire, déclara Samantha.

Puis elle leur raconta son rêve.

— Waouh ! s’exclama Bailey. C’est vraiment génial.

Elle demanda ensuite, montrant une autre friandise :

— Il est à quoi, celui-là ?

Samantha les rappela à l’ordre en leur montrant une baguette de pain.

— Nettoyez vos palettes.

Le chocolat suivant était une harmonie de chocolat au lait et de lavande.

— Celui-ci aussi est délicieux, reconnut Muriel.

Le dernier des trois chocolats était une harmonie à base de fleurs, lui aussi, et toute la famille Sterling l’ovationna à l’unisson.

— Nous avons un vainqueur, déclara Cecily.

— Trois vainqueurs. Nous pourrions les présenter dans une jolie boîte florale et la baptiser « Jardin de chocolat ».

Bailey s’écria en claquant des doigts :

— Oh, j’adore ça ! Il faut que je les donne à Caroline. A la seconde où elle les aura goûtés, elle voudra que le producteur de Mimi les essaie !

— Mimi LeGrande ? demanda leur mère.

— Bailey a rencontré quelqu’un qui connaît son producteur, expliqua Cecily.

— Seigneur…, murmura Muriel.

C’était leur dernière chance de sortir du rouge. Et le temps passait à toute allure. Or Samantha n’avait pas l’intention d’attendre qu’il soit trop tard.

— Il faut que nous te mettions immédiatement dans un avion, dit-elle à Bailey.

Puis elle partit dans le bureau de sa mère pour préparer le voyage de sa sœur.

— Je vais faire mes bagages, enchaîna aussitôt Bailey.

Elles trouvèrent une place pour Bailey dans un avion en fin d’après-midi ; tandis que Cecily l’accompagnait à l’aéroport, Samantha se rendit à la banque pour remettre en personne son chèque à Blake. Il ne représentait pas toute la somme qu’elles devaient, évidemment, mais il produisit néanmoins son petit effet.

— Très impressionnant, déclara Blake.

— Est-ce que cela vous impressionne assez pour vous convaincre d’assouplir le règlement ? Nous sommes sur le point d’obtenir un passage dans une grande émission de la chaîne gastronomique Food Network.

Mentir n’était pas une bonne tactique, en affaires, mais Samantha décida qu’il s’agissait davantage d’une prédiction de sa part que d’un mensonge. Si elles obtenaient de passer dans All Things Chocolate, Sweet Dreams deviendrait célèbre. Et pourquoi ne l’obtiendraient-elles pas ? Bailey avait ses entrées grâce à la cousine du producteur, et les chocolats étaient incroyables : Mimi LeGrande en serait folle.

Blake poussa un soupir et la regarda intensément :

— Je vous l’ai dit, je suis de votre côté, et croyez-moi, j’ai défendu votre cas. Mais il y a certaines choses que je ne contrôle pas, et celle-ci en fait partie.

— Ce n’est pas une bonne façon de faire des affaires, rétorqua Samantha.

La mâchoire de Blake se contracta.

— Je n’ai pas moyen de faire autrement. Je suis bloqué, Samantha. Je ne suis pas le propriétaire de cette banque. Je ne fais qu’y travailler.

— Et vous dormez bien, la nuit ? lui demanda-t-elle avec hauteur.

— Ces temps-ci ? Pas vraiment.

— Ça me réconforte.

Il fronça les sourcils et secoua la tête.

— Ecoutez, il y a forcément un moyen grâce auquel nous pourrions nous passer de la banque. Personne dans votre famille ne peut vous aider ?

— Vous vous moquez de moi, c’est ça ?

Quel membre de sa famille pourrait faire ça ? Sa mère, qui avait d’énormes problèmes avec sa maison et ne touchait pas d’assurance vie ? Ses sœurs, qui étaient presque aussi fauchées qu’elle ? Ou pourquoi pas leur oncle Ralph, le frère aîné de leur père, parti dans les Keys de Floride, où il vivait de sa retraite et de son travail à temps partiel sur un bateau de pêche ? Vous me prenez vraiment pour une idiote ?

— Si je connaissais quelqu’un qui possède une telle somme, je n’aurais pas été obligée de faire appel à la banque.

Elle sentit les larmes qui perlaient à ses yeux, et battit furieusement des paupières pour les chasser.

Blake prit une profonde inspiration.

— Je peux à peine imaginer par quoi vous passez en ce moment, mais j’aimerais que vous réfléchissiez à quelque chose.

Elle réfléchissait déjà à quelque chose : à quel point la situation était désastreuse.

— Imaginons que lorsque vous retournerez au bureau, l’une de vos employées vienne vous voir et vous dise qu’elle est sur le point de perdre sa maison… Elle doit trois mois de loyer et elle vous demande de les payer. Que faites-vous ?

Samantha, qui n’était pas d’humeur pour une parabole commerciale, répondit sèchement :

— Je lui donne l’argent pour les payer, bien sûr.

— Vraiment ? objecta Blake. Mais vous n’avez pas d’argent. Vous n’êtes pas en mesure de l’aider.

— Dans ce cas, je…

Samantha s’interrompit. Que ferait-elle, dans ce cas ?

— Prendriez-vous l’argent de votre entreprise en difficulté ? insista Blake. Mettriez-vous en péril vos autres employés ?

Il n’eut pas besoin d’en dire davantage. Elle avait compris. Elle baissa les yeux, tentant de dissimuler les larmes qui lui échappaient malgré ses efforts pour les refouler.

Il fit le tour de son bureau, posa une main sur son bras et reprit doucement :

— Samantha…

Elle se trouvait en territoire ennemi, et pourtant, cette main masculine la réconfortait. C’en était pathétique.

— N’allez pas croire que ça ne me déchire pas au fond de moi, ajouta-t-il après une pause.

Alors pourquoi ne pouvez-vous pas m’aider ? Elle ne le lui demanda pas à voix haute. Il venait de lui expliquer pourquoi : il avait ses propres obligations, d’autres personnes dont il était responsable, d’autres personnes qui dépendaient de lui. Ce n’était pas son travail de la sauver de la débâcle. Elle l’avait toujours su, au fond d’elle-même, là où elle ne voulait pas regarder.

Elle devait dire… quelque chose. Mais il était difficile de parler avec la boule qui lui serrait la gorge. Alors, elle se contenta d’acquiescer.

— J’aimerais pouvoir vous aider, Samantha. Si quelqu’un mérite un répit, c’est bien vous. Si j’étais le propriétaire de la banque, nous aurions une conversation très différente.

Elle ne bougeait pas, infiniment lasse.

— Il nous reste encore seize jours. Tout peut arriver, en seize jours.

Oui, se dit-elle en sortant de la banque. Tout pouvait arriver.

Et quelque chose allait arriver, se répéta-t-elle, déterminée à rester positive. Elles seraient sauvées au dernier moment. La nouvelle amie de Bailey ferait passer les chocolats et Mimi LeGrande les adorerait. Comment ne les aimerait-elle pas, d’ailleurs ? Le rêve de Samantha était un présage autant qu’un présent. Elles allaient se sortir de cette situation périlleuse.

Sur cette note optimiste, elle retourna au bureau pour s’informer des appels reçus et se préparer au succès.

*  *  *

Blake fixait sans le voir son écran d’ordinateur. Il aurait voulu dire à Samantha ce qu’il avait fait, en toute discrétion, pour essayer de l’aider. Peut-être ne se serait-il pas senti aussi inutile en contemplant ces grands yeux pleins de larmes.

Sauf qu’il serait sans doute passé pour un vantard incompétent. Il avait fait accélérer le processus pour les autorisations, et alors ? Il s’était rendu à Seattle et avait fait jouer ses relations pour le journal et cette productrice, la belle affaire ! Rien de tout cela n’avait permis à Samantha de rembourser son emprunt. Tout cela, c’étaient de belles paroles et rien de plus.

— J’ai horreur de me sentir impuissant, murmura-t-il.

Mais il entendit alors un toussotement nerveux et des papiers que l’on remuait. Il se retourna pour trouver en face de lui sa secrétaire, Sheri…

Qui lui déclara, les joues roses :

— Je connais un bon docteur.

Super, vraiment super !

*  *  *

— Que bonito !

Telle fut l’exclamation d’Elena lorsque Samantha lui donna un échantillon des nouveaux chocolats. Elena goûta la truffe dite rose chocolatée, et ferma les yeux d’extase.

— Ah, chica, ça va se vendre à la folie !

— Cela me conviendrait très bien, répondit Samantha.

Tout ce dont elles avaient besoin, c’était un hochement de tête approbateur de Mimi LeGrande. Et comment ne l’obtiendraient-elles pas, dès que celle-ci aurait goûté ces chocolats ?

Samantha entra dans son bureau, s’assit dans son fauteuil et contempla les photos de la famille sur le mur.

— Nous allons y arriver, assura-t-elle, je vous le dis à tous.

Puis elle lança son ordinateur et se mit au travail.

Elle était toujours là lorsque Bailey appela.

— Oh ! s’exclama sa sœur en gémissant. Samantha…

Ce n’était pas annonciateur de bonnes nouvelles. Le cœur de Samantha se serra d’angoisse.

— Samantha, je suis tellement désolée…

— Désolée de quoi ? Que s’est-il passé ?

Bailey sanglotait.

— Les… Les chocolats.

Oh non ! Samantha s’apprêta à entendre une catastrophe.

— Qu’est-il arrivé aux chocolats ?

— Je… Je… Ooooh…

— Tu quoi ? demanda Samantha d’un ton pressant.

Avait-elle vraiment envie d’entendre les horribles détails ?

— Je les ai fait tomber.

— Tu… les as fait tomber ?

Il y en avait certainement un ou deux qui avaient survécu.

— Eh bien, époussette-les et…

— Et ils ont été écrasés.

— Ils ont… quoi ? demanda faiblement Samantha.

— Je me rendais au retrait des bagages et je les montrais à ce gentil vieux monsieur que j’avais rencontré et… eh bien, je ne sais même pas comment ils sont tombés…

Avec son empotée de sœur, ce n’était pas difficile à imaginer.

— Bref, je ne sais pas comment ils ont glissé par terre, et avant que je puisse les rattraper…

Bailey se remit à sangloter.

— Ce n’est pas grave, mentit Samantha. Que s’est-il passé exactement ?

— Tu sais, ces chariots dans lesquels ils conduisent les gens à travers l’aéroport ?

Samantha fut heureuse d’être assise.

Bailey acheva sourdement :

— L’un d’eux a roulé sur les chocolats. Ils sont tout écrasés. Oh ! Samantha, je suis tellement désolée…

Samantha déclara de nouveau, même si elle n’en pensait rien :

— Ce n’est pas grave.

— Expédies-en une autre boîte, supplia Bailey. Je te promets de ne pas les faire tomber.

Samantha poussa un soupir affligé. Quand on voulait que quelque chose soit bien fait, il fallait le faire soi-même.

Elle venait de prendre sa décision :

— Ça ne fait rien. Je vais venir. Et nous nous passerons d’intermédiaire. Essaie de savoir où déjeune Mimi LeGrande. Nous lui apporterons ses chocolats pour le dessert.

— D’accord, se contenta de répondre Bailey.

Après avoir reniflé, elle ajouta :

— Samantha, je suis vraiment désolée…

— Je le sais bien, conclut Samantha.

Et elle pensa : Ne jamais envoyer une petite fille faire le travail d’une femme.

Elle venait de mettre fin à l’appel lorsque la sonnerie de Cecily retentit.

— Tu es médium, ou quoi ? demanda Samantha.

— Tu vas bien ?

— Bailey t’a appelée ?

Elle n’avait pas pu la mettre déjà au courant, vu qu’elles venaient à peine de terminer leur conversation.

— Oui.

C’est alors que Samantha comprit :

— Elle t’a appelée en premier.

— Elle avait peur de te le dire.

— Peur de sa grande méchante sœur ? Je ressemble tant que ça à un ogre ?

— Non. Mais elle se sentait si mal…

— Ce n’est pas vraiment sa faute. J’aurais dû y aller moi-même.

— Non. Tu as bien fait de déléguer.

— Pas quelque chose de si important.

Et pas à Bailey.

— Tu ne peux pas tout faire toi-même. Tu as besoin de gens à tes côtés.

Pour s’asseoir sur toi quand tu es par terre.

— Qu’est-ce qu’on fait, maintenant ? demanda Cecily.

— Qu’est-ce que je fais. Je prépare une nouvelle fournée de chocolats et je les descends à Los Angeles demain.

Encore un coup pour sa pauvre carte de crédit, mais il y avait des choses qu’il fallait faire coûte que coûte.

— Veux-tu que je vienne avec toi ?

— Non. J’apprécie ta proposition, mais je serai très bien toute seule.

Elle n’avait certainement pas besoin qu’on l’aide davantage.

— Entendu. A propos, j’ai rencontré Emily Brookes.

La sous-fifre de Pissy. Qu’est-ce que cela avait à voir ?

— Et alors ?

— Eh bien, tu te souviens quand ces autorisations pour le festival ont brusquement refait surface ? Tu ne devineras jamais qui était derrière leur réapparition.

— Pissy ? demanda Samantha en plaisantant.

Voilà qui aurait été surprenant.

— Blake Preston.

Samantha faillit lâcher le téléphone.

— Quand j’ai appris ça, poursuivit Cecily, ça m’a fait réfléchir et j’ai mené ma petite enquête : j’ai passé deux ou trois coups de fil. Tu te souviens que je n’obtenais pas de réponse de la productrice de Northwest Now ? Eh bien, devine qui est allé à Seattle et l’a poursuivie pour lui parler en personne ?

— Blake ?

— Eh oui ! Il était aussi derrière cet article dans le journal de Seattle.

Samantha poussa un faible gémissement :

— Oh…

Mais Cecily n’avait pas terminé :

— Eh oui… Et… je t’ai vue quand tu as quitté le bal.

Voilà qu’à présent, sa sœur spécialiste des rencontres allait lui faire une leçon bien méritée.

Samantha préféra mentir :

— Je ne me sentais pas bien.

Ce n’était rien comparé à ce qu’elle éprouvait maintenant. Elle se sentait si honteuse !

— Peut-être que tu éprouvais plus de sensations que tu ne le voulais, répliqua Cecily. Enfin, j’ai pensé qu’il fallait que tu le saches.

Après avoir dit au revoir à sa sœur, Samantha resta assise à son bureau, fixant le ciel gris par la fenêtre. La météo avait annoncé de fortes chutes de neige pour le lendemain après-midi. Enfin. Elle serait à l’aéroport, bien loin du col, quand il commencerait à neiger, mais il fallait tout d’abord qu’elle passe à la banque faire une offre de paix.

Les gens, décidément, n’étaient pas tout blancs ou tout noirs. Blake n’était pas un méchant de dessin animé, mais il avait fait un excellent bouc émissaire pour elle. Tout comme Waldo. De toute évidence, elle avait pris l’habitude d’accuser les autres de ses problèmes… Ironique, quand on pensait à la façon dont elle aimait régenter tout le monde.

Elle se dégagea de son bureau en soupirant. La Saint-Valentin, c’était demain. Oh ! Cupidon, je t’en prie, sois gentil avec moi… J’ai bien besoin d’aide.

*  *  *

Il ne fut pas facile à Samantha de se rendre à la banque le lendemain : elle se faisait l’impression d’une idiote qui doit se confondre en excuses, mais elle le fit tout de même. Blake la vit arriver. Il passa la main le long du col de sa chemise comme un homme qui se prépare à un moment désagréable. Cela n’avait rien de surprenant, à la lumière de leurs précédentes rencontres.

Samantha s’assit en face de lui et poussa une boîte de ses toutes nouvelles créations en travers du bureau.

— Je dois vous remercier.

Il la regarda prudemment.

— Pour quoi ?

— Je viens d’apprendre certaines choses que vous avez faites sans vous en vanter. Je regrette d’avoir été si méchante envers vous…

Il haussa les épaules.

— Je regrette de n’avoir pas pu faire davantage.

— Vous avez fait beaucoup. Vous auriez dû me le dire.

— Est-ce que cela aurait fait une différence ?

Auraient-ils pu sortir ensemble, par exemple, devenir un couple ? S’ils avaient couché ensemble, se serait-il agi d’une façon de pactiser avec l’ennemi ?

— Je ne sais pas, répondit-elle honnêtement.

En fin de compte, la banque de Blake voulait toujours absorber son entreprise. Samantha n’était pas sûre de pouvoir passer là-dessus.

Il acquiesça lentement.

— Ce sont nos tout derniers produits, dit-elle en lui montrant la boîte. Ils sont assez stupéfiants.

— J’en suis certain, répondit-il.

— Je prends l’avion pour aller rencontrer Mimi LeGrande à Los Angeles.

Il lui lança un regard qui signifiait clairement : De qui s’agit-il ?

— C’est l’animatrice de All Things Chocolate, l’émission de la chaîne gastronomique dont je parlais hier. Je n’ai pas besoin de vous dire à quel point cela nous aiderait qu’elle fasse un sujet sur nous.

— J’espère de tout cœur qu’elle le fera.

Elle lui sourit.

— Je vous crois.

Sur ces mots, elle se leva.

Il se leva également.

— Bonne chance. Et bonne Saint-Valentin. Permettez que je vous raccompagne.

Lorsqu’ils furent devant sa voiture, sur le parking de la banque, il ajouta :

— Peut-être, quand vous reviendrez, pourrions-nous…

Elle secoua la tête avant qu’il puisse finir sa phrase.

— Je suis désolée. Je ne peux pas. Pas avant de savoir que mon entreprise est tirée d’affaire.

Il acquiesça.

— Je comprends.

Elle fut tentée d’ajouter : Mais je le souhaiterais. Je regrette que vous ne soyez pas plombier ou charpentier, n’importe quoi sauf mon banquier. Au lieu de quoi, elle entra dans sa voiture et se mit en route.

*  *  *

Blake retourna dans la banque et s’assit lourdement à son bureau. Le cadeau de Samantha se moquait de lui : du chocolat, exactement ce qu’il ne voulait pas. Depuis son retour à Icicle Falls, il récoltait bien des choses qu’il ne voulait pas : du stress, de l’irritation, des maux de tête… et les rebuffades de la femme dont il contribuait à gâcher l’existence.

Mais bon sang, il ne voulait pas lui pourrir la vie ! Il voulait faire partie de sa vie. Il eut bien du mal à se concentrer pour relire la demande de prêt de George Tuttle, et il ne lui fut pas facile d’arborer son sourire commercial quand il emmena Del Stone et Ed York déjeuner chez Zelda’s. Lorsque la serveuse leur suggéra d’essayer le nouveau diplomate au chocolat qui avait connu un tel succès pendant le week-end, et qui était désormais proposé à la carte, il sentit que son cœur était sur le point de se rompre.

Après le déjeuner, sa grand-mère passa à la banque et il lui offrit les chocolats. Au moins, quelqu’un en profiterait. Quelqu’un qui n’avait pas de problème d’allergie ni de culpabilité.

— Un délice ! s’exclama-t-elle en les goûtant. Je vais les apporter à la réunion de mon club de lecture, ce soir. Je suis sûre qu’ils vont faire des ravages. Tout le monde aime les chocolats Sweet Dreams.

Ces mots étaient dignes d’une publicité. « Tout le monde aime les chocolats Sweet Dreams. » Ce qui signifiait que tout le monde le détesterait lorsqu’il saisirait l’entreprise… et qu’il serait le coupable tout désigné.

A 18 heures, il se rendit à la salle de sport Bruisers pour évacuer sa frustration. Il courut sur le tapis roulant jusqu’à être en nage. Mais sa colère ne passa pas. Il s’attaqua au punching-ball, mais même cela n’y fit rien : il n’avait pas envie de cogner sur un objet. Il avait envie de cogner quelqu’un, plus précisément cet abruti de Darren Short. Il cogna de nouveau, s’imaginant la tête infatuée de Darren au-dessus du punching-ball. Maintenant, tu sais ce qu’on ressent quand on se fait attaquer par traîtrise. Tu as fait la même chose aux Sterling.

Blake était épuisé quand il s’arrêta, mais il ne se sentait pas mieux. Samantha Sterling ne s’en sortirait pas si personne ne venait à son aide. Elle avait besoin d’un héros.

Il se souvint qu’enfant il s’imaginait que, une fois adulte, il aurait des muscles de super-héros (et une cape, bien sûr), qu’il volerait à la rescousse des gens sur le point d’être attaqués par des méchants, qu’il foncerait les sauver dans sa Batmobile.

Tout ce qu’il avait, c’était une Chevrolet Camero de collection et un costume de banquier, mais il devait trouver un moyen d’être le héros qu’il avait toujours voulu être. Avant qu’il ne soit trop tard.