CHAPITRE 65
Il s’assit, couvert de sueur. Avant même d’avoir pleinement pris conscience de son environnement, il sut que quelque chose n’allait pas. Qu’on lui avait tout repris.
Il se trouvait par terre, seul dans une pièce. Les murs, le plafond, le sol, tout était blanc. Le sol était ferme et lisse mais suffisamment souple pour rester confortable. Il inspecta les murs. Ils étaient capitonnés, rivetés par de gros boutons disposés à un mètre les uns des autres. Une lumière aveuglante tombait d’un rectangle au plafond, hors d’atteinte. L’endroit sentait le propre, avec des relents d’ammoniaque et de savon. Baissant la tête, Thomas put constater que même ses vêtements étaient blancs : un tee-shirt, un pantalon de coton et des chaussettes.
Il avisa un bureau marron à quelques mètres devant lui. C’était le seul élément de la pièce qui ne soit pas blanc. Vieux, rayé, branlant, il s’accompagnait d’une chaise en bois ordinaire. Derrière se trouvait une porte, capitonnée elle aussi.
Thomas ressentit un calme étrange. Son instinct lui soufflait de se lever, d’appeler au secours. De tambouriner à la porte. Mais il savait que celle-ci refuserait de s’ouvrir. Que personne ne lui répondrait.
Il était de retour dans la Boîte. Il n’aurait pas dû se laisser embobiner par le discours de David.
« Pas question de paniquer », se dit-il. C’était sûrement une nouvelle étape des Épreuves, et, cette fois, il se battrait pour faire changer les choses, pour y mettre un terme définitif. C’était étrange, mais le fait d’avoir un plan, de savoir qu’il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour recouvrer sa liberté, engendrait en lui un calme surprenant.
— Teresa ? lança-t-il.
Aris et elle représentaient son seul espoir de communication avec l’extérieur.
— Tu m’entends ? Aris ? Tu es là ?
Personne ne lui répondit. Ni Teresa. Ni Aris. Ni… Brenda.
Mais non, ça n’avait été qu’un rêve. Forcément. Brenda ne pouvait pas être de mèche avec le WICKED, elle ne pouvait pas s’adresser à lui par télépathie.
— Teresa ? répéta-t-il, en y mettant toute son énergie. Aris ?
Rien.
Il se leva et voulut s’approcher du bureau. À moins d’un mètre, il heurta un mur invisible. Un champ de force, comme dans le dortoir.
Thomas refusa de se laisser impressionné. Il respira profondément, regagna son coin, se rassit et s’adossa contre le mur. Ferma les yeux et se détendit.
Attendit. Et s’endormit.
*
— Tom ? Tom !
Il ne savait pas depuis combien de temps elle l’appelait quand il finit par réagir.
— Teresa ?
Il se réveilla en sursaut, regarda autour de lui et se souvint de la pièce blanche.
— Où es-tu ?
— Ils nous ont installés dans un dortoir quand le berg s’est posé. On y est depuis quelques jours ; on attend. Tom, qu’est-ce qui t’est arrivé ?
Elle paraissait inquiète, voire effrayée. Il était au moins sûr de ça. Quant à lui, il éprouvait surtout de la confusion.
— Quelques jours ? Mais…
— Ils t’ont emmené tout de suite après l’atterrissage. Ils n’arrêtent pas de nous dire que c’était trop tard pour toi, que la Braise avait trop progressé. Ils disent que tu es devenu cinglé, violent.
Thomas s’efforça de reconstituer les pièces du puzzle, en ignorant volontairement que le WICKED avait le pouvoir d’effacer sa mémoire.
— Teresa… ce sont simplement les Épreuves qui continuent. Ils m’ont enfermé dans une pièce toute blanche. Mais… j’y suis depuis plusieurs jours ? Combien exactement ?
— Tom, ça fait presque une semaine.
Thomas en resta abasourdi. Il faillit faire comme s’il n’avait pas entendu. La peur qu’il tentait de réprimer s’insinua lentement dans sa poitrine. Pouvait-il faire confiance à Teresa ? Elle lui avait menti si souvent par le passé. Et comment savoir s’il s’agissait bien d’elle ? Il était grand temps de couper les ponts avec Teresa.
— Tom ? l’appela Teresa. Qu’est-ce qui se passe, là ? Je ne comprends plus rien.
Thomas ressentit une violente émotion, comme une brûlure intérieure, qui lui mit les larmes aux yeux. Par le passé, il avait considéré Teresa comme sa meilleure amie. Mais ce ne serait plus jamais le cas. À présent, elle ne lui inspirait plus que de la colère.
— Tom ! Pourquoi tu ne me… ?
— Teresa, écoute-moi.
 Oui ! C’est justement ce que j’essaie de…
— Non, je veux dire… écoute. Ne dis rien, d’accord ? Contente-toi de m’écouter.
Elle marqua une pause.
— D’accord.
D’une toute petite voix apeurée.
Thomas ne se contrôlait plus. La rage grondait en lui. Heureusement, il lui suffisait de penser les mots car il n’aurait jamais pu les formuler à voix haute.
— Teresa. Fous le camp.
— Tom…
— Non. La ferme. Simplement… laisse-moi tranquille. Et tu peux dire au WICKED de ne plus compter sur moi pour participer à leurs petits jeux. Dis-leur de m’oublier !
Elle attendit quelques secondes avant de répondre.
— D’accord.
Une autre pause.
— D’accord. Dans ce cas, il me reste juste une dernière chose à te dire.
Thomas soupira.
— Je suis impatient de l’entendre.
Elle garda le silence un instant. Il aurait pu croire qu’elle était partie s’il n’avait pas continué à percevoir sa présence. Elle reprit :
— Tom ?
 Quoi ?
 Le WICKED est bon.
Là-dessus, elle disparut.