Vous l’avez noté en faisant les courses pour vous ou vos enfants : une paire de baskets coûte 30 à 40 euros. Si elle provient d’une marque telle que Nike, Adidas, Reebok ou Puma, elle coûte le double ou le triple. Et pourtant, objectivement, ces chaussures ne sont pas d’une qualité deux ou trois fois supérieure. Alors pourquoi ce prix multiplié par deux, trois, voire quatre ?
Parce que vous payez tout simplement la marque. Et ça, c’est une combine de génie inventée il y a près d’un siècle par un tennisman français : René Lacoste, l’un des plus grands joueurs de son temps – vainqueur à Roland-Garros, Wimbledon, Forest Hills, et vainqueur de la coupe Davis en 1927 et 1928 avec ceux que l’on appelait les Mousquetaires. Un peu plus tôt, en 1923, après un match perdu où il a tout donné, les Américains l’ont baptisé « l’Alligator », animal qui ne lâche jamais sa proie. Le surnom est resté. René Lacoste joue en tenue de sport, et non plus en tenue de ville, comme c’est alors l’usage. Il remonte les manches de sa chemise, puis les coupe. En 1927, il se fait fabriquer une chemise sur mesure, spécialement conçue pour résister aux grandes chaleurs. À l’époque, aucune griffe n’apparaissait jamais sur les vêtements, elle était tout au plus inscrite sur l’étiquette dans le cou. Lacoste a l’idée de faire coudre à l’emplacement du cœur un petit logo porte-bonheur, à savoir un crocodile dessiné par son ami Robert George. Sur le continent américain, la marque est d’ailleurs vendue sous le nom « Lacoste alligator ». Après avoir stoppé sa carrière pour raisons de santé, il commercialisera cette chemise.
Nous sommes en 1933. C’est une révolution. Normalement, quand une firme fait de la publicité (affichage, presse, radio, puis télé), elle paye l’espace publicitaire. Désormais c’est l’inverse, comme disait Coluche : « C’est nous qui paye ! » Vous payez plus cher pour avoir une marque sur une chemise, une montre, des chaussures, et donc faire vous-même la publicité de cette marque. Bon, si c’était si simple, cela se saurait. Toutes les marques ont repris l’idée de Lacoste et affichent leur logo sur leurs produits. On arrive désormais à cette absurdité : les marques sont obligées de dépenser des fortunes en publicité pour vous inciter à acheter leurs produits et à les promouvoir à votre tour. Nike dépense par exemple 32 % de son chiffre d’affaires en marketing et communication (habituellement, c’est 5 à 10 %).
Dans son roman 99 Francs, Frédéric Beigbeder, ancien publicitaire, a cette fulgurance : « Les pauvres vendent de la drogue pour acheter des Nike, les riches vendent des Nike pour acheter la drogue. »
Jusqu’à preuve du contraire…