Un grand silence se fit autour de Thomas, comme s’il avait les oreilles bouchées. Il se laissa tomber à genoux en effleurant le ruban qui claquait au vent. C’était ça, leur refuge ? Pas même un bâtiment, un abri, quelque chose en dur ?
Et puis, aussi vite qu’il avait disparu, le bruit revint en force et le ramena à la réalité. Le sifflement du vent et le brouhaha des conversations.
Il se retourna vers Teresa et Minho, qui se tenaient côte à côte, tandis que derrière eux Aris pointait la tête au-dessus de leurs épaules.
Thomas jeta un coup d’œil à sa montre.
— Il nous reste un peu plus d’une heure. Notre refuge est un bâton planté dans le sol ?
Il était plongé dans la plus grande confusion : il ne savait plus quoi penser, ni quoi dire.
— On ne s’en est pas si mal sortis, tout bien réfléchi, observa Minho. On est plus de la moitié à être parvenus jusqu’ici. Encore plus chez les filles.
Thomas se releva, en essayant de dominer sa colère.
— La Braise te monte à la tête, ou quoi ? Oui, on est arrivés jusqu’ici. Sains et saufs. Devant un bâton !
Minho eut un sourire moqueur.
— Mec, on ne nous aurait pas envoyés ici sans raison. On est dans les temps. Il ne nous reste plus qu’à patienter jusqu’à expiration du délai. Il va sûrement se passer quelque chose.
— C’est bien ça qui m’inquiète, répliqua Thomas.
— Je suis d’accord avec Thomas, intervint Teresa. Après tout ce qu’on a subi, ce serait trop simple d’attendre tranquillement devant ce piquet qu’on vienne nous chercher en hélicoptère. J’ai peur de ce qui va nous tomber dessus.
— Garde ton avis pour toi, traîtresse, cracha Minho, sans rien cacher de la haine que Teresa lui inspirait. Je ne veux plus t’entendre.
Il s’éloigna d’un pas rageur. Thomas ne l’avait jamais vu aussi furieux.
Il se tourna vers Teresa qui semblait décontenancée.
— À quoi tu t’attendais ?
Elle haussa les épaules.
— J’en ai marre de m’excuser. J’ai fait ce que j’avais à faire.
Thomas n’en croyait pas ses oreilles.
— Si tu le dis. Il faut que j’aille parler à Newt. Je veux…
Avant qu’il ne puisse terminer, Brenda émergea de la foule et les dévisagea tour à tour, Teresa et lui. Le vent faisait voler ses cheveux, qu’elle devait constamment ramener derrière ses oreilles.
— Brenda, dit-il.
Il se sentait coupable tout à coup.
— Salut, lui lança Brenda en venant se planter devant Teresa et lui. C’est la fille dont tu m’as parlé quand on se pelotait dans le camion, tous les deux ?
— Oui, répondit Thomas sans réfléchir. Non ! Enfin, je veux dire… oui.
Teresa tendit la main à Brenda, qui la serra.
— Je m’appelle Teresa.
— Enchantée, fit Brenda. Je suis une fondue. Je suis en train de perdre la boule petit à petit. Parfois, j’ai envie de me grignoter les doigts et de tuer. Mais Thomas m’a promis de me sauver la vie.
Elle avait fait cette déclaration sans décoincer un sourire.
Thomas se retint de grimacer.
— Très drôle, Brenda.
— Contente de voir que tu prends ça avec humour, dit Teresa.
Mais son visage aurait suffi à changer de l’eau en glace.
Thomas consulta sa montre. Il leur restait encore cinquante-cinq minutes.
— Je… heu… j’ai besoin de parler à Newt.
Il tourna les talons et s’éclipsa avant que l’une ou l’autre des deux filles n’ait le temps d’ajouter quoi que ce soit. Il voulait mettre le plus de distance possible entre elles et lui.
Il trouva Newt assis par terre en compagnie de Poêle-à-frire et de Minho. À voir leur expression, on aurait cru qu’ils attendaient la fin du monde.
Le vent cinglant s’était chargé d’humidité, et les nuages sombres qui bouillonnaient au-dessus de leurs têtes étaient considérablement descendus, comme un brouillard épais prêt à engloutir la terre. Des lumières flamboyaient çà et là dans le ciel, teintant la grisaille de reflets orange et pourpres. Thomas n’avait pas encore vu d’éclair, mais il savait que ça ne tarderait pas. Le premier orage avait commencé exactement de la même manière.
— Salut, Tommy ! lui lança Newt en le voyant approcher.
Thomas s’assit à côté de ses amis, les genoux entre les bras. Deux mots tout simples, sans la moindre émotion. Comme si Thomas était simplement parti se balader.
— Content de voir que vous êtes arrivés à bon port, dit-il.
Poêle-à-frire lâcha son rire habituel aux allures de grognement animal.
— Content aussi pour toi. J’ai l’impression que tu n’as pas dû t’ennuyer avec ta déesse de l’amour. Vous vous êtes embrassés et réconciliés ?
— Pas exactement, répondit Thomas. Ça n’avait rien d’amusant.
— Eh ben, raconte ! fit Minho. Comment tu peux encore lui faire confiance ?
Thomas eut un moment d’hésitation, mais il savait qu’il devrait leur raconter toute l’histoire. Et qu’il ne servait à rien d’attendre. Il prit une profonde inspiration et commença son récit. Il évoqua le plan du WICKED le concernant, le camp, sa discussion avec le groupe B, la chambre à gaz. Ça n’était pas plus clair pour autant, mais le fait d’en parler à ses amis lui fit du bien.
— Et tu as pardonné à cette garce ? rétorqua Minho quand Thomas eut enfin terminé. Pas moi. Ces tocards du WICKED peuvent faire ce qu’ils veulent, je m’en fiche. Tu peux faire ce que tu veux, je m’en fiche. Mais je n’aurai plus confiance en elle ni en Aris. Je ne les aime pas.
Newt parut réfléchir plus sérieusement à la question.
— Ils auraient fait tout ça, ce traquenard, cette comédie, uniquement pour que tu te sentes trahi ? C’est un peu gros, non ?
— Ne m’en parle pas, marmonna Thomas. Et non, je ne lui ai pas pardonné. Mais pour l’instant je crois qu’on est dans le même bateau.
Autour de lui, la plupart des garçons et des filles étaient en train de s’asseoir, le regard perdu dans le lointain. Il n’y avait pas beaucoup d’échanges, et encore moins de mélange entre les deux groupes.
— Et vous, les gars ? demanda Thomas. Par où vous êtes passés ?
— Par une faille à travers la montagne, répondit Minho. On a dû se battre avec quelques fondus qui campaient dans une grotte, mais sinon, pas de problème. On n’a presque plus rien à boire ni à manger, par contre. Et j’ai mal aux pieds. Je suis sûr qu’une saloperie d’éclair va me frapper d’un instant à l’autre et me donner la même allure que le bacon de Poêle-à-frire.
— Oui, admit Thomas avec un coup d’œil en direction des montagnes. On devrait peut-être tirer un trait sur cette histoire de refuge et se mettre à l’abri.
Mais ce n’était pas envisageable. Pas avant l’expiration du délai, en tout cas.
— Pas question ! répliqua Newt. On n’est pas venus jusqu’ici pour faire demi-tour maintenant. Espérons juste que cette foutue tempête va se retenir encore un peu.
Il leva la tête en grimaçant vers les nuages presque noirs.
Les trois autres blocards restèrent silencieux. Le vent avait continué à se renforcer. Les rafales faisaient tellement de bruit qu’ils auraient eu du mal à s’entendre. Thomas consulta sa montre.
Encore trente-cinq minutes. Jamais l’orage ne…
— Hé ! Qu’est-ce que c’est que ça ? s’écria Minho en se dressant d’un bond ; il pointait quelque chose derrière Thomas.
Thomas se leva précipitamment, tous les sens en alerte. Il avait bien vu la peur sur le visage de Minho.
À une dizaine de mètres, le sol était en train de… s’ouvrir. Un carré parfait – d’environ cinq mètres de côté – pivotait sur lui-même. Un crissement de métal en torsion déchira l’air, plus fort que le rugissement du vent. Quand le carré eut bouclé sa rotation, la rocaille du désert avait cédé la place à une plaque noire avec un drôle d’objet fixé au milieu.
Un objet de forme oblongue, blanc, aux angles arrondis. Thomas en avait déjà vu un semblable. Plusieurs, en fait. Après leur évasion du Labyrinthe, quand ils avaient pénétré dans la grande salle d’où sortaient les Griffeurs, ils avaient trouvé un certain nombre de conteneurs de ce genre, qui ressemblaient à des cercueils. Il n’avait guère pris le temps d’y réfléchir jusqu’à maintenant, mais en voyant celui-là devant lui, il se dit que ce devait être là que restaient – dormaient ? – les Griffeurs quand ils n’étaient pas en train de chasser dans le Labyrinthe.
Avant qu’il ne puisse réagir, d’autres plaques apparurent, qui les encerclèrent.
Par dizaines.