CHAPITRE 59
Teresa tendit à Thomas un très grand couteau, presque une épée. Il ignorait d’où elle tenait cet arsenal, mais elle avait à présent un poignard en plus de son épieu.
Tandis que les géants lumineux se rapprochaient, Minho et Harriet s’adressèrent à leurs groupes respectifs pour organiser la défense ; leurs ordres et leurs cris se perdaient dans le vent sans que Thomas réussisse à les entendre. Il se détourna des monstres, le temps de jeter un coup d’œil au ciel. Des stries de foudre tombaient sous les nuages noirs, de plus en plus bas. L’odeur âcre de l’électricité imprégnait l’atmosphère.
Thomas se concentra sur la créature la plus proche de lui. Minho et Harriet avaient disposé les deux groupes en cercle. Teresa se tenait à côté de Thomas, qui restait sans voix.
Les monstres du WICKED n’étaient plus qu’à une dizaine de mètres.
Teresa attira son attention d’un coup de coude dans les côtes. Elle désigna l’une des créatures, en lui criant qu’elle avait choisi son adversaire. Il hocha la tête, avant de lui indiquer la sienne.
Huit mètres.
Thomas songea tout à coup que c’était une erreur de les attendre et qu’ils devraient plutôt se déployer. Minho devait avoir eu la même idée.
— En avant, ordonna leur chef, d’une voix assourdie par la tempête. Chargez !
Un flot de pensées confuses traversa l’esprit de Thomas : de l’inquiétude pour Teresa, malgré les changements intervenus entre eux, pour Brenda, qui se tenait, stoïque, un peu plus loin sur la ligne de front, et du regret qu’ils ne se soient pratiquement plus parlé depuis leurs retrouvailles. Il espérait qu’elle n’avait pas fait tout ce chemin pour mourir sous les coups de ces créatures artificielles. Il pensa aux Griffeurs, à Chuck et à Teresa lors de leur charge dans le Labyrinthe pour atteindre la Falaise, aux blocards qui s’étaient battus et étaient morts pour leur donner le temps de faire le code et de tout arrêter.
Il se souvint de ce qu’ils avaient enduré pour arriver aussi loin et affronter une fois de plus des monstres biotechnologiques envoyés par le WICKED. Il se demanda s’il y avait un sens à tout ça, si cela valait vraiment la peine de continuer à se battre. L’image de Chuck poignardé à sa place lui revint en mémoire. Et ce fut l’étincelle qui mit le feu aux poudres et l’arracha à ces nanosecondes de doute et de terreur. Hurlant à pleins poumons, il brandit son grand couteau à deux mains et fonça droit sur la créature.
Les autres s’élancèrent eux aussi, à sa droite et à sa gauche, mais il les ignora. S’il ne parvenait pas à éliminer son adversaire, s’inquiéter pour les autres ne rimerait à rien.
Il se rapprochait. Cinq mètres. Trois mètres. Deux. La créature, immobile, s’était campée sur ses jambes et l’attendait, les mains tendues, ses lames pointées sur Thomas. Ses lumières orange clignotaient, comme si l’entité avait bien un cœur qui battait dans sa poitrine. L’absence de visage avait quelque chose de troublant, mais cela aidait Thomas à la considérer comme une vulgaire machine, qui voulait sa mort.
Juste avant de l’atteindre, Thomas prit une décision. Il se laissa glisser sur les genoux et balança son couteau en arc derrière lui, fauchant la jambe gauche du monstre de toute la force de ses deux bras. La lame s’enfonça dans la chair sur plus de deux centimètres avant de rencontrer un obstacle. Le choc fit remonter un frisson dans les bras de Thomas.
La créature ne broncha pas, ne recula pas. Elle abattit ses deux mains hérissées de lames sur Thomas qui se tenait agenouillé devant elle, son arme plantée dans la jambe du monstre. Thomas parvint à dégager son couteau et fit un bond en arrière à l’instant précis où les lames cliquetaient là où sa tête s’était trouvée. Il retomba sur le dos et recula précipitamment. La créature fit deux pas en avant et le rata d’un cheveu avec les lames qui sortaient de ses pieds.
Le monstre poussa un cri, cette fois – quasiment identique au gémissement lugubre des Griffeurs –, et se laissa tomber sur le sol, cinglant le vide avec ses bras, pour tenter d’empaler Thomas. Ce dernier fit trois roulés-boulés ; les pointes en métal tintaient derrière lui sur les cailloux. Il bondit sur ses pieds et piqua un sprint sur plusieurs mètres avant de se retourner en tenant son couteau des deux mains. La créature se relevait péniblement, fendant l’air avec ses petites lames.
Thomas, essoufflé, observa du coin de l’œil ses compagnons qui se battaient autour de lui. Minho, un couteau dans chaque main, faisait pleuvoir une grêle de coups sur son adversaire, qui battait en retraite. Newt fuyait à quatre pattes dans la poussière, poursuivi par une créature visiblement blessée. La plus proche était Teresa. Elle bondissait, esquivait et frappait son adversaire avec le manche de son épieu. Dans quel but ? En tout cas, le monstre semblait sérieusement touché lui aussi.
Thomas se concentra sur son duel. Un reflet argenté lui fit baisser la tête, juste à temps pour sentir le bras de la créature lui frôler la tête. Il pivota, accroupi au ras du sol, en frappant comme il pouvait le monstre qui le manqua de peu à plusieurs reprises. Il parvint à toucher l’un des bulbes orange, qui vola en éclats dans une gerbe d’étincelles. La lumière s’éteignit ­aussitôt. Ne voulant pas tenter le sort, Thomas plongea, effectua une roulade et se releva deux mètres plus loin.
La créature avait marqué le pas, mais elle se remit bientôt à le poursuivre. Une idée se forma dans l’esprit de Thomas, et se clarifia quand il jeta un coup d’œil au combat de Teresa. Sa créature frappait maintenant de manière désordonnée, avec des gestes au ralenti. Elle continuait de viser les bulbes, qui explosaient les uns après les autres. Elle en avait déjà détruit les trois quarts.
Les bulbes ! Il suffisait de casser les bulbes. Ils étaient liés à l’énergie qui alimentait les créatures, à leur vie, à leur force. Se pouvait-il vraiment que ce soit aussi facile ?
Après un rapide regard au champ de bataille, il constata que quelques-uns avaient eu la même idée, tandis que la plupart s’échinaient désespérément à taillader les membres, les muscles, la peau, sans prêter attention aux bulbes. Deux d’entre eux gisaient déjà sur le sol, sanguinolents, inertes. Un garçon. Une fille.
Thomas changea complètement de tactique. Au lieu de charger comme une brute, il tenta de crever l’un des bulbes sur le torse de son adversaire. Il le manqua et ne réussit qu’à entailler la peau jaunâtre et fripée. La créature riposta, mais ne fit que lacérer sa chemise. Puis il frappa encore, en visant le même bulbe. Il atteint son but cette fois et creva la cible en libérant un flot d’étincelles. Le monstre s’immobilisa un instant avant de se remettre en position d’attaque.
Thomas se mit à tourner autour de la créature, à sauter, à reculer, en dardant sa lame chaque fois.
Crac, crac, crac.
L’une des lames du monstre lui entailla l’avant-bras, lui laissant une longue estafilade rouge vif. Thomas continua. Encore. Et encore.
Crac, crac, crac. Les étincelles volaient, et la créature tressaillait et sursautait à chaque coup.
Elle s’arrêtait un peu plus longtemps chaque fois. Thomas reçut encore plusieurs coupures, mais rien de grave. Il continua à cibler les sphères orange.
Crac, crac, crac.
Chaque petite victoire amenuisait les forces de la créature, qui commençait à ralentir de façon assez nette, même si elle persistait à tenter d’écharper Thomas. Bulbe par bulbe, chacun plus facile à atteindre que le précédent, Thomas poursuivit ses attaques. Si seulement il pouvait en finir rapidement, éliminer son adversaire ! Il aiderait alors les autres. Se débarrasser une bonne fois pour toutes de ces…
Une lumière aveuglante explosa derrière lui, suivie d’un fracas apocalyptique qui fit voler en éclats ce bref instant d’espoir et d’enthousiasme. Une force invisible le souleva et le projeta à plat ventre. Il lâcha son couteau. Le monstre aussi s’effondra, dans une puanteur de brûlé. Thomas roula sur le côté et vit un grand trou fumant dans le sol, aux contours noircis. Il aperçut une main et un pied hérissés de lames, mais aucun signe du reste du corps.
La foudre était tombée. L’orage éclatait enfin.
À l’instant où cette pensée lui vint, il leva les yeux et vit de gros filaments de feu blanc descendre des nuages noirs.