Une fois de plus, un brouhaha de questions et d’exclamations résonna dans la salle, mais Thomas ne resta pas. Il avait besoin d’un espace tranquille. Alors, au lieu de retourner dans le dortoir des garçons, il se rendit dans la salle de bains de celui où avaient dormi Teresa, puis Aris. Il s’appuya au lavabo, les bras croisés, le regard fixé sur le sol. Heureusement, personne ne l’avait suivi.
Il y avait tant d’éléments nouveaux à considérer qu’il ne savait pas par où commencer. Comme ces corps accrochés au plafond, qui empestaient la mort et la décomposition, et qui avaient disparu en un clin d’œil. Puis l’inconnu – et son bureau ! – qui était sorti de nulle part, protégé par un bouclier invisible. Avant de disparaître.
Et encore, tout ça n’était rien. Thomas comprenait que leur sauvetage n’avait été qu’un coup monté. Qui étaient les pions manipulés par le WICKED pour délivrer les blocards de la salle des Créateurs, les mettre dans ce bus et les conduire ici ? Ces gens savaient-ils qu’ils se feraient tuer ? Étaient-ils vraiment morts ? L’homme-rat les avait prévenus de ne pas se fier à leurs yeux ni à leur raison. Comment pouvaient-ils, désormais, croire quoi que ce soit ?
Et surtout, il y avait ce problème de la Braise, dont ils étaient soi-disant tous atteints, et des Épreuves qui devaient leur permettre d’accéder au remède…
Thomas ferma les yeux et se massa le front. On lui avait enlevé Teresa. Aucun d’eux n’avait de famille. Le lendemain matin débuterait cette chose ridicule appelée « phase 2 », qui s’annonçait pire que le Labyrinthe. Tous ces cinglés, là-dehors, les fondus, comment les affronter ? Tout à coup, il pensa à Chuck et à ce qu’il dirait s’il était là.
Quelque chose de simple, probablement. Quelque chose comme : « Ça craint. »
« Et tu aurais raison, Chuck, pensa Thomas. Ça craint à tous les niveaux. »
Quelques jours à peine avaient passé depuis qu’il avait vu son ami se faire poignarder en plein cœur ; le pauvre Chuck était mort dans ses bras. Et maintenant, Thomas ne pouvait s’empêcher de se dire que, même si c’était horrible, ç’avait peut-être été une bonne chose pour lui. Que la mort était sans doute préférable à ce qui les attendait. Ce qui lui fit repenser au tatouage qu’il avait sur la nuque…
— Dis donc, mec, il te faut combien de temps pour faire tes petites affaires ?
C’était Minho. Thomas leva la tête et le vit debout dans l’encadrement de la porte.
— Je ne supportais plus l’ambiance. Tout le monde qui parle en même temps comme une bande de gamins. Ça ne sert à rien, on sait tous ce qu’on fera demain.
Minho s’approcha et s’adossa au mur.
— Tu es monsieur Joyeux, toi ! Écoute, tous ces tocards sont aussi courageux que toi. Et ils passeront tous par ce… je ne me souviens plus du mot… demain matin. Qu’est-ce que ça peut faire s’ils ont envie d’en discuter jusqu’à plus soif ?
Thomas leva les yeux au plafond.
— Je n’ai jamais prétendu être plus courageux que qui que ce soit. J’en ai ras le bol de vous entendre, c’est tout. Toi comme les autres.
Minho ricana.
— Tu sais que tu es tordant quand tu joues les méchants, petite tête ?
— Merci. (Thomas marqua une pause.) Un transplat.
— Hein ?
— C’est le mot qu’a utilisé ce tocard en costume blanc pour désigner le passage qu’on va devoir emprunter. Un transplat.
— Ah oui. Sûrement une sorte de porte.
Thomas hocha la tête.
— C’est aussi ce que je pense. Comme à la Falaise. C’est plat, et ça te transporte ailleurs. D’où « transplat ».
— Tu es un foutu génie.
Newt apparut sur le pas de la porte.
— Pourquoi vous vous cachez là, tous les deux ?
Minho lui donna une bourrade amicale.
— On ne se cache pas. Thomas se lamente sur sa vie et voudrait retrouver sa maman.
— Tommy, dit Newt, qui n’avait pas l’air de trouver ça drôle, tu as subi la Transformation, quelques souvenirs te sont revenus. Tu ne te rappelles rien à propos de tout ça ?
Thomas avait beaucoup réfléchi à la question. La plupart des images dont il s’était souvenu après la piqûre du Griffeur devenaient brumeuses.
— Je ne sais pas. Je n’arrive pas vraiment à me représenter le monde extérieur, ni ce que c’était de travailler à la conception du Labyrinthe. Soit c’est devenu flou, soit j’ai carrément oublié. J’ai fait quelques rêves bizarres, mais rien qui puisse nous aider.
Ils parlèrent ensuite de certaines remarques émises par leur étrange visiteur : les éruptions solaires, la maladie et le changement de la situation maintenant qu’ils savaient qu’ils étaient des cobayes. Beaucoup d’interrogations, peu de réponses, et au milieu de tout ça, la peur sous-jacente du virus qu’on leur avait inoculé. Un long silence finit par s’installer.
— Bon, on a du pain sur la planche, conclut Newt. Et je vais avoir besoin d’aide pour m’assurer que toute la bouffe ne disparaisse pas avant notre départ, demain matin. Quelque chose me dit qu’on risque d’en avoir besoin.
Thomas n’avait pas pensé à cela.
— Tu as raison. Les autres sont encore en train de s’empiffrer ?
Newt secoua la tête.
— Non, Poêle-à-frire a pris les choses en main. Ce tocard ne plaisante pas avec la nourriture ; je crois qu’il n’est pas mécontent d’être redevenu le patron dans son domaine. Mais j’ai peur que les autres ne paniquent et ne continuent à manger quand même.
— Oh, arrête, lui dit Minho. Ceux d’entre nous qui ont réussi à survivre aussi longtemps ne sont pas là par hasard. Tous les idiots sont morts, à présent.
Il jeta un regard en coin à Thomas, comme s’il craignait que ce dernier ne s’imagine qu’il visait Chuck. Ou peut-être même Teresa.
— Possible, répondit Newt. Je l’espère. En tout cas, je crois qu’on a besoin de s’organiser, de remettre un peu d’ordre dans tout ça. De recommencer à nous comporter comme au Bloc. Ces derniers jours ont été lamentables : on n’arrête pas de se plaindre, il n’y a aucune structure, aucune organisation. Ça me rend dingue.
— Qu’est-ce que tu aurais voulu qu’on fasse ? rétorqua Minho. Qu’on s’aligne en rangs d’oignons pour faire des pompes ? On est coincés dans ces saloperies de trois pièces !
Newt balaya ces paroles d’un revers de main.
— Laisse tomber. Tout ce que je dis, c’est que les choses vont changer à partir de demain et qu’on a intérêt à se préparer.
Thomas avait l’impression qu’il tournait autour du pot.
— Où veux-tu en venir ?
Newt hésita, dévisagea tour à tour Thomas et Minho.
— Il faudrait que, d’ici demain, on établisse une fois pour toutes qui est le chef. Que ce soit bien clair pour tout le monde.
— C’est la plus grosse connerie que tu nous as jamais sortie, déclara Minho. C’est toi le chef, et tu le sais bien. On le sait tous.
Newt secoua la tête avec une obstination farouche.
— C’est la faim qui t’a fait oublier nos tatouages ? Tu crois qu’ils sont là juste pour faire joli ?
— Oh, arrête, répliqua Minho. Tu crois vraiment qu’on doit y accorder de l’importance ? Ils cherchent à nous manipuler, c’est tout !
Au lieu de répondre, Newt s’approcha de Minho et tira sur son col pour dévoiler son tatouage. Thomas n’eut pas besoin de regarder : il s’en souvenait parfaitement. L’inscription désignait Minho comme étant le Chef.
Minho se dégagea d’un haussement d’épaules et se lança dans une de ses reparties sarcastiques habituelles, mais Thomas ne l’écoutait plus ; son cœur s’était mis à battre à tout rompre. Il ne pensait plus qu’à ce qui était inscrit sur sa propre nuque.
Qu’il allait se faire tuer.