5

— Ça fait mal ? demanda Nikki, voyant Kendall se crisper tandis qu’elle lui bandait le pouce.

— Non.

Et pourtant si, il avait mal, au pouce et au gros orteil. Mais pas question qu’il l’avoue ! Il n’avait qu’une envie, c’était de sortir de là.

— Vous êtes tout de même un peu rouge, lui fit-elle remarquer.

Peut-être, mais il ne lui dirait pas que c’était d’humiliation. Pendant des années, il avait rêvé de ses retrouvailles avec Celia. Ce jour-là était arrivé, et il n’avait pas pu sortir un mot.

Nikki s’empara de son poignet valide pour lui prendre le pouls.

— Votre rythme cardiaque est un peu rapide.

Rien à voir avec ses blessures. C’était d’avoir revu Celia.

— Je vous remercie de vos bons soins, docteur Salinger. Mais je suis pressé, déclara-t-il d’un ton un peu trop sec.

— Rachel vous attend, répliqua-t-elle en hochant la tête.

— Je dois retourner au travail, grommela-t-il.

Puis il détourna la tête et jeta un coup d’œil à la fenêtre, essayant d’apercevoir Celia entre les lamelles des stores vénitiens. Que diable était-elle venue faire ? Pourvu qu’elle ne s’en aille pas avant qu’il puisse lui parler.

— Cette femme à qui vous avez parlé dans le hall…

— Vous voulez dire Celia Bradshaw ? le coupa-t-elle. C’est une de mes amies de Broadway. Je pensais que vous la connaissiez. Elle est originaire de Sweetness.

— Je la connaissais autrefois, dit-il d’un ton évasif. A-t-elle dit pourquoi elle était là ?

— Elle m’a dit que Marcus l’avait engagée pour construire un pont.

— Un pont ? dit Kendall en levant les sourcils.

— Oui, un pont. Celia est ingénieur des ponts et chaussées.

Ingénieur ? Et Marcus l’avait embauchée ? Çà alors, c’était de mieux en mieux.

— Vraiment ? fit-il, incapable cette fois de cacher sa stupéfaction.

— Vraiment. A voir comme vous tombez des nues, je suppose que vous n’aviez pas gardé le contact.

— Non… en effet.

— Eh bien, à mon avis, vous aurez l’occasion et le temps de refaire connaissance, déclara-t-elle en souriant.

Kendall pinça les lèvres et regarda ailleurs, l’esprit en ébullition.

— Voilà ! C’est fait ! reprit-elle en lui tapotant gentiment le bras. Gardez le pansement quelques jours. Vous allez sans doute perdre votre ongle et cela restera sensible pendant deux semaines. Mettez une pommade antibiotique pour éviter que cela s’infecte.

— Merci, murmura-t-il.

Puis il se leva et se dirigea vers la porte, s’efforçant de ne pas boiter.

— Kendall.

Il se retourna.

— Pourquoi ne viendriez-vous pas, avec Porter, dîner en notre compagnie, Celia et moi ?

Il hésita. Il était encore trop sous le choc pour réfléchir correctement.

— Je ne sais pas…

— Ce serait sympathique, vous ne trouvez pas ? Histoire de fêter son retour.

— D’accord, acquiesça-t-il en hochant la tête. A plus tard. Et merci encore.

Il sortit enfin du cabinet de consultation. A son grand soulagement, Rachel n’était plus dans la salle d’attente. Celia non plus, et ça, c’était plus ennuyeux. Il se précipita dehors, dans le froid glacial. Sur le parking, il y avait en effet un break qu’il ne connaissait pas. Couleur lie-de-vin, il était immatriculé dans le Michigan. Ce devait être la voiture de Celia. Dans son esprit, tout se mêlait et le rouge sombre de la carrosserie ne faisait plus qu’un avec les reflets auburn de ses cheveux. Personne dans la voiture. Personne alentour.

Il sortit son téléphone de sa poche et composa le numéro de Marcus, bien déterminé à en savoir plus sur l’arrivée inopinée de Celia. Comme il ne répondait pas, il fonça en direction du bureau. Quand il gravit les marches du mobil-home, son pied le faisait atrocement souffrir et sa colère avait atteint un paroxysme qu’il n’avait encore jamais connu. Il ouvrit la porte à grand fracas. Assis à son bureau, Marcus était en train de raccrocher son téléphone.

— Qu’est-ce que tu t’es fait à la main ? s’exclama-t-il.

Kendall le foudroya du regard.

— Arrête tes conneries, Marcus, répliqua-t-il en menaçant son frère de sa main blessée. Celia Bradshaw ? Tu as embauché Celia Bradshaw pour reconstruire le pont Evermore ?

Avant de répondre, Marcus se cala dans son fauteuil et croisa les bras.

— En fait, elle va seulement en dessiner les plans. Et toi, tu vas le construire, expliqua-t-il.

— Et il ne t’est pas venu à l’esprit que ça valait la peine de m’en parler ?

Marcus parut un instant déconcerté, mais il se reprit aussitôt.

— Tu avais assez à faire avec la préparation du dossier de présentation du projet. Je t’ai dit que je m’occupais de trouver un ingénieur pour la conception du pont et j’en ai trouvé un. Je parie que tu es tombé sur elle !

— Mieux : je lui suis rentré dedans, répliqua-t-il en s’appuyant à deux mains sur le bureau, complètement hors de lui.

— C’est drôle, elle ne m’en a rien dit, rétorqua Marcus.

Kendall se redressa brusquement.

— Elle est venue te voir ?

— Bien sûr. Elle voulait qu’on discute du projet. Je lui ai dit qu’elle devait d’abord prendre le temps de s’installer et que, demain après-midi, nous pourrions tous nous retrouver avec notre contact de l’association de défense de l’environnement.

— Si je comprends bien, elle est au gîte ?

— Non. Elle a voulu se mettre tout de suite au travail. Elle a emprunté un 4x4 pour se rendre sur le site…

Sans attendre la fin de la phrase, Kendall était déjà sorti. Il dégringola les marches et courut jusqu’au parking où se trouvaient des véhicules de chantier. Il avait affreusement mal au pouce, mais au moins, la douleur l’empêchait de sombrer dans le tourbillon de sentiments qui menaçait pourtant de le submerger. Au volant de son 4x4, il emprunta une piste parallèle à la route qui conduisait au site de l’ancien pont couvert et, tout le long du chemin, il essaya de se concentrer sur ce qu’il dirait à Celia. Normalement, l’air glacial aurait dû lui rafraîchir les idées, mais tout ce qu’il trouvait lui paraissait fadasse et inadéquat. Il y a longtemps qu’on ne s’est pas vus. Comment ça va ? Tu m’as manqué. Il n’y a pas eu un jour sans que je pense à toi.

En arrivant sur le site, il aperçut tout de suite son véhicule et son cœur se serra. Le fait qu’elle vienne ici sans lui en parler en disait long, pas vrai ?

Mais après tout, peut-être n’y avait-il rien à dire.

Il rangea son 4x4 près du sien. Il ne la voyait pas à travers les arbres, mais il se dirigea vers l’emplacement du pont. Quand, finalement, il l’aperçut, il ralentit l’allure. Le cœur battant, il la regarda un instant. Penchée sur l’appareil photo qu’elle avait installé sur un trépied, elle observait les lieux à travers la lentille de l’objectif. Sa silhouette sportive se découpait sur le bleu du ciel. Elle était en tenue de travail, pantalon, veste et bottes de caoutchouc, mais des mèches folles s’étaient échappées de la barrette qui retenait son opulente crinière sur la nuque.

Pour tout dire, elle était… belle à couper le souffle.

Il était impossible qu’elle n’ait pas entendu arriver son 4x4 et elle devait se savoir observée. Mais elle semblait bien déterminée à ne pas se laisser impressionner car elle ne bougea pas ni ne lui accorda le moindre coup d’œil lorsqu’il s’avança dans sa direction. Il s’arrêta à deux mètres d’elle.

— Bonjour, Celia.

— Bonjour, Kendall, répliqua-t-elle en lâchant son objectif.

Puis elle alla ramasser un écran par terre et le lui tendit.

— Peux-tu le tenir devant le soleil, le temps que je prenne encore quelques photos ?

Sa voix était la même, mais son accent avait changé — sa prononciation était plus précise, plus… nordiste. Pris de court, il s’avança pour prendre l’écran et le tritura entre ses mains sans savoir que faire, avant de finir par le dérouler et le tenir en l’air.

— Un peu à gauche, s’il te plaît.

Il obtempéra, se remémorant les fois où Rachel lui avait donné des ordres similaires. Les circonstances avaient été bien différentes alors…

— Plus à gauche… et plus haut.

Il ne put s’empêcher de marmonner.

— Cela ne changera donc jamais ?

Elle leva la tête, mais c’était pour regarder le site du futur pont. Elle cherchait délibérément à fuir son regard.

— Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que cela fait dix ans, dit-il avec un soupir. Ne penses-tu pas que, depuis le temps, nous avons des choses à nous dire ?

— Douze, corrigea-t-elle, tout en prenant encore quelques photos avant de se relever et, enfin, de le regarder dans les yeux. Cela fait plus de douze ans.

Il déglutit sous l’intensité de son regard. Elle était encore plus belle maintenant que la dernière fois qu’il l’avait vue. Ce n’était plus l’ado éperdue d’amour, au visage ponctué de taches de rousseur, qui le suivait partout. C’était une femme bien dans sa peau et sûre de soi dont l’aplomb l’impressionnait… Oui, franchement, il était bluffé.

Et cela l’inquiétait.

— Alors, de quoi veux-tu que nous parlions ? demanda-t-elle en levant les sourcils.

— Je ne sais pas, moi, dit-il en haussant les épaules. Par exemple, comment vas-tu ?

— Bien, dit-elle, visiblement surprise qu’il lui pose pareille question.

Il ne sut trop comment réagir. S’était-il attendu qu’elle lui raconte qu’elle n’allait pas bien du tout ?

— J’ai entendu dire que tu étais ingénieur concepteur.

— C’est exact. Mon CV n’est pas aussi passionnant que le tien, mais j’ai toujours eu du travail.

— Qu’est-ce qui te fait dire que mon CV est passionnant ? s’étonna Kendall.

Aurait-elle gardé un œil sur ce qu’il était devenu pendant toutes ces années ?

— Eh bien, j’imagine que pendant tout ce temps passé à l’Air Force, tu as dû vivre des choses intéressantes. En fait, je suis étonnée que tu n’y aies pas fait carrière.

Tu me manquais trop.

— Mes frères me manquaient.

— Bien sûr, fit-elle avec un grand sourire. Eh bien, vous voilà réunis pour un moment, toi et tes frères. Visiblement ce ne sera donc plus un problème.

Le ton était clairement ironique et cela ne lui plut pas du tout.

— Tu n’as pas l’air d’approuver nos efforts de reconstruction de Sweetness, répliqua-t-il.

— Non, je ne vous désapprouve pas. Mais c’est juste que je ne comprends pas pourquoi tu tiens tant à reconstruire la ville.

Elle se pencha au-dessus de son appareil photo et prit encore quelques clichés.

— Je suppose que tu as de meilleurs souvenirs de cet endroit que moi, reprit-elle au bout de quelques instants.

— En effet, j’ai des bons souvenirs.

Surtout des souvenirs d’elle. Et il était bien dommage qu’elle ne partage pas son avis.

— Et je trouve que cette ville mérite qu’on lui donne une deuxième chance, conclut-il.

— C’est louable de ta part, répliqua-t-elle en se redressant.

Elle replia son trépied et chercha un autre emplacement.

Machinalement, il la suivit. La situation était en train de lui échapper. Il ne savait pas comment entrer dans le vif du sujet et il était de plus en plus mal à l’aise. Il fallait qu’il se ressaisisse.

— Si j’ai bien compris, tu es venue reconstruire le pont couvert.

— C’est exact, dit-elle en installant son trépied. Marcus m’a téléphoné la semaine dernière pour me proposer le job. Tu ne le savais pas ?

— J’étais occupé à autre chose, répondit-il avec brusquerie.

Elle le toisa.

— Est-ce que ma présence à Sweetness te dérange ?

Le déranger ? C’était peu dire. Mais il n’allait certainement pas lui faire part de ses pensées.

— Bien sûr que non ! C’est juste que… enfin… j’ai été surpris de te voir. Voilà tout.

— Aussi surpris que je l’ai été en découvrant dans mon journal local une annonce de recrutement de femmes célibataires pour repeupler Sweetness ?

Kendall sentit son visage s’enflammer. En vain, il tenta de rassembler ses esprits en quête d’une justification.

Mais Celia l’interrompit d’un geste de la main.

— Ne t’inquiète pas, dit-elle. J’imagine que ça aussi, c’était une idée de Marcus. Il semble croire que toi et moi, nous n’en avons pas fini l’un avec l’autre.

Bouche bée, il ne trouva rien à lui dire. Il était pathétique. C’était comme si sa langue était de plomb dans sa bouche.

— Mais je lui ai rappelé que nous nous étions définitivement dit adieu depuis des années, poursuivit-elle en lui décochant un petit sourire.

Il hocha mécaniquement la tête comme une marionnette et la laissa enfoncer le clou.

— Et que ça ne nous poserait aucun problème de travailler ensemble à la reconstruction de ce pont.

— Aucun problème, en effet ! dit-il en retrouvant soudain l’usage de sa langue. Nous sommes des… professionnels.

— Et cela ne prendra que quelques semaines, ajouta-t-elle. Trois mois, au plus.

Il refoula le sentiment de déception qui l’envahissait à cette simple idée. Ce n’était pas le moment de penser au jour de son départ.

— Je n’étais pas au courant de la démarche de Marcus, cela dit je pense comme lui que c’est toi qui es la plus à même de concevoir le nouveau pont Evermore.

— Pourquoi ? répliqua-t-elle vivement en le scrutant de ses yeux noisette où il pouvait lire des reproches.

Il aurait juré qu’elle était prête à tout pour masquer à quel point ce pont comptait pour elle. Mais peut-être n’était-ce de sa part qu’une projection de ses propres sentiments.

— Parce que tu connaissais les moindres pièces du pont.

Elle acquiesça de la tête, mais se garda de reconnaître qu’elle avait mémorisé chaque détail du pont pendant les heures qu’ils y avaient passées ensemble.

— Prévois-tu de garder le même nom qu’autrefois — Evermore ?

— Franchement, je n’en sais rien.

— Est-ce qu’il vous arrive de vous parler, toi et Marcus ? dit-elle avec un petit rire qui lui donna des jambes de coton.

Il eut un petit geste d’exaspération.

— Il y a beaucoup à faire, ici. Aussi, nous vaquons chacun de notre côté et dans notre domaine.

— Et toi, tu es l’accrocheur de tableaux en chef, c’est ça ? rétorqua-t-elle, pince-sans-rire.

L’allusion à la blessure qu’il s’était faite en accrochant le sous-verre de Rachel raviva son humiliation et sa confusion.

— Je rendais juste service à une amie et j’ai eu un moment d’inattention.

Trop tard, c’était dit ! Dit comme cela, il était évident qu’elle allait penser que Rachel l’avait distrait, alors que c’était elle, Celia, la responsable — du moins en partie.

Et en effet il la vit qui pinçait les lèvres, puis se penchait pour prendre une autre photo.

— Peux-tu me tenir l’écran, s’il te plaît ?

Embrasse-moi encore, s’il te plaît. Fais-moi l’amour, s’il te plaît.

Autrefois, il la taquinait toujours pour son habitude de dire s’il te plaît à tout bout de champ — comme s’il avait eu besoin d’encouragements pour la caresser ou pour lui faire des choses qui lui donneraient du plaisir.

Pendant qu’elle prenait ses photos, il lui tint l’écran, profitant de l’occasion pour s’imprégner d’elle. Elle qui lui était si familière, et en même temps si différente de ce qu’elle était autrefois. Elle était devenue une belle femme distinguée. Visiblement coûteux, ses vêtements confortables mettaient en valeur une ligne irréprochable. Mais il ne put s’empêcher de sourire à la vue de la tache qui ornait le col de son chemisier : Celia était toujours accro au chocolat.

Ses mains le démangeaient de repousser l’opulente tignasse rousse qui lui tombait sur le visage et de serrer son corps contre le sien. Il avait du mal à se faire à l’idée qu’il avait perdu le privilège de la caresser. Et il souffrait encore plus en pensant à l’heureux élu qui l’avait supplanté. Certes, elle n’avait pas de bague au doigt, mais cela ne voulait rien dire. Chacun savait que, pour des raisons de sécurité, on ne portait pas de bijoux sur un chantier.

— Est-ce que tu t’es mariée ?

Comme elle tardait à répondre, il sentit son cœur s’emballer.

— Non.

Il étouffa un soupir de soulagement puis se tourna vers elle, s’attendant qu’elle lui pose la même question. Mais comme rien ne venait, il reprit la parole.

— Moi non plus… et mes frères non plus.

— J’ai vu une inscription sur le château d’eau qui me donne à penser que Porter a des vues sérieuses sur mon amie Nikki, fit-elle remarquer en jetant quelques notes sur le calepin qu’elle venait de sortir de sa poche.

— C’est vrai, elle a transformé mon frère, reconnut Kendall en souriant.

La réponse de Celia jaillit, cinglante et sans appel.

— J’espère qu’elle sait où elle met les pieds.

— Avec Porter ? Cela fait six mois qu’ils se fréquentent. Je pense que, maintenant, elle le connaît bien.

— Ce que je voulais dire, c’était : j’espère qu’elle sait ce qui l’attend à vivre ici, précisa-t-elle.

— Je conviens que la ville ne ressemble pas encore à grand-chose, mais nous avons des projets, repartit Kendall, blessé par le scepticisme de Celia à l’égard de Sweetness et de leur entreprise.

— Je sais. J’ai vu le diaporama de présentation sur le site internet. N’empêche que c’est plus spartiate que du temps de notre jeunesse.

Elle ne désarmait pas ! Il sentit la colère monter en lui, mais il se maîtrisa.

— Si Nikki est heureuse à Sweetness, c’est peut-être tout simplement parce que l’homme qu’elle aime y vit.

— Tant mieux pour elle si ça lui suffit, répliqua Celia avec une moue de désapprobation qui frappa Kendall droit au cœur.

S’il avait un tant soit peu caressé l’espoir qu’elle soit revenue à Sweetness pour y rester, il savait maintenant à quoi s’en tenir. Elle n’était là que pour des raisons professionnelles.

A moins qu’elle ne change d’avis. Après tout, depuis le début de leur entreprise, ses talents de diplomate et sa force de persuasion lui avaient bien servi pour arrondir les angles entre ses deux frères, aussi têtus l’un que l’autre. Premier grand principe de la médiation : rester calme et aimable.

— Que puis-je faire pour te faciliter la tâche ?

Elle rangea ses notes dans sa poche, replia son trépied et se dirigea vers son 4x4.

— Il me semble que, pour l’instant, j’ai tout ce qu’il me faut, répondit-elle.

Il la suivit, tenant toujours l’écran.

Littéralement hypnotisé par ses gestes, son allure, il ne pouvait détacher les yeux d’elle. Pourquoi se montrait-elle si froide ? Pourquoi ne pouvait-il la prendre dans ses bras ? Mille questions lui venaient à l’esprit. Des questions concernant sa vie depuis qu’il l’avait vue pour la dernière fois. Mais il voyait bien, à l’expression fermée de son visage et à son attitude réservée, qu’elle n’était pas disposée à parler d’elle. Quant à savoir ce que lui-même avait fait pendant ces douze dernières années, elle ne paraissait pas s’en soucier.

Elle s’arrêta devant le 4x4, releva le siège arrière pour ranger son équipement de prises de vue dans le coffre et lui prit l’écran des mains.

— Merci, fit-elle.

Puis elle s’installa au volant, et démarra en trombe avant qu’il n’ait eu le temps de dire quoi que ce soit, ni de rejoindre son propre véhicule. Il fonça à sa poursuite, se remémorant le temps où, adolescents, ils sillonnaient la campagne sur leurs chevaux lancés au grand galop. Autrefois, il aimait chevaucher derrière elle, pour admirer sa chevelure qui volait au vent et le gracieux mouvement de son corps sur sa selle. Aujourd’hui, il était de nouveau lancé à sa suite… mais, hélas ! il n’aurait pas le plaisir de la prendre dans ses bras à l’arrivée. Il la suivit donc jusqu’au bureau, regrettant que plus rien ne soit comme avant.

Elle avait déjà garé son véhicule et se dirigeait à grands pas vers la ville quand il la rattrapa enfin.

— Puis-je t’offrir une tasse de café ? proposa-t-il. Nous pourrions bavarder un moment.

Les bras chargés de matériel et sans s’arrêter de marcher, elle lui jeta à peine un coup d’œil.

— Non, merci. Ne le prends pas mal, mais j’aimerais que nos relations restent strictement professionnelles. Nous nous reverrons sur le chantier.

En la regardant s’éloigner, il dut faire un gros effort pour ne pas courir après elle. Mais il refusait de se laisser abattre. Et tout à coup, il prit une résolution. Autrefois, il n’avait pas été assez convaincant pour qu’elle reste à Sweetness. Cette fois, il avait trois mois pour y arriver.

Et il allait commencer à s’y employer dès ce soir, au dîner en compagnie de Nikki et de Porter.