Thomas ne savait pas comment interpréter ce qu’il voyait. Il n’éprouvait ni surprise ni joie à constater que Teresa était vivante – il le savait déjà. Elle lui avait parlé la veille. Mais la voir en chair et en os lui remonta quand même le moral. Jusqu’à ce qu’il se rappelle son avertissement. Et le fait qu’elle tenait un épieu.
Les autres blocards l’aperçurent juste après lui. Bientôt tout le monde s’était arrêté pour fixer avec de grands yeux Teresa qui marchait droit sur eux, les mains crispées sur le manche de son arme, le visage dur comme de la pierre. Elle semblait prête à éventrer le premier qui bougerait.
Thomas avança d’un pas, sans idée précise en tête, avant de se figer.
De part et d’autre de Teresa, des filles venaient d’apparaître, elles aussi comme tombées du ciel. Il jeta un coup d’œil derrière lui. Ils étaient encerclés par une bonne vingtaine de filles.
Et toutes brandissaient des armes : des couteaux, des épées rouillées ou des machettes ébréchées. Plusieurs avaient des arcs et des flèches, qu’elles pointaient sur les blocards d’un air menaçant. Thomas se mit à avoir peur. Malgré ce qu’elle lui avait dit, Teresa laisserait-elle ces filles leur faire du mal ?
« Le groupe B », songea-t-il. Son tatouage ne faisait-il pas de lui leur victime désignée ?
Il en était là de ses réflexions quand Teresa s’arrêta à une dizaine de mètres de leur groupe. Ses compagnes firent de même, en formant un cercle parfait autour des blocards. Thomas tourna lentement sur lui-même pour les examiner une par une. Elles se tenaient bien droites, les yeux plissés, les armes prêtes. Il se méfiait surtout des arcs : lui et les autres n’auraient pas le temps de faire quoi que ce soit qu’ils seraient déjà criblés de flèches.
Il s’immobilisa face à Teresa. Elle ne l’avait pas quitté des yeux.
Minho fut le premier à prendre la parole.
— Qu’est-ce que c’est que ce cirque, Teresa ? Drôle de façon d’accueillir tes vieux copains.
Brenda se tourna vers Thomas et le regarda avec intérêt. Il acquiesça brièvement de la tête. Son expression de surprise le rendit triste, sans qu’il sache trop pourquoi.
Teresa ne répondit rien, et un silence inquiétant s’abattit sur les deux groupes. Le soleil continuait à se lever ; il atteindrait bientôt le point où sa chaleur deviendrait insupportable.
Teresa s’approcha à trois mètres de Minho et de Newt, debout côte à côte.
— Teresa ? fit Newt. Bon sang, qu’est-ce que… ?
— Ta gueule ! le coupa Teresa.
Elle avait dit ça calmement, sans crier, mais avec une telle conviction que Thomas la trouva d’autant plus inquiétante.
— Au premier qui bouge, les flèches se mettent à voler, prévint Teresa.
Serrant fort son épieu, elle passa entre Newt et Minho et traversa le groupe des blocards comme si elle cherchait quelque chose. Elle s’arrêta un bref instant devant Brenda. Les deux filles n’échangèrent pas un mot, mais la haine qui les opposait était palpable. Teresa se remit en marche, sans baisser son regard glacial.
Elle arriva devant Thomas. Il voulait croire qu’elle n’allait pas utiliser son arme contre lui. Mais ce n’était pas si facile de s’en convaincre quand on se trouvait du mauvais côté de la lame.
— Teresa, murmura-t-il sans réfléchir.
Malgré l’épieu, malgré son regard dur, malgré ses muscles bandés comme si elle était sur le point de l’éventrer, il n’avait qu’une envie : la prendre dans ses bras. Il ne pouvait s’empêcher de se rappeler le baiser qu’elle lui avait donné. Ce qu’il avait ressenti.
Elle n’eut pas d’autre réaction que de continuer à le toiser.
— Teresa, qu’est-ce qui te… ?
— Ferme-la.
Cette même voix calme. Empreinte d’une autorité absolue. Ça ne lui ressemblait pas.
— Mais pourquoi… ?
Teresa se recula et lui balança le manche de son épieu en plein dans la joue droite. Une explosion de douleur se répandit dans son crâne. Il tomba à genoux en se tenant la mâchoire.
— Je t’ai dit de la fermer !
Elle se pencha, l’empoigna par le devant de sa chemise et le releva brutalement. Elle reprit son épieu à deux mains et le pointa sur lui.
— Tu t’appelles bien Thomas ?
Il la dévisagea avec stupéfaction. Le monde s’écroulait autour de lui, même s’il se répétait qu’elle l’avait prévenu et surtout qu’elle lui avait demandé de lui faire confiance, quoi qu’il arrive.
— Tu sais parfaitement qui…
Elle lui asséna un deuxième coup de manche, encore plus violent cette fois, au niveau de l’oreille droite. La douleur fut deux fois plus forte. Il poussa un cri, la main sur l’oreille. Mais il parvint à rester debout.
— Tu sais parfaitement qui je suis ! hurla-t-il.
— Je le savais, oui, répliqua-t-elle d’une voix à la fois douce et remplie de dégoût. Maintenant, je vais te le redemander encore une fois. Tu t’appelles bien Thomas ?
— Oui ! s’écria-t-il. Je m’appelle Thomas !
Teresa hocha la tête, puis recula, sans baisser son épieu. Les blocards s’écartèrent tandis qu’elle traversait leur groupe et rejoignait le cercle des filles.
— Tu viens avec nous, Thomas, annonça-t-elle. Les autres, rappelez-vous qu’au premier qui tente quoi que ce soit, on tire.
— Pas question ! cria Minho. Vous ne l’emmènerez nulle part !
Teresa fit comme si elle n’avait pas entendu, les yeux rivés sur Thomas entre ses paupières mi-closes.
— On ne plaisante pas, là. Je vais commencer à compter. Chaque fois que j’arriverai à un multiple de cinq, on abattra l’un d’entre vous. Et on continuera jusqu’à ce qu’il ne reste plus que Thomas. C’est à vous de voir.
Thomas s’aperçut qu’Aris se comportait de manière étrange. Il se tenait à quelques pas de lui et n’arrêtait pas de tourner lentement sur lui-même, en dévisageant chaque fille, comme s’il les connaissait. Mais sans ouvrir la bouche.
« Bien sûr », songea Thomas. S’il s’agissait bien du groupe B, Aris en avait fait partie. Évidemment qu’il les connaissait.
— Un ! compta Teresa.
Thomas ne prit aucun risque. Il s’avança en écartant ses compagnons et marcha droit vers Teresa, sans écouter les protestations de Minho et des autres. Les yeux sur Teresa, en montrant le moins d’émotion possible, il s’avança jusqu’à se retrouver quasiment nez à nez avec elle.
C’était ce qu’il avait souhaité, de toute façon, non ? Être de nouveau avec elle. Même si on semblait l’avoir remontée contre lui. Même si elle était manipulée par le WICKED, comme Alby et Gally avant elle. On avait très bien pu lui faire perdre la mémoire. Mais ça n’avait pas d’importance. Elle n’avait pas l’air de plaisanter, et il ne tenait pas à voir l’un de ses amis se prendre une flèche.
— Très bien, dit-il. Je vous accompagne.
— Je n’ai compté que jusqu’à un.
— Que veux-tu, je n’ai jamais su te résister.
Elle le cogna avec son épieu, si fort qu’il s’écroula par terre. Sa mâchoire et sa tête lui donnaient l’impression d’être en feu. Il cracha et vit son sang dans la poussière.
— Apportez le sac, ordonna Teresa.
Du coin de l’œil il vit s’approcher deux filles, qui avaient rangé leurs armes. L’une d’elles, une Noire aux cheveux coupés en brosse, tenait un sac de grosse toile. Elles s’arrêtèrent devant lui. Il se redressa à quatre pattes, sans se relever complètement, de peur de se faire encore frapper.
— On l’emmène avec nous ! cria Teresa. Si vous essayez de nous suivre, je recommence à le cogner et on vous tire dessus. Sans se donner la peine de viser. On lâchera des flèches au hasard et on verra bien où elles tomberont.
— Teresa ! s’écria Minho. Tu es déjà malade à ce point ? Parce que tu as l’air d’avoir complètement pété les plombs.
Thomas se prit un coup de manche d’épieu à l’arrière du crâne. Il s’étala sur le ventre et vit des mouches noires danser dans la poussière devant ses yeux. Comment pouvait-elle lui faire ça ?
— Quelqu’un veut encore ajouter quelque chose ? reprit Teresa. (Un long silence suivit.) C’est bien ce que je pensais. Enfilez-lui le sac.
On empoigna Thomas par l’épaule et on le retourna sur le dos. Pour la première fois depuis que le WICKED l’avait soigné, sa blessure lui envoya une douleur violente dans tout le haut du corps.
Il gémit. Les deux filles se penchèrent sur lui en approchant le sac de sa tête.
— Laisse-toi faire, lui recommanda la Noire, dont le visage luisait de sueur. Ce sera moins pénible pour toi.
Thomas était perplexe. Son regard et sa voix semblaient lui témoigner une sympathie sincère. Mais ce qu’elle ajouta lui ôta ses doutes.
— Autant nous suivre et te laisser tuer sans faire d’histoire. Pas la peine de dérouiller pour rien.
Le sac s’abattit sur sa tête, et il se retrouva plongé dans une pénombre brunâtre.