Et Dieu dit à Abraham : Ne crains rien, je te protégerai ; grande sera ta récompense.
Ce verset, venant après la description des victoires retentissantes qu’Abraham remporta sur les rois de la région, provoque l’étonnement de nos sages : pourquoi Dieu devait-il rassurer Abraham, qui passait pour invincible ?
C’est qu’Abraham redoutait les conséquences de ses victoires, dit Rabbi Levi. Il craignait que les fils des rois tués ne se réunissent pour lui faire la guerre. Dieu devait donc le rassurer : Ne crains rien, Abraham ; même si tous les rois du monde se liguaient contre toi, rien de mal ne t’arrivera, car je les combattrai, moi.
Autre explication : Abraham avait des doutes : comment savoir si, parmi les guerriers abattus, il n’y avait pas un Juste qui ne méritait pas pareille mort ? Dieu devait donc dissiper ses craintes : Tu n’as fait qu’arracher les épines du jardin du roi ; grande sera ta récompense.
Sodome : cité pécheresse, respirant le crime, propageant le mal. Punie pour ses actions non pas contre Dieu mais contre les hommes. Contre les faibles, les démunis, les vagabonds, les malchanceux.
A Sodome, dit Rabbi Yehouda, il existait une loi qui punissait de mort toute personne qui offrait du pain à l’étranger, au mendiant, au miséreux.
Et pourtant, apprenant que Dieu se préparait à anéantir Sodome, Abraham vint à sa défense. Il implora la miséricorde divine, disant : Si tu tiens à ce que le monde seul subsiste, alors il n’y a point de Loi ; si tu tiens à ce que la Loi seule subsiste, alors il n’y a point de monde. Tu prends le bâton par les deux bouts. Choisis l’un ou l’autre. Sois moins exigeant, moins intransigeant, sinon rien ne subsistera. C’est ainsi, selon Rabbi Levi, qu’Abraham plaida pour la cité dont les humains se dévoraient entre eux.
Trois ans après avoir chassé Ishmaël de sa maison, Abraham, qui continuait de l’aimer, alla lui rendre visite, dans le désert. Une femme l’accueillit : Aïssa, l’épouse moabite d’Ishmaël. Abraham lui demanda : Où est ton mari ? — Parti cueillir des fruits. — J’ai soif, j’ai faim, dit Abraham. Le voyage m’a épuisé. Donne-moi un peu d’eau, un bout de pain, veux-tu ? Aïssa refusa. Alors Abraham lui dit : Quand ton mari rentrera, dis-lui qu’un vieillard est venu le voir du pays de Canaan ; et ce vieillard lui fait dire qu’il n’a pas aimé le seuil de sa maison. Aïssa fit la commission à Ishmaël, qui la répudia aussitôt. Sa nouvelle épouse, Fatima, elle, venait d’Égypte.
Trois ans plus tard, Abraham revint : Où est ton mari ? demanda-t-il à Fatima. — Parti s’occuper des chameaux. — J’ai soif, j’ai faim, dit Abraham ; le voyage m’a fatigué. — Viens, entre, repose-toi, dit Fatima qui lui offrit du pain et de l’eau. — Lorsque ton mari rentrera, fit Abraham en souriant, dis-lui qu’un vieillard est venu le voir du pays de Canaan et qu’il a beaucoup aimé le seuil de sa maison.
De loin, père et fils ne cessèrent de s’aimer.
Pour empêcher le sacrifice d’Isaac, Satan, sur la route du mont Moriah, se transforma en fleuve, espérant qu’Abraham et son fils ne pourraient le franchir. Mais Abraham entra dans l’eau, ordonnant à son entourage de le suivre. L’eau déjà lui arrivait à la tête ; alors, Abraham regarda le ciel et dit : Maître de l’univers, tu m’as élu en disant que tu es seul et que je le suis aussi ; que c’est par moi que tu te ferais connaître, et que je devais te donner mon fils en offrande ; mais, si je me noie, ou si Isaac se noie, qui accomplira ta volonté ? Et qui fera connaître ton nom ?
L’instant d’après, il n’y avait plus trace de fleuve sur la route du mont Moriah.
« Et Abraham sacrifia le bélier à la place de son fils… »
Pauvre bélier, disent certains sages. Dieu éprouve les hommes et c’est lui qu’on tue. C’est injuste ; il n’a rien fait, lui.
Rabbi Yoshoua dit : Depuis le sixième jour de la Création, ce bélier vivait au paradis, attendant d’être appelé ; il avait été destiné dès le début à remplacer Isaac sur l’autel.
Bélier spécial, au destin unique, dont Rabbi Hanina ben Dossa dit : Rien, de ce sacrifice, ne fut perdu. Les cendres furent dispersées dans le sanctuaire du Temple ; les tendons, David s’en servit comme cordes pour sa harpe ; la peau, le prophète Élie la prit pour s’en revêtir ; quant aux deux cornes, la plus petite appela le peuple à se réunir au pied du Sinaï, et la plus grande retentira un jour pour annoncer la venue du Messie.
Un jour, le roi des Moabites, Mikha, convoqua ses conseillers intimes et leur demanda : En quoi donc consiste la force du peuple juif ? Pourquoi n’arrive-t-on pas à l’anéantir ? — Sa force réside en Abraham, lui répondirent les conseillers. — Abraham, Abraham, qui est-ce ? — Leur ancêtre, le premier de leurs patriarches. — Mais qu’a-t-il donc fait pour mériter pareille puissance ? demanda le roi. — Abraham était prêt à sacrifier son fils à Dieu, répondirent les conseillers. — L’a-t-il fait ? — Non, ce n’était qu’une épreuve. — Alors je ferai mieux et je serai plus puissant que lui.
Et le roi moabite fit arrêter plus d’un homme, plus de dix hommes, plus de cent hommes, et les sacrifia tous à ses dieux. Et il sentait sa force qui l’abandonnait. Il mourut sans comprendre.
Rabbi Hanan fils de Rava disait au nom de Rav : Le jour où Abraham rendit l’âme, tous les rois et tous les grands princes de la Terre se réunirent pour le pleurer, s’exclamant ensemble : Malheur au monde qui a perdu son guide, malheur au vaisseau qui a perdu son capitaine.