CHAPITRE 54
Des murmures dans le noir.
Voilà ce qu’entendit Thomas quand il reprit connaissance. Des chuchotements secs qui lui écorchaient les tympans comme du papier de verre. Il n’en comprenait pas un mot. Il faisait tellement noir qu’il mit du temps à se rendre compte qu’il avait les yeux ouverts.
Quelque chose de dur et de frais lui écrasait le visage. Le sol. Il n’avait pas bougé depuis que le gaz l’avait mis K.-O. Contre toute attente, sa tête ne lui faisait plus mal. En fait, il n’éprouvait plus aucune douleur. Il ressentait plutôt une vague d’euphorie qui lui donnait le vertige. Peut-être était-ce simplement le bonheur d’être en vie.
Il fit glisser ses mains sous lui et se redressa en position assise. Pas la moindre lueur, aussi infime soit-elle, ne venait atténuer le noir total. Il se demanda ce qu’était devenue la lumière verdâtre de la porte que Teresa avait refermée sur lui.
Teresa.
Son euphorie retomba, douchée par le souvenir de ce qu’elle lui avait fait. Toutefois…
*
Il n’était pas mort. Sauf si la vie après la mort se résumait à une minuscule pièce noire.
Il se reposa quelques minutes, le temps de reprendre ses esprits et de se calmer. Il se leva et commença à tâtonner autour de lui. Trois parois métalliques hérissées de saillies à intervalles réguliers. Une paroi lisse qui donnait la sensation d’être en plastique. Il se trouvait bien dans la même pièce.
Il tambourina à coups de poing contre la porte.
— Ohé ! Il y a quelqu’un ?
Les pensées se bousculaient dans sa tête. Ses rêves-souvenirs, maintenant nombreux… tant de questions, tant d’énigmes à résoudre. Les détails qui avaient commencé à lui revenir dans le Labyrinthe avec la Transformation s’emboîtaient peu à peu, s’étoffaient. Il avait participé aux plans du WICKED. Teresa et lui avaient été proches – les meilleurs amis du monde. Tout ça lui avait semblé juste. Il avait eu l’impression d’agir pour le bien commun.
Pourtant, il n’en était plus aussi sûr. Il éprouvait de la colère et de la honte. Comment justifier leurs agissements ? Qu’est-ce que le WICKED et lui avaient en tête ? Car même s’il ne se considérait pas comme tel, les autres et lui n’étaient que des gosses. Des gosses ! Il n’aimait pas beaucoup ce qu’il avait appris sur lui-même. À quel moment avait-il atteint ce stade ? Quelque chose avait basculé en lui.
Et puis, il y avait Teresa. Comment avait-elle pu compter autant pour lui ?
Il entendit un craquement puis un sifflement.
La porte s’ouvrit, en pivotant lentement vers l’extérieur. Teresa se tenait là, dans la clarté diffuse du petit matin, en larmes. Dès que l’entrebâillement fut suffisant, elle se jeta à son cou et enfouit son visage au creux de son épaule.
— Je suis désolée, Tom, dit-elle. (Il sentait ses larmes lui couler dans le cou.) Je suis vraiment, vraiment désolée. Ils disaient qu’ils te tueraient si on ne leur obéissait pas. Même si c’était affreux. Je suis désolée, Tom !
Thomas ne trouva rien à répondre et ne put se résoudre à lui rendre son étreinte. Traîtresse. L’écriteau à la porte de Teresa, les conversations entre les personnes de ses rêves. Les différentes pièces se mettaient en place. Était-elle encore en train de lui mentir ? Sa trahison signifiait qu’il ne pourrait plus jamais lui faire confiance, et son cœur lui soufflait qu’il n’arriverait pas à lui pardonner.
En un sens, il se rendait compte que Teresa avait tenu sa promesse initiale. Elle avait commis toutes ces choses horribles contre son gré. Elle ne lui avait pas menti dans la cabane. Mais il savait aussi que leur relation ne serait plus jamais la même.
Il finit par repousser Teresa. La sincérité qu’il lut dans ses yeux bleus ne parvint pas à apaiser ses doutes.
— Bon… et si tu m’expliquais ce qui s’est passé ?
— Je t’avais dit de me faire confiance, répondit-elle. Je t’avais prévenu qu’il allait t’arriver un truc horrible. Mais tout ça, c’était de la comédie.
Elle lui sourit, et Thomas se prit à chercher un moyen d’­oublier ce qu’elle lui avait fait.
— Hum, tu ne donnais pourtant pas l’impression d’avoir tellement de scrupules à me cogner avec ton épieu ou à me jeter dans cette chambre à gaz.
Il ne parvenait pas à cacher la méfiance qui faisait rage dans son cœur. Il jeta un coup d’œil à Aris, qui paraissait gêné, comme s’il avait surpris une conversation intime.
— Je suis désolé, s’excusa le garçon.
— Pourquoi ne pas m’avoir dit qu’on se connaissait déjà ? riposta Thomas. Pourquoi… ?
Il ne trouvait pas les mots.
— Ça faisait partie de la comédie, Tom, expliqua Teresa. Il faut nous croire. On nous avait promis depuis le début que tu ne mourrais pas. Que cette épreuve de la chambre était nécessaire, mais qu’ensuite ce serait fini. Je suis tellement désolée !
Thomas jeta un coup d’œil à la porte restée ouverte derrière lui.
— Je crois que je vais avoir besoin d’un peu de temps pour encaisser tout ça.
Teresa aurait voulu être pardonnée aussitôt, que tout redevienne comme avant. Son instinct lui conseillait de ne pas montrer son amertume, mais c’était difficile.
— Qu’est-ce qui t’est arrivé là-dedans, au fait ? demanda Teresa.
Thomas la regarda dans les yeux.
— Et si tu commençais par tout me raconter, toi ? Je crois que je l’ai mérité.
Elle essaya de lui prendre la main mais il l’esquiva, en prétextant une démangeaison dans le cou. Le chagrin qu’il lut brièvement dans son expression lui procura une pointe de satisfaction.
— Écoute, commença-t-elle, c’est vrai, tu as droit à une explication. Je crois qu’on peut tout te dire, maintenant, même si on ne comprend pratiquement rien.
Aris se racla la gorge. Il avait manifestement une objection.
— D’accord, mais… heu… on ferait mieux de le faire en marchant. Ou en courant. Il ne nous reste plus que quelques heures. C’est le grand jour, aujourd’hui.
À ces mots Thomas sortit de sa stupeur. Il consulta sa montre. Si Aris disait vrai, ils n’avaient plus que cinq heures et demie devant eux. Les deux semaines imparties étaient-elles déjà passées ? Combien de temps était-il resté dans la chambre à gaz ? Toutes les explications du monde ne serviraient à rien s’ils n’arrivaient pas au refuge. Avec un peu de chance, Minho et les autres y étaient déjà.
— Très bien. Oublions ça pour le moment, dit-il avant de changer de sujet. Est-ce qu’il y a du nouveau dehors ? Je veux dire, j’ai vu la plaine dans le noir, mais…
— On sait, le coupa Teresa. Pas le moindre bâtiment en vue. Rien du tout. C’est encore pire en plein jour. Une plaine stérile qui s’étend à perte de vue. Pas un arbre, pas une colline, et pas l’ombre d’un refuge.
Thomas se tourna vers Aris, puis vers Teresa.
— Bon, alors qu’est-ce qu’on fait ? Où on va ? (Il songea à Minho, à Newt, aux blocards, à Brenda et à Jorge.) Vous avez vu les autres ?
Aris répondit :
— Les filles de mon groupe sont en bas, en route vers le nord, comme prévu. Elles ont déjà plusieurs kilomètres d’avance. On a repéré tes amis au pied de la montagne à quelques kilomètres à l’ouest. Je n’en suis pas sûr, mais j’ai l’impression qu’ils sont au complet. Ils vont dans la même direction que les filles.
Thomas se sentit soulagé. Ses amis étaient passés… et sans pertes supplémentaires, semblait-il.
— Ne traînons pas, suggéra Teresa. Le fait qu’on ne voie rien ne veut rien dire. Si ça se trouve, le WICKED nous prépare un truc. Il faut continuer comme on nous l’a dit. Venez.
Un instant, Thomas fut tenté d’abandonner, de s’asseoir par terre et d’attendre avec fatalisme la suite des événements.
— D’accord, allons-y. Mais tu as plutôt intérêt à me dire tout ce que tu sais.
— Je le ferai, promit-elle. Vous vous sentez suffisamment en forme pour courir une fois qu’on sera à découvert ?
Aris hocha la tête, tandis que Thomas levait les yeux au plafond.
— S’il te plaît. Je suis un coureur.
Elle haussa les sourcils.
— Ah oui ? Eh bien, on verra qui se fatigue le premier.
Pour toute réponse, Thomas sortit de la grotte et s’enfonça entre les arbres morts, refusant de ressasser plus longtemps ses souvenirs et ses émotions.
*
Le ciel était sombre. La couverture nuageuse était si dense que, sans sa montre, Thomas n’aurait eu aucune notion du temps.
Des nuages. La dernière fois qu’il en avait vu…
Mais peut-être que l’orage ne serait pas aussi violent que le précédent…
Une fois sortis du bosquet d’arbres morts, ils continuèrent sans s’arrêter. Un sentier descendait vers la vallée en contrebas, en zébrant le flanc de la montagne comme une vilaine cicatrice. Thomas estima qu’il leur faudrait environ deux heures pour arriver en bas. Dévaler au pas de course cette pente abrupte semblait le plus sûr moyen de se fouler la cheville ou de se casser une jambe. Et dans ce cas, ils n’arriveraient jamais à temps.
Ils convinrent de descendre rapidement mais en restant prudents, puis de courir quand ils seraient sur le plat. Ils s’engagèrent sur le sentier – Aris, puis Thomas, puis Teresa. Les nuages sombres bouillonnaient au-dessus d’eux, brassés par des rafales qui semblaient souffler dans toutes les directions. Comme Aris l’avait dit, Thomas repéra deux groupes distincts dans la plaine désertique : ses amis blocards, encore à proximité de la montagne, et le groupe B, quelques kilomètres plus loin.
Une fois de plus, Thomas se sentit soulagé. Il descendit d’un pas plus léger.
Après le troisième lacet, Teresa s’adressa à lui dans son dos.
— Bon, je suppose qu’il vaut mieux reprendre l’histoire depuis le début.
Thomas hocha la tête. Il se sentait dans une forme physique incroyable : l’estomac plein, toutes ses douleurs envolées, l’air frais et un petit vent agréable pour se sentir en vie. Il ne savait pas ce qu’il y avait dans le gaz qu’il avait respiré, mais apparemment ça lui avait fait le plus grand bien. Pourtant, sa méfiance à l’égard de Teresa continuait à le perturber, il ne voulait pas se montrer trop gentil.
— Tout a commencé la nuit où on communiquait par télépathie, la première nuit après notre évasion du Labyrinthe. Je dormais à moitié, et tout à coup des gens ont fait irruption dans ma chambre, avec des tenues bizarres qui faisaient froid dans le dos. Un genre de combinaison avec de grosses lunettes.
— Sérieusement ? demanda Thomas.
Ça ressemblait singulièrement à la description des gens qu’il avait vus après avoir reçu la balle.
— J’ai eu une trouille bleue, et j’ai essayé de t’appeler, mais la télépathie ne marchait plus. J’ignore pourquoi, mais je n’y arrivais plus. Depuis, ça revient de temps en temps, mais seulement pour de courtes périodes.
Elle continua en s’adressant à lui mentalement.
— Tu m’entends parfaitement, là, non ?
— Oui. C’est vrai qu’Aris et toi communiquiez ensemble quand on était dans le Labyrinthe ?
— Eh bien…
Elle n’acheva pas, et quand Thomas se retourna, elle semblait soucieuse.
— Quoi ? demanda-t-il, en regardant devant lui pour éviter de trébucher et de rouler au bas de la montagne.
— Je préfère ne pas en parler pour l’instant.
— Parler de… ?
Il s’interrompit et continua mentalement.
— Parler de quoi ?
Teresa ne répondit pas.
Thomas s’efforça de crier en lui-même le plus fort possible.
— Parler de quoi ?
Elle demeura silencieuse pendant quelques secondes, puis répondit enfin :
— Oui, on a communiqué tous les deux après mon arrivée au Bloc. Surtout pendant que j’étais plongée dans ce foutu coma.