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Savoir mêler les affaires et la joie de vivre :

Comment équilibrer avec succès les affaires et l’amour

Après cette réunion de famille virtuelle, la mère de Samantha lui mit dans les mains une fricassée de poulet, une salade de thon et des brownies, la serra dans ses bras pour l’encourager puis la laissa rentrer chez elle. Samantha se sentait un peu nauséeuse. Elle espérait que son malaise était dû à toutes les sucreries avalées ces derniers temps, et pas à la peur d’échouer.

Elle alla se coucher en espérant, sans trop y croire, qu’elle pourrait sauver la situation en rêvant d’une fabuleuse recette de gourmandise au chocolat, exactement comme son arrière-grand-mère Rose l’avait fait jadis.

Mais hélas, elle n’y parvint pas : au lieu de rêver d’une nouvelle recette qui permettrait de faire parler de Sweet Dreams, elle passa ses heures de sommeil paradoxal à fuir des monstres en forme de barres chocolatées, qui la pourchassaient dans toute la ville, essayant de l’écraser sous leurs gros pieds plats. A la fin, trois d’entre eux avaient réussi à la coincer devant la banque.

Alors l’un d’eux grogna, en soulevant son pied gigantesque :

— Attrapez-la !

Mais Samantha se mit à crier :

— Non ! Je ferai n’importe quoi. N’importe quoi !

Jusqu’à ce moment de son rêve, elle était le dernier être vivant d’Icicle Falls, mais alors la porte de la banque s’ouvrit et Blake Preston apparut dans l’encadrement, vêtu d’un caleçon au motif léopard.

— Vous avez bien dit n’importe quoi  ? demanda-t-il.

— Oui, n’importe quoi…, acquiesça-t-elle.

Alors, il la saisit par le bras et l’entraîna à l’intérieur de la banque.

Là, elle vit que tous les bureaux avaient été remplacés par des lits circulaires recouverts de dessus-de-lit de satin rose, et que le plafond était constitué d’un gigantesque miroir. Il y avait, dans un coin, une baignoire où bouillonnait du chocolat chaud.

Blake lui avait passé un bras autour de la taille.

— Je vous attends depuis si longtemps…, lui chuchota-t-il.

Il remit en place une boucle de ses cheveux et lui mordilla tendrement l’oreille. Samantha frémissait de tout son corps.

— Et si vous quittiez cette robe pour me rejoindre dans cette baignoire toute chaude ?

— Vous allez me sauver de ces montres ?

— Bien sûr. Les hommes sont là pour ça, non ? Souvenez-vous comment Waldo a sauvé votre mère.

— Oh, mon Dieu…

Elle se cacha le visage dans les mains.

Comme Blake s’était mis à ricaner, elle leva les yeux sur lui : il avait passé une sorte de cape de Dracula et il montrait des dents de vampire, qui laissaient goutter du chocolat.

Elle poussa un cri perçant et s’élança vers la porte. Mais c’est alors qu’elle aperçut dans l’encadrement l’énorme œil brun d’un monstre qui la scrutait. Prise de panique, elle fit demi-tour et repartit en courant, sans rien voir. Blake s’était lancé à sa poursuite, sa cape volant derrière lui.

Il ricanait toujours :

— Ha ha ha ! Vous avez envie de moi, vous le savez très bien !

— Je veux sauver mon entreprise ! lui cria-t-elle, sans cesser de courir. Signez-moi un papier qui me garantisse que vous la sauverez…

— Scellons d’abord notre accord.

Maintenant, il l’appelait en la poursuivant autour du lit :

— Venez, Samantha, vous avez envie de moi, vous le savez…

— Je ne devrais pas faire ça…

Mais son hésitation avait permis à Blake de faire le tour du lit et de la saisir.

— Tout va bien. Faites-moi confiance, murmurait-il en lui embrassant le cou.

Quand Samantha reprit conscience de ce qu’elle faisait, Blake l’aidait à ôter sa petite robe noire. A sa grande surprise, elle portait en dessous un slip et un soutien-gorge aux impressions léopard…

— Et maintenant, signez ça.

Sur ces mots, Blake agita sous ses yeux une sorte de contrat et un stylo en forme de bâton de réglisse. Samantha le prit et griffonna son nom au bas du document.

— Dites-moi ce que je viens de signer.

Blake la souleva dans ses bras en lui souriant :

— Tu viens de signer ton arrêt de mort, poupée. Tu viens de vendre ta compagnie à Madame C.

La compagnie de chocolat bas de gamme de Seattle ?

— Non !

Elle protesta, et lutta pour se libérer.

— Et maintenant, plus personne n’a besoin de toi.

Samantha se démenait pour se dégager des bras de Blake, mais il se dirigea à grands pas vers la baignoire, dans laquelle il la laissa tomber.

Puis il lui enfonça la tête sous le chocolat en lui lançant :

— Sayonara, ma mignonne !

Elle s’éveilla juste au moment de se noyer et se redressa d’un bond. Elle haletait, en sueur. Son subconscient était donc malsain à ce point ? Elle dégagea les cheveux qui lui tombaient sur les yeux et se rallongea en gémissant. Nibs avait sauté sur le lit, qu’il traversait lentement en l’examinant ; elle le prit pour l’attirer contre elle.

— Bon, ce n’était qu’un rêve…

Un rêve qui venait de la convaincre que, même si la situation était désespérée, elle ne voulait pas y mettre un terme en se noyant dans du chocolat.

*  *  *

Blake était en train de boire son café américano du milieu de la matinée, au Bavarian Brews, lorsqu’il aperçut Samantha Sterling qui passait la porte. Elle portait une veste courte bordée de fausse fourrure, par-dessus un jean moulant qui mettait ses jambes en valeur et des bottines noires à talons : la tenue décontractée typique des femmes d’affaires d’Icicle Falls. Sauf que, chez cette femme, cette tenue qui n’avait rien d’extraordinaire prenait une allure érotique. Blake dut combattre un puissant élan de désir. Le souvenir de la manière dont elle s’était emportée contre lui aurait dû éteindre en lui toute flamme… Mais il songeait qu’avec une telle passion, cette femme devait être une véritable bombe au lit, et la convoitise l’envahit de plus belle.

Elle le vit et ses joues, que le froid de la rue avait déjà rendues roses, virèrent au rouge vif. Elle lança un long regard oblique vers la porte, comme si elle voulait tourner les talons et partir en courant, mais elle parut se raviser et afficha une expression aimable, se dirigeant vers le comptoir pour passer sa commande. Il lui sourit, déterminé à la saluer lorsqu’elle passerait devant lui. Après tout, ils vivaient dans la même ville. Ils pouvaient tout de même réussir à surmonter une situation difficile en restant polis.

Elle lui souhaita une bonne journée, d’une voix acerbe que son sourire crispé ne démentait pas.

Il leva ostensiblement sa tasse pour lui répondre :

— Elle devrait être bonne, en effet, maintenant que j’ai mon café.

— Moi, je n’ai pas encore bu le mien.

— Puis-je vous en offrir un ?

Elle s’empourpra de nouveau. Elle avait baissé ses yeux au niveau de sa poitrine.

— Non, merci. Et aussi…

Elle hésita avant de poursuivre :

— A propos de l’autre jour…

Blake se sentit embarrassé, et leva la main.

— Considérez que c’est oublié.

A présent, elle le regardait en face. Elle avait de grands yeux magnifiques Et puis, il y avait sa bouche. Et tout le reste de sa personne.

— Ce n’était pas du tout professionnel de ma part. Et normalement, je ne suis pas comme ça…

— Je n’en doute absolument pas. Et croyez-moi, ce n’est pas plus drôle pour la banque que ça ne l’est pour vous.

Son sourcil se souleva délicatement. Son expression posée s’était teintée d’une touche d’ironie.

— Ça vous fait plus mal qu’à moi ?

— Eh bien, en quelque sorte.

Et voilà, il venait de proférer une stupidité et de passer pour un véritable abruti… Ça ne risquait pas d’arranger les choses.

— Je n’aime pas jouer le rôle du méchant, poursuivit-il.

Ce n’était rien de le dire. Mais pourquoi donc, parmi tous les métiers du monde, avait-il choisi celui de banquier ?

Au départ, il voulait aider les gens à résoudre leurs problèmes financiers, à réaliser leurs rêves les plus chers… Tu parles d’une naïveté ! En matière de finances, les banques tiraient profit de la crédulité de leurs clients. Il n’était pas un héros. Il était un profiteur, tout simplement.

— Alors, ne jouez pas le méchant, dit-elle, avant de poursuivre, plus pressante : Travaillez plutôt avec nous.

Elle semblait si impuissante, si désespérée… Il eut envie de passer ses bras autour d’elle et de lui annoncer qu’il trouverait un moyen de la sauver.

Mais qu’est-ce qu’il était en train de faire ? A quoi pensait-il donc ? Avait-il perdu l’esprit ? Les femmes comme celle-ci étaient capables de faire fondre la cervelle d’un homme. Sévèrement, il s’obligea à se souvenir que Samantha Sterling n’était pas la seule personne en ville à avoir des impératifs financiers. Beaucoup d’autres clients de la banque dépendaient de lui.

Oui… Mais aucun de ses autres clients n’avait un tel regard.

Oh, non ! Voilà qu’il était sur le point d’emboîter le pas du vieil Arnie, pour sauter de la falaise et faire chuter la banque avec lui. Il le savait bien : des légions d’hommes faisaient des choses folles pour les femmes. Ils dépensaient l’argent qu’ils n’avaient pas, volaient, commettaient même des meurtres pour elles. Blake Preston ne voulait pas rejoindre leurs rangs.

Samantha reprit sur un ton sérieux :

— Nous sommes en train d’organiser un événement dont pourraient bénéficier non seulement Sweet Dreams, mais toute la ville.

Et voilà. Elle allait s’en sortir. Il l’avait toujours su.

Il y avait tellement de battants, dans cette ville. Il y en avait toujours eu, depuis que la fermeture de la scierie et le détournement de la voie ferrée avaient laissé Icicle Falls dans une mauvaise passe, à l’époque de la Grande Dépression. Durant les années cinquante, Icicle Falls était presque devenue une ville fantôme, mais ses habitants avaient su s’administrer une thérapie de choc : ils avaient passé le début des années soixante à transformer leur ville en station de montagne offrant un véritable paradis aux skieurs. La compagnie Sweet Dreams Chocolates était l’une de leurs réussites, qui avait affronté les pires épreuves en devenant pour la ville une source de fierté, et l’histoire de ses origines était devenue une légende locale. A l’image des autres habitants d’Icicle Falls, Samantha Sterling n’était pas du genre à accepter la fatalité sans rien faire.

— Si nous pouvions avoir un peu plus de temps…, reprit-elle.

Voilà qu’elle recommençait. Tant pis pour le tableau idyllique que Blake venait de peindre… Il sentit son café matinal commencer à lui brûler l’estomac.

— J’aimerais pouvoir…, répondit-il.

C’était la pure vérité. Il ne mentait pas.

Une fois de plus, elle souleva le sourcil d’un air dubitatif.

— Vraiment ?

Mais oui, bon sang ! Qu’aurait-elle voulu qu’il fasse ? Qu’il cambriole la banque pour elle ? Ressemblait-il, par hasard, à un arbre où pousse l’argent ? Avait-il des billets de cent dollars qui lui sortaient des oreilles ?

— Comme je vous l’ai déjà dit…

— Je ne crois pas que j’aie envie d’entendre ce que vous m’avez déjà dit, coupa-t-elle.

Après une pause, elle ajouta :

— C’était déjà assez déprimant la première fois.

En moins d’une minute, elle venait de le réduire d’un mètre quatre-vingt-dix à trente centimètres : le plus petit homme du monde avec le plus petit cœur du monde.

— S’il y a autre chose que je peux faire pour vous aider…, dit-il pour plaider sa cause.

— Vous en faites assez.

Sur cette froide réponse, elle marcha résolument vers le comptoir.

Il la regarda s’éloigner, le dos raidi et… les fesses ondulantes… Comment les femmes faisaient-elles pour avoir une démarche pareille ? Il songea avec délice au clip de la chanson Honky-tonk badonkadonk

Bravo, Preston, tu vas bientôt saisir son entreprise et tu regardes ses fesses ! Est-ce que cela faisait vraiment de lui un salaud ? Il supposa que son ancienne petite amie aurait été heureuse de le lui expliquer.

Leur relation avait été superficielle et vouée à l’échec dès le départ. Après leur rupture, il s’était promis d’être plus prudent, et de ne plus laisser son bon sens être anesthésié par un charmant minois. Ou un joli postérieur.

Et puisqu’il en était aux relations vouées à l’échec : Samantha Sterling n’est pas pour toi, mon garçon. Pourtant… cela ne signifiait pas qu’il ne pouvait pas rouvrir le dossier Sweet Dreams et analyser de nouveau la situation. Peut-être parviendrait-il à une nouvelle conclusion. Après tout, la banque ne commettait-elle pas une erreur en se montrant si intraitable envers une entreprise qui jouait un rôle essentiel dans l’économie locale ?

Il repoussa sa tasse et sortit dans la rue froide. Au lieu de retourner à la banque, il se dirigea vers le parc qui longeait la Wenatchee. A l’exception d’un couple de promeneurs courageux, les allées étaient désertes. Se répétant qu’il n’était pas en train de suivre Arnie comme un mouton de Panurge, il sortit son mobile de sa poche et appela Darren Short, son responsable de secteur.

Celui-ci sembla heureux de l’entendre :

— Blake, comment ça se passe ? Vous prenez vos marques ?

— Ça ne va pas trop mal…

Blake marqua une pause avant de poursuivre :

— Mais maintenant que je suis là, je me rends mieux compte des choses que lorsque nous en avons parlé.

— Ah ?

Le ton de Darren s’était fait brusquement plus réservé.

— Ecoutez, je crois que nous devrions reconsidérer certains aspects de ces prêts, en particulier celui de Sweet Dreams Chocolates.

La riposte de Darren ne se fit pas attendre :

— On va se parler franchement, Blake. Vous êtes là-bas pour arrêter l’hémorragie.

— Je sais.

— Alors ne me lâchez pas. J’ai beaucoup misé sur vous, et Cascade Mutual compte sur vous pour redresser cette agence et en faire un atout. Mince, les gens qui travaillent là-bas dépendent de vous, eux aussi !

— C’est bien ce que j’ai l’intention de faire, mais…

Darren l’interrompit :

— Bien. J’ai pris des risques pour vous. Ne m’obligez pas à le regretter.

— Ne vous inquiétez pas, je fais ce que j’ai à faire.

Blake réfléchit avant de reprendre :

— Mais une partie de mon rôle consiste à évaluer la situation et…

Darren le coupa de nouveau avec brusquerie :

— La situation a déjà été évaluée, et je suis sûr que je n’ai pas à vous rappeler la politique de la banque… à laquelle vous avez déjà fait une exception.

— Je m’en souviens parfaitement, répondit Blake, les dents serrées.

— Je suis heureux de vous l’entendre dire. Vous pourrez me donner un rapport complet quand nous nous verrons, vendredi.

— Je n’y manquerai pas.

En fait, Darren allait recevoir un rapport bien plus complet qu’il ne s’y attendait, car Blake était déterminé à faire entendre raison à son patron d’une manière ou d’une autre. Il n’avait pas le choix : l’idée de passer le reste de sa vie à être le plus petit homme du monde lui était insupportable.

*  *  *

Toute la matinée, Samantha avait eu envie d’un café au lait caramélisé mais, lorsqu’elle l’eut, elle n’en but que deux gorgées avant de le jeter. Elle avait décidé de retourner au bureau, mais elle changea de direction à la dernière minute et prit le chemin de la Gingerbread Haus pour rendre visite à la patronne, son amie et conseillère Cassandra Wilkes.

Entre ses visites à la viennoiserie et celles de Cass à Sweet Dreams, il était inévitable que les deux femmes deviennent amies. Outre leur goût des bonnes choses et leur passion des affaires, elles partageaient aussi un sens de l’humour incisif.

Cass, qui avait un peu plus de quarante ans, élevait seule ses trois enfants. Elle était arrivée à Icicle Falls à l’âge de trente-quatre ans, tout juste divorcée, plutôt amère et quasiment sans le sou. Elle avait d’abord travaillé pour Dot Morrison, propriétaire du restaurant Breakfast Haus. Puis, sept ans plus tôt, Dot lui avait prêté de l’argent pour qu’elle monte sa pâtisserie. Cass avait accepté cette aide avec gratitude, puis s’était élancée vers le succès. Elle n’avait jamais regardé en arrière.

Quand elle ouvrit la porte, Samantha fut accueillie par une bouffée d’air chaud au parfum de cannelle et de muscade. Derrière leur présentoir de verre, des petits gâteaux en pain d’épice de toutes les formes s’alignaient, terriblement tentants. Des choux à la crème en forme de cygne nageaient sur la surface réfrigérée de leur vitrine, au côté d’une forêt-noire. Sur le comptoir se dressait un énorme château de pain d’épice et, derrière celui-ci, les étagères offraient une profusion d’autres exemples de la créativité de Cass.

Aujourd’hui, celle-ci était aux fourneaux. Le visage et les bras parsemés de farine, elle étalait de la pâte à biscuit pour faire des tartelettes au sucre mais, dès qu’elle aperçut Samantha qui discutait au comptoir avec sa fille aînée — Danielle avait vingt ans —, elle se lava les mains, ôta son tablier et décida de faire une pause-café.

Cass était loin d’être laide, même si elle faisait de son mieux pour le paraître. Elle ne s’embarrassait jamais de maquillage et, lorsque ses cheveux bruns n’étaient pas contenus dans une résille, elle les relevait en un chignon négligé. Elle avait une quinzaine de kilos de trop, en était fière, et portait rarement autre chose qu’un jean et un sweat-shirt ou un T-shirt. Mais, si elle était restée célibataire, c’était certainement davantage à cause de son attitude que de son apparence. Alors qu’en Muriel quelque chose disait « Téléphonez-moi », Cass renvoyait des signaux dont le sens était « N’y pensez même pas ».

Pour l’instant, elle scrutait Samantha de ce regard pénétrant qui lui était propre.

Elle finit par demander :

— D’accord, qui est-ce que tu veux tuer, aujourd’hui ?

Samantha ne put s’empêcher de sourire devant sa perspicacité.

— Ni moi ni ma mère.

— C’est déjà un bon point.

Elles s’installèrent à une table dans un coin, avec une assiette de petits gâteaux en forme de sucettes.

— Il ne s’agirait pas du nouveau directeur de la banque ? demanda Cass. Je ne suis pas allée à la journée portes ouvertes, mais j’y suis entrée pour faire un dépôt ce matin, et j’ai pu voir l’enfant du pays.

Cass secoua la tête en souriant, avant de poursuivre :

— Je dois avouer, même si mon homme idéal est en pain d’épice, que celui-là a ramené mes hormones à la vie pendant une bonne minute.

— J’ai toujours su que tu étais une couguar, répliqua Samantha, taquine.

Mais Cass était redevenue sérieuse :

— Est-ce que tu es allée lui demander de t’aider à te sortir du désastre déclenché par Waldo ?

Cass et Charley étaient les seules personnes à savoir que Samantha luttait pour sauver son entreprise, mais elle n’avait révélé ni à l’une ni à l’autre à quel point ses efforts étaient désespérés.

— Il ne m’aidera pas, répondit-elle, laconique.

Cass secoua la tête.

— Cet homme doit avoir un cœur de pierre et des testicules en pâte à modeler.

— Ça le résume assez bien. Nous allons devoir essayer de trouver d’autres moyens de redresser la barre. Hier soir, avec ma mère et mes sœurs, nous avons pensé à quelque chose, et j’aimerais avoir ton avis.

Cass était une femme d’affaires pleine de ressources. Si elle était dans leur camp, cela aiderait à faire passer l’idée auprès des autres membres de la chambre de commerce. Elle s’adossa sur sa chaise et passa un coude par-dessus son dossier.

— Vas-y, Samantha.

— Nous pensons à parrainer un festival du chocolat.

Pensive, Cass acquiesça.

— Ça me semble intéressant. Tu peux m’en dire plus ?

Samantha s’exécuta et, à mesure qu’elle parlait, l’attitude sceptique de Cass changea. Elle se pencha en avant, posa ses bras sur la table et se mit à écouter attentivement.

Elle déclara enfin :

— Tu sais, ça pourrait être très bien.

— Tu crois que ça pourrait marcher ?

— Pourquoi pas ? Nous sommes constamment à la recherche de nouveaux moyens de faire venir des visiteurs en ville. Quand est-ce que vous comptez faire ça ? Il faudra que tu fasses attention à ne pas éclipser d’autres programmes qui existent déjà.

— Le mois prochain.

Cass battit des paupières et se laissa aller contre le dossier de sa chaise.

— Le mois prochain ?

— Je me rends bien compte qu’il faudra organiser tout ça un peu dans l’urgence.

C’était le moins qu’on pût dire.

— « Un peu » ?

Cass leva les sourcils.

— Tu sais combien de temps il faut pour organiser quelque chose comme ça ?

Abattue, Samantha se recroquevilla sur sa chaise.

— C’est sans espoir, c’est ça ? Je le savais.

Elle s’était bercée d’illusions… attitude typique des cinglés dans son genre.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit, mais bon sang…

— Nous pourrions commencer par quelque chose de modeste.

— Pourquoi en février ?

— J’ai besoin d’une somme d’argent colossale avant la fin du mois prochain. Je n’ai pas d’autre solution, Cass.

Il lui était douloureux de faire cette aveu à voix haute, et Samantha dut refouler ses larmes.

— Ce n’est pas vrai. Tu as des amis, dans cette ville.

Samantha secoua la tête :

— Je n’ai pas assez d’amis pour la somme que je dois. Et de toute façon, je ne ferai pas ça à mes amis. Si la banque avait pu collaborer avec moi…

Il était inutile qu’elle termine la phrase.

— D’accord. Quand ça, le mois prochain ?

— Nous aimerions le faire le week-end précédant la Saint-Valentin.

Cass acquiesça lentement :

— Un festival du chocolat le week-end précédant la Saint-Valentin… La période est parfaite. Tu devrais pouvoir donner envie à des tas de couples de venir. Ce sera bon pour les Bed & Breakfast, les restaurants, les boutiques de vin… les viennoiseries…

Elle avait ajouté ce dernier mot en souriant.

— Donc, si ce n’est pas complètement délirant, tu crois qu’on pourrait s’en sortir ?

Cass haussa les épaules.

— Moi, je te dis de tenter le coup. Tu n’as rien à perdre.

Sauf son entreprise, et elle ne comptait pas s’en séparer sans se battre.

Après quoi Cass retourna travailler, et Samantha quant à elle se hâta de rentrer au bureau : désormais, elle était prête à partir en guerre.

Elena lui lança un regard inquiet.

— Je commençais à me faire du souci. Où étiez-vous ?

— Je cherchais l’inspiration dehors. J’ai besoin que vous regardiez ce qui concerne les festivals sur internet et que vous m’imprimiez tout ce que vous pourrez trouver.

— Très bien. Mais…

— Et appelez Luke. Dites-lui de prévoir de tripler la production de nos cœurs menthe-chocolat.

— Mais que se passe-t-il donc, au nom du ciel ?

— Nous allons parrainer le premier festival annuel de chocolat d’Icicle Falls.

Sur cette déclaration solennelle, Samantha partit d’un pas résolu dans son bureau, tel un général d’armée qui s’apprête à former son plan de bataille pour conquérir le monde. Ou la banque, tout du moins.