CHAPITRE 61
Thomas savait qu’ils n’avaient plus un instant à perdre. L’heure n’était plus aux doutes, à la peur ou à la discussion. Mais à l’action.
— Venez ! cria-t-il, et il sortit du conteneur en tirant Brenda par le bras.
Il dérapa, perdit l’équilibre et s’étala par terre. Il poussa sur ses mains en recrachant un peu de boue, s’essuya les yeux et se releva précipitamment. La pluie tombait à verse, le tonnerre grondait dans toutes les directions, des éclairs menaçants flamboyaient.
Jorge et Teresa étaient sortis, avec l’aide de Brenda. Thomas jeta un coup d’œil au berg – à une quinzaine de mètres – dont la trappe était désormais grande ouverte, gueule béante derrière laquelle brillait une lumière chaude. Des silhouettes s’y découpaient, armées de fusils, attendant patiemment. De toute évidence, elles n’avaient pas l’intention de descendre les aider à gagner le refuge. Le vrai refuge.
— Courez ! cria-t-il en s’élançant.
Il tenait son couteau devant lui, au cas où l’une des créatures serait encore en vie et leur chercherait des ennuis.
Teresa et les autres lui emboîtèrent le pas.
Le sol détrempé se dérobait sous ses semelles. Thomas glissa à deux reprises et tomba une fois. Teresa l’empoigna par la chemise et le hissa debout. Autour d’eux, d’autres couraient aussi vers l’engin. Dans la pénombre de l’orage, à travers le rideau de pluie et au milieu des éclairs, il était difficile de voir qui était qui. De toute façon, il n’avait pas le temps de s’en inquiéter.
Une douzaine de créatures bulbeuses sortirent de derrière l’engin, du côté droit ; elles s’avancèrent pour couper la route à Thomas et à ses amis. Leurs lames étaient luisantes de pluie, certaines tachées de sang. La moitié de leurs bulbes étaient crevés : on le voyait dans leurs mouvements saccadés. Mais ils paraissaient plus dangereux que jamais. Et les occupants du berg ne montraient toujours aucune volonté de s’en mêler.
— Il faut couper à travers ! cria Thomas.
Minho apparut, ainsi que Newt et quelques blocards, pour se joindre à la charge. Harriet et plusieurs filles du groupe B également. Tout le monde parut saisir la tactique, aussi mince fût-elle : éliminer ces derniers monstres et ficher le camp de là.
Pour la première fois depuis son réveil au Bloc, quelques semaines plus tôt, Thomas n’avait pas peur. Il n’était pas certain d’être de nouveau effrayé un jour. Quelque chose en lui avait changé. Quelqu’un se mit à hurler, la pluie s’intensifia. Le vent cinglait l’air, les bombardait de petits cailloux et de gouttes d’eau tout aussi violentes. Les créatures balançaient leurs lames dans le vide en poussant des gémissements sinistres, prêtes au combat. Thomas s’élança, le couteau brandi bien haut.
À un mètre de la première créature, il bondit et détendit les jambes devant lui, pieds joints. Ses pieds écrasèrent l’un des bulbes orange qui dépassaient du torse monstrueux. La sphère éclata en grésillant ; la créature poussa une lamentation hideuse et s’écroula lourdement sur le dos.
Thomas atterrit dans la boue et roula sur le côté. Il se releva aussitôt et se mit à louvoyer autour de son adversaire, en lardant ses excroissances lumineuses de coups de couteau.
Crac, crac, crac.
Esquiver, reculer d’un bond hors d’atteinte des attaques de la créature. Riposter, frapper. Crac, crac, crac. Il ne restait plus que trois bulbes ; l’autre ne pouvait presque plus bouger. Thomas l’enfourcha avec audace et lui expédia rapidement quelques coups bien placés.
Le dernier bulbe éclata et grésilla. La chose était morte.
Thomas se releva et jeta un regard autour de lui pour voir si quelqu’un avait besoin d’aide. Teresa avait achevé sa créature. Minho et Jorge aussi. Newt se battait encore, en épargnant sa mauvaise jambe ; Brenda l’aidait à crever les derniers bulbes de son adversaire.
Ce fut terminé en quelques secondes. Aucune créature ne bougeait. Plus aucun bulbe ne brillait. C’était fini.
Thomas, pantelant, regarda l’entrée de la soute à moins d’une dizaine de mètres. Au même instant, l’engin ralluma ses tuyères et commença à décoller.
— Il s’en va ! hurla Thomas de toutes ses forces, en indiquant leur unique moyen d’évasion. Grouillez-vous !
À peine eut-il dit ça que Teresa l’empoignait par le bras et l’entraînait en courant vers l’engin. Thomas trébucha, puis se redressa en pataugeant dans la boue. Il vit un flash de lumière embraser le ciel et entendit un coup de tonnerre retentir derrière lui. Nouveau hurlement. D’autres autour de lui, derrière lui, devant lui maintenant, qui couraient. Newt qui boitillait et Minho, juste à côté, qui le surveillait du coin de l’œil pour s’assurer qu’il ne tombe pas.
À présent, le berg flottait à un mètre du sol et pivotait lentement, prêt à mettre les gaz. Deux blocards et trois filles l’atteignirent les premiers et plongèrent sur la plate-forme que constituait la trappe ouverte. L’engin continuait à s’élever. D’autres arrivèrent, grimpèrent, rampèrent à l’intérieur.
Thomas l’atteignit à son tour avec Teresa. La trappe ouverte lui arrivait au torse. Il bondit, posa les deux mains à plat sur le métal, les bras raidis, le ventre plaqué contre le bord. Il balança sa jambe droite, trouva une prise, puis roula sur la trappe. L’engin continuait à prendre de la hauteur. D’autres ­grimpaient, aidaient leurs compagnons à monter. Teresa avait la moitié du corps sur la plaque mais peinait à trouver une prise.
Thomas se pencha pour lui saisir la main et la hisser à bord. Elle s’écroula sur lui ; ils échangèrent un bref regard victorieux. Elle s’écarta de lui et ils s’approchèrent tous les deux du bord de la trappe pour vérifier si quelqu’un d’autre avait besoin d’aide.
Le berg, qui était maintenant à deux mètres au-dessus du sol, commençait à s’incliner. Trois personnes s’accrochaient encore à la trappe. Harriet et Newt hissaient une fille. Minho aidait Aris. Brenda se retenait par le bout des doigts, suspendue dans le vide.
Thomas rampa jusqu’au bord et lui saisit l’avant-bras droit. Teresa saisit l’autre. La pluie avait rendu la trappe glissante. Quand Thomas hissa Brenda, il se mit à glisser mais s’arrêta brusquement. Un bref coup d’œil dans son dos lui indiqua que Jorge les retenait solidement, Teresa et lui.
Thomas recommença à tirer Brenda. Avec l’aide de Teresa, il parvint à la hisser à moitié sur la trappe ; le reste suivit. Alors qu’elle rampait vers la soute, Thomas jeta un ultime coup d’œil au sol qui s’éloignait lentement en contrebas. Il ne vit que des créatures mortes, inertes et ruisselantes de pluie. Ainsi que quelques victimes humaines, mais aucune dont Thomas se soit senti proche.
Il se recula loin du bord en éprouvant un immense soulagement. Ils avaient réussi, pour la plupart. Ils avaient survécu aux fondus, à la foudre et à ces monstres abominables. Ils avaient gagné. Il heurta Teresa, se tourna vers elle, la prit dans ses bras et la serra fort, oubliant momentanément tout le reste. Ils avaient réussi.
— Qui sont ces deux-là ?
Thomas se détacha de Teresa pour voir qui avait crié : c’était un homme aux cheveux roux, tenant un pistolet noir braqué sur Brenda et Jorge. Ces derniers se tenaient assis l’un à côté de l’autre, trempés, meurtris et grelottants de froid.
— Quelqu’un va me répondre ? cria l’homme.
Thomas répondit sans réfléchir :
— Ils nous ont aidés à traverser la ville. Sans eux, on ne serait jamais arrivés jusqu’ici.
L’homme fit face à Thomas.
— Vous… les avez ramassés en chemin ?
Thomas hocha la tête. Il n’aimait pas beaucoup la tournure que prenait la conversation.
— On a passé un accord. On leur a promis qu’ils pourraient recevoir le remède eux aussi. Même avec eux, on est moins nombreux qu’au départ.
— Je m’en fiche, grommela l’homme. On ne vous a jamais autorisés à ramener des citoyens !
Le berg continuait à prendre de l’altitude, mais la porte de la soute était toujours ouverte. Le vent s’y engouffrait ; ils risquaient d’être happés à l’extérieur à la moindre turbulence.
Thomas se leva, déterminé à défendre l’accord qu’ils avaient conclu.
— Eh bien, vous nous avez dit de venir jusqu’ici, et c’est ce qu’on a fait !
L’homme au pistolet prit le temps de soupeser l’argument.
— Parfois, j’oublie à quel point vous ne comprenez rien à rien. Très bien, vous pouvez garder l’un des deux. L’autre va devoir nous quitter.
Thomas accusa le coup.
— Comment ça, « l’autre va devoir nous quitter » ? Qu’est-ce que ça veut dire ?
L’homme actionna le mécanisme de son arme, puis la pointa sur la tête de Brenda.
— On n’a pas le temps de finasser ! Je te donne cinq secondes pour choisir lequel tu veux sauver. Sinon, ils meurent tous les deux. Un !
— Attendez !
Thomas dévisagea tour à tour Brenda, puis Jorge. Tous deux fixaient le sol en silence, livides.
— Deux !
Thomas refoula le sentiment de panique qui le gagnait et ferma les yeux. La situation n’avait rien d’inédit. Non, il voyait clair à présent. Il savait ce qu’il avait à faire.
— Trois !
Plus de peur. Plus de choc. Plus de doute. Jouer le jeu. Passer le test. Remporter les Épreuves.
— Quatre ! (L’homme s’empourpra.) Choisis tout de suite, où je descends les deux !
Thomas ouvrit les yeux et s’avança. Puis il désigna Brenda et lâcha les mots les plus ignobles qu’il avait jamais prononcés.
— Tuez la fille.
L’obligation de ne garder qu’un seul des deux intrus paraissait si étrange que Thomas avait cru deviner ce qui se passerait. Il ne s’agissait que d’une variable supplémentaire : ils prendraient celui qu’il n’aurait pas choisi. Mais il se trompait.
L’homme glissa son pistolet dans sa ceinture, se pencha et empoigna Brenda par la chemise pour la relever brutalement. Sans un mot, il s’approcha de l’ouverture en l’entraînant.