Thomas mit longtemps à retrouver le sommeil.
Il ne doutait pas que c’était Teresa. Pas une seconde. Il avait ressenti sa présence, ses émotions, comme chaque fois qu’ils s’étaient parlé de cette façon. Elle avait été là, avec lui, brièvement. Et quand elle était partie, le vide immense s’était rouvert en lui.
Qu’était-elle venue faire ? Le prévenir qu’un truc terrible allait lui arriver, mais qu’il devrait lui faire confiance ? Il avait beau retourner la chose dans tous les sens, ça ne voulait rien dire. Et aussi inquiétant que son avertissement puisse paraître, il en revenait constamment à sa dernière phrase, à propos de leurs retrouvailles. Était-ce un faux espoir qu’elle lui faisait miroiter ? Une manière de lui faire comprendre qu’il surmonterait l’épreuve et en ressortirait indemne pour être de nouveau avec elle ? Les nombreuses hypothèses aboutissaient toutes à une impasse déprimante.
La journée devenait de plus en plus chaude tandis qu’il se retournait, trop agité pour dormir. Il s’était presque habitué à l’absence de Teresa, ce qui le rendait malade. Pour ne rien arranger, il avait l’impression de l’avoir trahie en laissant Brenda devenir son amie, en se rapprochant d’elle.
Il fut tenté de réveiller Brenda pour lui parler de sa situation. Était-ce mal ? Il se sentait tellement frustré, tellement stupide qu’il avait envie de hurler.
Pas l’idéal pour quelqu’un qui essayait de s’endormir par une chaleur accablante.
Le soleil était déjà à mi-chemin de l’horizon losqu’il y réussit enfin.
*
Il se sentait un peu mieux quand Newt le secoua doucement pour le réveiller. À présent, la visite de Teresa n’était guère plus qu’un rêve. Il aurait presque pu croire qu’elle n’avait jamais eu lieu.
— Bien dormi, Tommy ? Comment va ton épaule ?
Thomas s’assit en se frottant les yeux. Il n’avait sans doute pas dormi plus de trois ou quatre heures, mais son sommeil avait été réparateur. Il se massa l’épaule et fut de nouveau surpris par ses sensations.
— Plutôt bien, en fait. Ça tire encore un peu, mais rien de grave. Quand je pense à quel point ça me faisait mal…
Newt jeta un coup d’œil aux autres qui se préparaient à lever le camp, puis ramena son attention sur Thomas.
— On n’a pas beaucoup discuté depuis qu’on a quitté ce foutu dortoir, hein ? Pas vraiment eu le temps de prendre le thé.
— Eh non.
Sans savoir pourquoi, cette réflexion ranima chez Thomas le souvenir douloureux de la perte de Chuck. Ce qui le fit détester d’autant plus les personnes qui en étaient responsables. La phrase de Teresa lui revint en mémoire.
— Je ne vois pas comment on peut considérer le WICKED comme gentil.
— Pardon ?
— Tu te rappelles ce qu’il y avait d’écrit sur les bras de Teresa quand elle est arrivée au Bloc ? Ça disait WICKED is good – le méchant est bon. Je trouve ça plutôt difficile à croire, conclut-il d’un ton sarcastique.
Newt le dévisagea avec un étrange sourire.
— Oh, ils viennent quand même de te sauver la vie.
— Oui, ça, c’était gentil.
Thomas devait admettre qu’il était perplexe. Ceux du WICKED lui avaient bel et bien sauvé la vie. De plus, il avait travaillé pour eux. Mais il ne savait plus quoi en penser.
Brenda, qui commençait à s’agiter dans son sommeil, finit par s’asseoir avec un gros bâillement.
— Bonjour. Enfin, bonsoir. Enfin, bref.
— Une journée de plus en vie, dit Thomas.
Puis il se rendit compte que Newt n’avait peut-être pas encore parlé à Brenda. Il ignorait complètement ce qui avait pu se passer dans le groupe depuis qu’il avait pris cette balle.
— Je suppose que vous avez déjà fait connaissance, tous les deux ? Sinon, Brenda, je te présente Newt. Newt, Brenda.
— Oui, on se connaît, répondit Newt, qui se pencha néanmoins pour serrer la main de la jeune fille avec un air moqueur. Mais encore merci pour avoir évité à cette mauviette de se faire botter les fesses pendant votre petite escapade.
Un mince sourire éclaira le visage de Brenda.
— Notre escapade. C’est ça. J’ai surtout apprécié le moment où tous ces fondus voulaient nous couper le nez. (Elle afficha un bref instant une expression étrange, entre la gêne et le désespoir.) J’imagine que j’irai grossir leurs rangs dans pas longtemps.
Thomas ne savait pas comment réagir à ça.
— Tu ne dois pas en être à un stade beaucoup plus avancé que nous. N’oublie pas…
Brenda ne le laissa pas terminer.
— Oui, oui. Vous allez me conduire au remède miracle. Je sais.
Elle se leva, mettant fin à la conversation.
Thomas jeta un regard à Newt. Ce dernier haussa les épaules. Puis, au moment de se lever, il se pencha vers Thomas et lui glissa à l’oreille :
— C’est ta nouvelle copine ? Je le dirai à Teresa.
Après quoi, il s’éloigna en ricanant.
Thomas resta assis là une minute, avec le sentiment d’être complètement dépassé. Teresa, Brenda, ses amis. L’avertissement qu’il avait reçu. La Braise. Le fait qu’ils n’avaient plus que quelques jours pour franchir les montagnes. Le WICKED. Le refuge et l’avenir qui les attendaient.
C’était trop pour lui. Beaucoup trop.
Il fallait qu’il arrête de réfléchir. Il avait faim, et ça au moins, c’était un problème à sa portée. Il se leva donc pour chercher quelque chose à manger. Et Poêle-à-frire lui apporta la solution.
*
Ils se mirent en marche à l’instant où le soleil s’enfonçait derrière la ligne d’horizon, en donnant à la terre poussiéreuse une coloration presque violette. Thomas, en proie à des crampes et à de vagues douleurs, avait hâte de transpirer un bon coup et de se dérouiller les jambes.
Les montagnes se changèrent progressivement en pics noirs et déchiquetés, de plus en plus hauts. Il n’y avait pas de contreforts à proprement parler : la plaine se poursuivait jusqu’au pied des montagnes qui se dressaient à pic vers le ciel, tout en falaises et en pentes abruptes. Brunes et laides, sans vie. Thomas espérait qu’ils trouveraient un sentier en arrivant là-bas.
Tout le monde marchait en silence. Brenda, qui n’était pas loin, demeurait muette. Même à Jorge, elle n’adressait pas la parole. Thomas détestait cette gêne qui s’était installée entre elle et lui. Parce qu’il l’aimait bien, probablement plus que n’importe qui d’autre en dehors de Newt et de Minho. Et de Teresa, bien sûr.
Newt s’approcha de lui après la tombée de la nuit, alors qu’ils n’avaient plus que la lune et les étoiles pour guides. Leur clarté suffisait : pas besoin de plus d’éclairage pour avancer sur un sol plat en direction d’un mur de roche droit devant. On n’entendait que les crissements de leurs pas dans la poussière.
— J’ai pensé à un truc, commença Newt.
— Ah oui ? À quoi ?
Thomas ne s’y intéressait pas vraiment ; il se réjouissait simplement d’avoir un compagnon à qui parler pour se changer les idées.
— Au WICKED. Tu sais, ces gars-là ont enfreint leurs propres règles à cause de toi.
— Comment ça ?
— Ils ont d’abord dit qu’il n’y en avait pas. Qu’on devait atteindre le refuge dans le temps imparti, et basta. Aucune règle. Des gens meurent, à droite à gauche, et voilà qu’ils descendent du ciel dans une saleté de monstre volant pour venir te sauver ? Ça n’a pas de sens. (Il fit une pause.) Je ne me plains pas, remarque, je suis très content que tu t’en sois sorti.
— Tant mieux.
Thomas savait que Newt mettait le doigt sur un point important, mais il ne voulait pas y penser.
— Et puis, il y a aussi tous ces panneaux placardés dans la ville avec ton nom dessus. Très bizarre.
Thomas jeta un regard à son ami, dont il distinguait à peine les traits dans l’obscurité.
— Ne me dis pas que tu es jaloux ? protesta-t-il sur le ton de la plaisanterie, comme si ces panneaux n’avaient aucune importance.
Newt s’esclaffa.
— Mais non, tocard ! J’ai juste envie de comprendre ce qui se passe. De connaître le fin mot de l’histoire.
— Oui, acquiesça Thomas, qui partageait la même curiosité. La femme a dit que seuls quelques-uns d’entre nous feraient de bons Candidats. Et que j’étais le meilleur, et qu’ils ne tenaient pas à me voir mourir pour une raison imprévue. Mais je n’ai aucune idée de ce dont elle parlait. Je sais seulement que ça avait un rapport avec cette saloperie de zone mortelle et de schémas.
Ils marchèrent une minute en silence, après quoi Newt conclut :
— Pas la peine de nous retourner le cerveau dans tous les sens. On verra bien comment tout ça finira.
Thomas faillit lui parler de l’avertissement de Teresa, mais son instinct lui conseilla de s’abstenir.
Il se tut donc, et au bout d’un moment, Newt s’éloigna et Thomas continua seul dans le noir.
*
Il s’écoula deux heures avant qu’il ait une autre discussion, avec Minho cette fois. Ils échangèrent longuement, mais sans se dire grand-chose. C’était surtout une façon de passer le temps, en ressassant les mêmes interrogations qui les avaient tenaillés un million de fois.
Thomas commençait à avoir mal aux jambes, mais ça restait supportable. Les montagnes se rapprochaient. L’air s’était considérablement rafraîchi, ce qu’il trouvait merveilleux.
Brenda demeurait silencieuse et distante.
*
Quand les premières lueurs de l’aube teintèrent le ciel d’un bleu profond et que les étoiles commencèrent à s’éteindre, Thomas trouva enfin le courage d’aborder Brenda. Les falaises étaient proches désormais, et on commençait à distinguer des arbres morts et des blocs rocheux. Ils atteindraient le pied des montagnes avant que le soleil ne pointe à l’horizon, ça ne faisait aucun doute.
— Hé, fit Thomas, tu tiens le coup ?
— Ça va, répondit-elle d’un ton cinglant, avant de poursuivre aussitôt, peut-être pour se faire pardonner : Et toi ? Ton épaule ?
— Ça va beaucoup mieux, c’est incroyable. Je n’ai pratiquement plus mal.
— Tant mieux.
— Oui.
Il se creusa la cervelle pour trouver quelque chose à dire.
— Écoute, heu… je suis désolé pour tout ce qui s’est passé. Et… heu… pour ce que je t’ai dit. Tout est un peu chamboulé dans ma tête en ce moment.
Elle leva les yeux vers lui, et il lut de la douceur dans son regard.
— Arrête, Thomas. Tu n’as pas à t’excuser. On est différents, c’est tout. Et puis, tu as une petite amie. Je n’aurais pas dû essayer de t’embrasser.
— Ce n’est pas vraiment ma petite amie.
Il regretta aussitôt d’avoir dit ça, ignorant ce qui lui avait pris.
Brenda se vexa.
— Ne me prends pas pour une idiote. Et ne m’insulte pas. Si tu veux résister à tout ça, dit-elle en se passant les mains depuis la tête jusqu’aux hanches, tu as intérêt à avoir une bonne raison.
Elle lui fit un sourire moqueur. Thomas rit. La tension et la gêne accumulées entre eux venaient de se dissiper d’un coup.
— Je m’en souviendrai. Tu embrasses probablement comme un pied, de toute façon.
Elle lui donna un coup de poing dans l’épaule… celle valide, heureusement.
— Tu ne t’imagines pas à quel point tu te trompes. Tu peux me croire sur parole.
Thomas s’apprêtait à lui lancer une repartie stupide quand il s’arrêta net. La personne qui le suivait lui fonça dedans avant de le contourner, mais il ne vit pas qui c’était : son regard était fixé sur l’horizon, son cœur avait cessé de battre.
Le ciel s’était considérablement éclairci et les montagnes se dressaient à présent à moins de cent mètres. À mi-chemin, une fille semblait avoir surgi de nulle part. Et elle s’avançait vers eux d’un bon pas.
Elle tenait entre ses mains une sorte d’épieu à long manche terminé par une lame à l’aspect inquiétant.
C’était Teresa.