Il commençait à se faire tard. Thomas savait qu’ils avaient intérêt à reprendre des forces pendant la nuit s’ils voulaient être en forme le lendemain matin. Lui et les autres blocards passèrent la soirée à nouer des sacs rudimentaires avec des draps pour transporter les provisions et les vêtements de rechange trouvés dans les placards. Certains aliments se présentaient dans des sachets en plastique ; les blocards récupérèrent les sachets vides, les remplirent d’eau et les fermèrent au moyen de bandes de tissu découpées dans les rideaux. Ces gourdes de fortune ne tarderaient pas à fuir, mais personne n’avait proposé une meilleure idée.
Newt avait fini par convaincre Minho d’être leur chef. Thomas savait aussi bien que les autres qu’il leur en fallait un ; il fut donc soulagé de voir son ami accepter à contrecœur.
Aux alentours de 9 heures, Thomas était dans son lit, en train de contempler la couchette du dessus. Le dortoir paraissait étrangement silencieux, même s’il savait que les autres ne dormaient pas non plus. La peur leur nouait les entrailles autant qu’à lui. Ils avaient connu le Labyrinthe et ses horreurs. Ils avaient constaté par eux-mêmes de quoi le WICKED était capable. Si l’homme-rat ne leur avait pas menti, si tout ce qui leur était arrivé faisait partie d’un plan préconçu, alors ces gens avaient obligé Gally à tuer Chuck, abattu une femme à bout portant, embauché des libérateurs qu’ils avaient éliminés une fois leur mission accomplie… Et la liste était encore longue.
Pour couronner le tout, le WICKED leur avait inoculé une maladie épouvantable et leur agitait le traitement sous le nez en guise d’appât. Sans même qu’ils sachent ce qu’il y avait de vrai ou de faux là-dedans. Et tout semblait indiquer que Thomas avait droit à un traitement spécial. Il trouvait cette idée déprimante. Chuck était mort, Teresa avait disparu ; la perte de ces deux-là…
Sa vie n’était plus qu’un trou noir. Il ignorait où il trouverait la force de se lever le lendemain. Et d’affronter ce que le WICKED leur réservait. Il le ferait, pourtant – et pas uniquement pour être soigné. Il n’abandonnerait jamais, surtout pas maintenant. Pas après tout ce qu’on leur avait infligé, à ses amis et à lui. Si la seule manière de rendre la monnaie de leur pièce à ses bourreaux consistait à réussir leurs tests et leurs Épreuves, à survivre, il le ferait.
Puisant un réconfort malsain dans ces idées de vengeance, il finit par trouver le sommeil.
*
Tous les blocards avaient réglé le réveil de leur montre digitale à 5 heures du matin. Thomas se réveilla bien avant et fut incapable de se rendormir. Quand les sonneries retentirent dans tout le dortoir, il se frotta les yeux. Quelqu’un alluma la lumière. Paupières plissées, il se leva et se rendit dans les douches. Qui sait combien de temps s’écoulerait avant qu’il puisse se relaver.
Dix minutes avant l’heure fixée par l’homme-rat, tous les blocards étaient assis dans le réfectoire, la plupart tenant un sachet rempli d’eau, avec leurs sacs en toile près d’eux. Thomas, comme les autres, avait décidé de porter son eau à la main pour être sûr de ne pas en renverser une goutte. Le champ de force invisible s’était rallumé pendant la nuit, séparant le réfectoire en deux. Les blocards patientaient à côté de leur dortoir, face à l’endroit où l’homme-rat avait annoncé l’apparition du transplat.
Assis à la droite de Thomas, Aris prononça ses premiers mots depuis… Eh bien, en fait Thomas ne se rappelait plus la dernière fois où il lui avait parlé.
— La première fois que tu l’as entendue dans ta tête, est-ce que tu as cru que tu devenais cinglé ? lui demanda-t-il.
Thomas lui jeta un coup d’œil hésitant. Quelque chose l’avait retenu jusque-là de discuter avec le nouveau. Mais sa réserve se dissipa d’un coup. Ce n’était pas la faute d’Aris si Teresa avait disparu.
— Oui. Mais ensuite, comme ça a recommencé, je m’y suis fait. J’avais surtout peur que les autres ne me croient dingue. Alors je n’en ai parlé à personne pendant longtemps.
— Ç’a été bizarre pour moi, avoua Aris, l’air perdu dans ses pensées. Je suis resté dans le coma quelques jours, et à mon réveil, j’ai trouvé tout naturel de m’adresser à Rachel de cette façon. Si elle avait refusé de me répondre, je crois que j’aurais pété les plombs. Les autres filles du groupe me détestaient ; certaines voulaient même me tuer. Rachel a été la seule à…
Il laissa sa phrase en suspens. Minho se leva pour s’adresser à tout le monde avant qu’Aris puisse terminer ce qu’il voulait dire. Thomas n’en fut pas mécontent car il ne tenait pas à entendre un autre récit de ce qu’il avait lui-même vécu. Cela ne faisait que lui rappeler Teresa, et c’était trop douloureux. Il n’avait plus envie de penser à elle. Pour l’instant, il devait se concentrer sur sa survie.
— Il nous reste trois minutes, annonça Minho, sérieux pour une fois. Vous êtes tous décidés à venir ?
Thomas hocha la tête, ainsi que plusieurs de ses compagnons.
— Personne n’a changé d’avis pendant la nuit ? continua Minho. Parce que c’est maintenant ou jamais. Une fois en chemin, si un tocard décide de se dégonfler et de faire demi-tour, je vous garantis qu’il repartira avec le nez cassé et les noisettes en compote.
Thomas jeta un coup d’œil à Newt, qui gémissait en se tenant la main.
— Ça te pose un problème, Newt ? demanda Minho d’une voix étonnamment dure.
Choqué, Thomas guetta la réaction de Newt. Ce dernier parut tout aussi surpris.
— Heu… non. J’admirais tes talents de leader, c’est tout.
Minho écarta son tee-shirt de son cou, en se penchant pour montrer son tatouage à tout le monde.
— Qu’est-ce que tu lis ici, tête de pioche ?
Newt regarda à droite et à gauche en rougissant.
— On sait que tu es le chef, Minho. Écrase.
— Non, toi, écrase ! rétorqua Minho en le pointant du doigt. On n’a pas beaucoup de temps. Alors boucle-la !
Thomas ne put qu’espérer que Minho jouait la comédie pour consolider leur décision de le prendre comme chef, et que Newt comprendrait. Il fallait convenir que, dans son rôle, il était plutôt convaincant.
— Six heures pile ! s’écria l’un des blocards.
Comme si cette annonce avait déclenché quelque chose, le mur invisible devint opaque, prenant une coloration laiteuse. Une fraction de seconde plus tard il disparut. Thomas remarqua tout de suite le changement dans le mur d’en face : un large pan s’était transformé en surface grise scintillante.
— Allez ! cria Minho en passant un bras dans la boucle de son sac et en tenant son eau dans l’autre main. Ne traînez pas. On a cinq minutes pour traverser. Je vais passer le premier. (Il indiqua Thomas.) Toi, le dernier… Assure-toi bien qu’on n’oublie personne.
Thomas hocha la tête, incapable d’éteindre le feu qui lui parcourait les nerfs ; il essuya son front trempé de sueur.
Minho s’avança jusqu’à la plaque grise et s’arrêta juste devant. Le transplat semblait très instable, au point que Thomas n’arrivait pas à focaliser son regard dessus. Des ombres et des tourbillons grisâtres dansaient à sa surface. La chose pulsait et se brouillait, comme si elle risquait de disparaître d’un instant à l’autre.
Minho se retourna.
— À tout à l’heure, bande de tocards !
Puis il s’avança d’un pas résolu, et le mur de grisaille l’engloutit tout entier.