CHAPITRE 47
Durant quelques heures, Thomas eut un sommeil agité. Enfin profondément endormi il rêva.
*
Il a quinze ans. Il ignore comment il le sait. Un truc en rapport avec la chronologie de son souvenir. Est-ce un souvenir ?
Teresa et lui sont assis devant un immense mur d’écrans, affichant différentes vues du Bloc et du Labyrinthe. Certaines images se déplacent, et il sait pourquoi. Elles sont filmées par des scaralames qui changent de position régulièrement. Quand ils le font, on a l’impression de voir depuis les yeux d’un rat.
— Je n’arrive pas à croire qu’ils sont tous morts, avoue Teresa.
Thomas est perplexe. Une fois de plus, il ne comprend pas ce qui lui arrive. Il est dans la peau de ce garçon censé être lui, et pourtant il ne sait pas de qui parle Teresa. Pas des blocards, de toute évidence. Il aperçoit Minho et Newt sur un écran, qui se dirigent vers le bois, et sur un autre, Gally, assis sur un banc. Puis Alby, en train de houspiller quelqu’un que Thomas ne reconnaît pas.
— On savait que ça finirait par arriver, dit-il, sans comprendre ce qu’il entend par là.
— C’est quand même difficile à encaisser. (Ils se parlent sans se regarder, le regard rivé sur les écrans.) Il ne reste plus que nous, maintenant, et ceux dans les baraquements.
— Ce n’est pas plus mal, observe Thomas.
— Je me sens presque aussi mal pour eux que pour les blocards.
Thomas s’interroge là-dessus pendant que son avatar, plus jeune, se racle la gorge.
— Tu crois qu’on en sait suffisamment ? Tu crois vraiment qu’on a une chance de réussir malgré la disparition des Créateurs ?
— Il le faut, Tom. (Teresa s’approche et lui prend les mains. Il baisse les yeux vers elle mais ne parvient pas à déchiffrer son expression.) Tout est en place. Il nous reste un an pour former nos remplaçants et nous préparer.
— Mais ce n’est pas juste ! Comment peut-on leur demander de… ?
Teresa lève les yeux au ciel et lui serre les mains au point de lui faire mal.
— Ils savent dans quoi ils s’engagent. Ça ne sert à rien de revenir là-dessus.
— Je sais.
Thomas est conscient que cette version de lui-même qu’il voit dans son rêve se sent morte à l’intérieur. Ses paroles n’ont aucun sens.
— Tout ce qui compte, ce sont les schémas. La zone mortelle. Rien d’autre.
Teresa acquiesce.
— Peu importe le nombre de morts ou de blessés. Si les variables échouent, ils sont condamnés. Comme tout le monde.
— Les schémas, répète Thomas.
Elle lui presse la main.
— Les schémas.
*
À son réveil, alors que le jour s’estompait et que le soleil s’enfonçait derrière un horizon qu’il ne pouvait pas voir, il découvrit Harriet et Sonya assises devant lui. Elles le dévisageaient d’un air étrange.
— Bonsoir, mesdames, leur lança-t-il avec un enthousiasme feint, encore troublé par son rêve. Puis-je faire quelque chose pour vous ?
— Tu pourrais nous raconter ce que tu sais, répondit Harriet à voix basse.
Les dernières brumes du sommeil qui lui obscurcissaient le cerveau se dissipèrent rapidement.
— Et pourquoi je vous aiderais ?
Il aurait voulu prendre le temps de réfléchir à son rêve, mais il sentait que la situation avait changé – il le lisait dans le regard d’Harriet –, et il ne pouvait pas laisser passer cette occasion.
— Oh, tu n’as pas tellement le choix, répliqua Harriet. Parce que si tu nous racontes ce que tu as découvert ou deviné, c’est peut-être nous qui pourrons t’aider.
Thomas chercha Teresa du regard.
— Où est passée… ?
Sonya l’interrompit.
— Partie en reconnaissance au cas où tes amis nous auraient suivies. Ça fait plus d’une heure, maintenant.
Thomas revit la Teresa de son rêve, observant les écrans, évoquant la mort des Créateurs et la zone mortelle. Et aussi les schémas. Que fallait-il penser de tout ça ?
— Tu as avalé ta langue ?
Son regard se posa sur Sonya.
— Non, mais… est-ce que ça veut dire que vous avez changé d’avis à mon sujet ? Vous ne voulez plus me tuer ?
Harriet lui fit un petit sourire.
— Ne commence pas à te faire des idées. Et ne va pas croire qu’on est tout à coup devenues gentilles. Disons simplement qu’on a un doute et qu’on est prêtes à discuter… mais tes chances restent minces.
Sonya prit le relais :
— La meilleure chose à faire dans l’immédiat serait sûrement que nous obéissions aux instructions que nous avons reçues. On est beaucoup plus nombreuses que vous. Franchement, à notre place, qu’est-ce que tu déciderais ?
— Oh, je suis à peu près sûr que je choisirais de m’épargner.
— Très drôle. Sérieusement, si tu devais choisir entre ta mort et celle de chacune d’entre nous, qu’est-ce que tu choisirais ? Parce qu’au fond, c’est à ça que ça se résume.
Elle affichait le plus grand sérieux, et la question cueillit Thomas comme un coup de poing dans le ventre. En un sens, elle n’avait pas tort. Si le dilemme se posait vraiment en ces termes, si elles se condamnaient à mort en refusant de l’éliminer, comment pouvait-il espérer qu’elles l’épargnent ?
— Alors ? insista Sonya.
— Je réfléchis.
Il marqua une pause, le temps de s’essuyer le front. De nouveau, son rêve s’imposa dans son esprit et il dut le refouler.
— D’accord, je vais vous répondre sincèrement. Promis ! Si j’étais à votre place, je refuserais de me tuer.
Harriet leva les yeux au ciel.
— Facile à dire pour toi, vu que c’est ta vie qui est en jeu.
— Pas uniquement pour ça. Je crois qu’il s’agit d’une sorte de test, et peut-être que la bonne réaction n’est pas de me tuer.
Thomas sentit son pouls s’emballer. Il pensait vraiment ce qu’il disait, mais il doutait de parvenir à les convaincre.
— Peut-être qu’on aurait effectivement intérêt à mettre nos informations en commun et à voir ce qui en ressort.
Harriet et Sonya échangèrent un long regard.
Sonya finit par hocher la tête, puis Harriet dit :
— Depuis le début cette histoire ne nous plaît pas. Il y a quelque chose de louche là-dessous. Je crois que tu as intérêt à tout nous déballer. Mais d’abord, allons chercher les autres.
Elles se levèrent pour réveiller leurs camarades.
— Dépêchez-vous, leur lança Thomas. (Il se demandait s’il avait réellement une chance d’arranger les choses.) Il vaudrait mieux avoir cette conversation avant le retour de Teresa.