Chapitre 4

A grands pas pressés, Hal regagna son logement dans Upper Brook Street. Il n’était pas encore midi, pourtant il avait grand besoin d’un remontant, après son entrevue avec Elizabeth. Et quelque chose de plus fort qu’un verre de vin !

L’agréable morsure de l’alcool l’aida à détendre ses nerfs. Diable, pourquoi cette femme exerçait-elle une telle emprise sur lui ? Soit, elle était belle. Renversante, même. N’importe quel homme aurait eu envie de posséder un tel trésor. De surcroît, il était ému par son malheur et celui de son fils. Il ne rêvait pas seulement de possession physique : son instinct protecteur aussi était éveillé.

Et c’était bien cela le plus grave. Les élans de la chair n’étaient pas difficiles à détourner. La douce Sally, avec qui il entretenait une liaison depuis six ans, avait toujours satisfait ses instincts.

Mais son cœur, lui, risquait d’être mis à rude épreuve.

Il allait revoir Elizabeth… Souvent. Trop souvent pour le repos de son âme. Si seulement Lowery avait confié la gestion de ses avoirs à un conseiller réellement compétent, il aurait pu espérer se protéger. En l’état actuel des choses, il allait devoir mener une véritable enquête qui le conduirait presque quotidiennement chez la jeune femme.

Mais trêve de sentimentalisme ! Lors de ses visites, il n’aurait qu’à consacrer le plus de temps possible au garçon, voilà tout ! Il n’était plus un jeune homme, pour l’amour du ciel, il pouvait quand même garder un semblant de raison pendant les quelques mois qui le séparaient du retour de Nick !

Fort de cette résolution, Hal engloutit son verre d’un trait. Quelques instants plus tard, son valet Jeffers entrait dans la pièce, des cartons à vêtements plein les bras.

Hal haussa un sourcil interrogateur.

— Madame votre mère est passée en votre absence.

— Grâce à Dieu, je n’étais pas là, dit Hal avec un soupir.

Jeffers sourit.

— Elle est venue tôt dans l’intention de vous parler seule à seul et je dois prévenir monsieur qu’elle a été pour le moins… désappointée, d’apprendre que vous étiez sorti. Il a fallu un verre de madère et plusieurs des meilleurs biscuits de la cuisinière pour la persuader que vous ne vous étiez pas absenté sciemment. Bien qu’elle ait consenti à laisser pour vous ces paquets, je crois pouvoir dire, sans trop de risque de me tromper, que vous n’êtes pas dans ses petits papiers.

Hal leva les yeux au ciel. Son valet était aussi bavard et ampoulé que lui-même était laconique ! Toutefois, on ne pouvait enlever à Jeffers son sens du récit.

— Je ne l’ai jamais été, marmonna-t-il en réponse.

Jeffers hocha la tête avec un air compatissant.

— Pas faux, admit-il.

— Qu’y a-t-il là-dedans ? Vous avez déjà regardé, j’en suis sûr.

Jeffers s’éclaircit la gorge et s’efforça de feindre l’indignation — avec un succès mitigé.

— Mme Waterman a fait quelques achats « pour mettre votre garde-robe au goût du jour et vous aider à avoir une allure plus moderne ». Ce sont ses termes.

Craignant le pire, Hal se passa une main lasse sur les yeux.

— C’est immettable ?

Jeffers ouvrit la première boîte.

— Hum… Le pantalon Wellington est du dernier chic, commenta-t-il en secouant le vêtement pour le montrer à son maître.

Avec une moue dubitative, Hal jeta un œil écœuré sur le long pantalon orné d’une fente latérale courant du mollet à la cheville. Une boucle permettait de fixer le bas sous le soulier.

— Ridicule. Je préfère mes culottes d’équitation, trancha Hal.

— Très bien, monsieur, approuva le valet, avant d’ouvrir le carton suivant.

Son air excessivement neutre alerta aussitôt Hal.

Cette fois, sa mère s’était surpassée. Le gilet qu’il avait sous les yeux était orné de larges bandes de soie jaune poussin et bleu roi.

— D’après Mme Waterman, c’est du dernier cri, avança Jeffers, affable.

Médusé, Hal eut du mal à recouvrer la parole.

— J’aurais l’air d’une tente de cirque avec cette horreur.

Même Jeffers devait penser que Laetitia Waterman avait un peu exagéré. Hal vit ses lèvres frémir.

— Je suppose que l’article suivant a précisément été choisi pour éviter ce genre de confusion, afin de vous donner une allure plus… svelte, reprit le valet en sortant le dernier habit de sa boîte.

— Que diable…  ? s’écria Hal.

— C’est un corset Cumberland. La partie centrale contient des baleines reliées à des lacets qui se nouent comme ceci, derrière la taille…

Médusé, Hal prit le vêtement des mains de Jeffers et le considéra un instant. Soudain, une violente explosion de rire le terrassa. Devant ce déchaînement d’hilarité, Jeffers ne parvint pas à garder plus longtemps une attitude impassible et se joignit à son maître.

Plusieurs minutes s’écoulèrent avant que Hal ne parvienne à se ressaisir. Toujours secoué de brefs hoquets, il rejeta le corset dans son carton, où il chut avec un tintement de billes entrechoquées.

— Je pourrais donner ça aux pauvres. Mais ce serait trop cruel. Tenez, Jeffers, allez donc le vendre. C’est tout neuf et de la meilleure qualité, comme toujours.

— Dois-je reverser le produit de la vente sur le compte de la maisonnée ?

Hal jeta un regard menaçant à son valet.

— Ces abominations sont à vous. Et vous le savez ­parfaitement, vaurien. Avec tous les cadeaux de ma mère, vous devriez avoir de quoi vous payer une belle retraite, aujourd’hui.

Jeffers affecta un air modeste, mais son sourire était resplendissant.

— En effet, monsieur. C’est très généreux de votre part.

— C’est ça, c’est ça, allez, hors de ma vue, répliqua Hal.

Le valet rassembla les boîtes éparses.

— Et, au fait, Jeffers…

L’interpellé s’immobilisa sur le pas de la porte, les boîtes dans les bras.

— Oui, monsieur ?

— Si je vous vois avec ce gilet, vous êtes viré.

Jeffers réprima un gloussement.

— Si jamais il me prenait l’envie d’enfiler un tel habit, monsieur, vous pourrez aussi bien m’achever sur-le-champ. Ah, j’oubliais l’essentiel : Mme Waterman espère que vous aurez la politesse de lui rendre visite dès que possible.

Hal soupira. Sa mère avait certainement planifié cette visite matinale dans ce seul but. De la sorte, elle pourrait vérifier, quand il lui rendrait visite, s’il portait ses nouveaux vêtements. Eh bien, autant se préparer à un sermon sur son ingratitude à l’égard de sa pauvre mère. Il n’y couperait pas. Néanmoins, mieux valait endurer mille remontrances plutôt que de s’affubler de monstruosités pareilles.

*  *  *

En début d’après-midi, Hal sonnait à la porte de la grande demeure familiale à Berkeley Square. Il s’était habillé avec un soin particulier, mais ne se faisait aucune illusion… Sa mère n’apprécierait guère sa sobriété, elle qui aurait tant aimé le voir dans un pantalon à lacets et un gilet aux rayures audacieuses. Holmes, le sévère majordome de sa mère, le conduisit dans le salon vert en lui assurant que madame allait le recevoir immédiatement.

Mal à l’aise, Hal adressa une brève prière aux cieux. Pourvu que le carnet mondain de sa mère soit suffisamment plein pour qu’elle le dispense d’un trop long entretien.

Sitôt qu’il entendit la porte s’ouvrir dans son dos, Hal se raidit. Il inspira profondément avant de se tourner vers sa mère. Avec raideur, il s’inclina pour baiser la main qu’elle lui tendait.

— Enfin, tu es là.

— Cette robe vous va à ravir, mère. Vous êtes splendide.

Ce qui était la stricte vérité. Quoiqu’elle eût allègrement dépassé la cinquantaine, Laetitia Waterman paraissait plus jeune d’au moins une bonne décennie, sinon de deux. Le secret de cette cure de jouvence était jalousement gardé par l’intéressée et son couturier attitré. Rien d’étonnant qu’elle continue depuis plus de trente ans à trôner au sommet de la haute société. Ses boucles blondes étaient aussi éclatantes, sa silhouette aussi déliée et sa peau pâle aussi lisse que lorsqu’elle était l’égérie de la saison londonienne.

Comme nombre de jeunes gens, le père de Hal avait été ébloui par cette beauté sophistiquée. Certes, les Waterman étaient dépourvus de titres, mais ils se trouvaient apparentés par les liens du sang ou du mariage à la moitié des grandes maisons d’Angleterre et possédaient plus de richesses que toutes réunies ; aussi, nul n’avait été vraiment surpris d’apprendre que la belle Laetitia avait finalement accordé sa main à Nathan Waterman.

Son père avait-il regretté cette insigne faveur ? La question continuait de travailler Hal.

— Merci, mon chéri, repartit sa mère.

Elle le toisa avec une moue consternée avant de lui désigner un siège.

— Je constate que tu n’as pas su tirer profit des habits que je t’ai choisis.

— Désolé, mère. C’était très gentil de votre part. Mais ce n’est pas mon style.

— Justement, Hal, répliqua-t-elle en rivant ses prunelles bleues dans les yeux gris de son fils. C’est à cette absence de style que je désirais remédier en te proposant une tenue mieux adaptée à un homme de ta stature. Hélas, tu n’en fais qu’à ta tête, comme à l’accoutumée.

Hal s’abstint de répondre. Quoi qu’il dise pour se justifier, sa mère ne tarderait pas à interrompre ses laborieuses explications avec une légère grimace. Elle ne s’était jamais faite au phrasé hâché de son fils.

Combien de fois par le passé l’avait-elle interrompu, lui ordonnant de cesser d’ânonner ? Si seulement c’était aussi simple que cela. Ce n’était pas les mots qui lui manquaient, mais la facilité pour les prononcer.

Comme il gardait le silence, sa mère pria Holmes de leur apporter le thé. Lorsqu’elle se retourna vers lui, Hal fut aussitôt sur ses gardes.

Il connaissait ce sourire éclatant. Il n’annonçait rien de bon. La mort dans l’âme, il regarda le majordome les servir avant de se retirer.

— Voilà des semaines que je ne t’ai pas vu, Hal. Tout ce temps dans le Nord à travailler sur je ne sais quel projet inapproprié…

— Un creusement de canaux, mère.

Laetitia Waterman balaya l’intervention d’un revers de main.

— Tout cela est d’une trivialité affligeante, mon garçon. Ne te suffit-il donc pas de te salir les mains à négocier avec ces financiers de la City ?

En voyant l’air irrité de sa mère, Hal songea qu’il devait terriblement l’embarrasser devant ses amis… Seigneur, il n’allait tout de même pas s’en excuser, alors que c’était grâce à ces activités « triviales » qu’il entretenait le capital qu’elle se plaisait à dépenser !

— Assez parlé de ça ! J’espère que j’aurai bientôt le plaisir de te voir un peu plus, parce que j’ai récemment rencontré une jeune femme des plus charmante. Une beauté ! Et quelle distinction ! Bien entendu je l’ai prise sous mon aile. Je suis certaine qu’un seul regard sur elle suffira à te détourner de tes assommants hobbys pour te ramener à des occupations dignes de ton rang.

Hal serra les dents. Sa mère ne renoncerait-elle donc jamais ? Tous les ans, la torture recommençait… Chaque saison voyait arriver une nouvelle fournée de demoiselles en quête de mari. La plupart étaient plus que prêtes à passer outre son caractère taciturne et ses penchants « vulgaires » pour avoir la chance de mettre leur main gantée de dentelle sur la fortune des Waterman.

— Il se trouve justement que ma chère Tiffany doit me rendre visite cet après-midi. J’ai demandé à Holmes de l’introduire ici dès son arrivée afin que vous puissiez immédiatement faire connaissance !

De mieux en mieux !

Fataliste, Hal se renfonça dans son fauteuil et garda le silence, tandis que sa mère devisait sur le goût exquis de lady Tiffany, sa parfaite éducation et l’entregent de sa parentèle.

Inutile de chercher à se dérober. Jamais il n’aurait la faconde nécessaire pour tenir tête à sa mère. Elle submergerait ses capacités d’expression, le noyant sous un déluge d’objections. Et, au bout du compte, il se retrouvait vaincu et guère plus avancé… Après sept ans de ce petit jeu, il avait fini par comprendre que le silence était la meilleure arme face à Laetitia Waterman.

Il ne lui restait plus qu’à prier pour que son calvaire ne dure pas trop longtemps.

Au même moment, Holmes vint leur annoncer l’arrivée de la jeune personne en question. Lugubre, il se leva pour l’accueillir.

La jeune femme qui pénétra dans la pièce était plus âgée qu’il ne s’y attendait. Pas loin de vingt-cinq ans, sans doute. Sa mère pensait-elle que, faute d’avoir réussi à persuader son fils de prendre pour épouse l’une des gamines à peine pubères qu’elle lui avait présentées jusqu’alors, elle parviendrait à l’appâter avec une candidate plus mûre ? L’âge n’avait rien à voir là-dedans !

Soudain, le nom de la jeune femme trouva un écho dans sa mémoire.

Fille de comte, lady Tiffany Upton avait déjà laissé passer quatre saisons londoniennes sans se fiancer. A priori, la demoiselle avait une ambition matrimoniale démesurée. Malheureusement pour elle — et par conséquent, pour lui — aucun des célibataires les mieux titrés du royaume ne semblait jusqu’à présent s’être intéressé à elle. Ce qui expliquait sans doute pourquoi elle avait décidé qu’une fortune conséquente était un substitut acceptable à un titre prestigieux.

Pour être honnête, la demoiselle ne manquait pas de charme. Elle avait des yeux sombres assez grands, à défaut d’être brillants, un visage agréable, des boucles brunes habilement coiffées et une toilette qui devait certainement être du dernier chic.

Hal s’inclina au-dessus de sa main.

— Enchanté, mademoiselle.

— Ravie de vous rencontrer, monsieur Waterman, repartit lady Tiffany avec un rire de gorge désagréable.

— Je disais justement à mon fils que nous comptions sur lui pour nous accompagner à toutes les soirées intéressantes de cette saison, annonça la mère de Hal en leur indiquant d’un geste élégant du poignet qu’ils pouvaient s’asseoir.

Vraiment ? Elle lui avait dit ça ?

Hal prit soin de choisir le siège le plus éloigné de la visiteuse.

— Ce serait merveilleux, approuva cette dernière. Je suis sûre, madame, que vous saurez nous conseiller les réceptions les plus éblouissantes. Ma mère aime à répéter que vous possédez un goût exquis.

Flattée, Laetitia sourit et tapota la main de la jeune femme.

— Vous êtes trop aimable, ma chère. Il se trouve que je viens justement de recevoir une invitation au bal de lady Cowper vendredi prochain. Tu pourras nous y escorter, Hal, n’est-ce pas ?

Jamais de la vie ! Quelle excuse allait-il bien pouvoir inventer ? A peine eut-il le temps de passer en revue des mobiles plausibles pour s’esquiver, que lady Tiffany s’exclamait :

— Quel bonheur ! J’aime tellement la danse ! Aimez-vous danser, monsieur Waterman ? interrogea-t-elle, comme si elle doutait même que Hal soit capable de marcher.

— Naturellement, Hal danse fort bien, répondit sa mère à sa place. Et il aura une tenue appropriée.

Sa mère accompagna cette dernière remarque d’un regard menaçant à son adresse.

— Vraiment ? demanda la jeune femme d’un ton suspicieux.

Elle paraissait peu convaincue. L’air plein d’effroi, elle se pencha vers sa mère.

— Aime-t-il vraiment danser ? Il n’a pas l’air d’être le genre d’hommes à aimer les futilités. Non qu’il soit forcé de danser. Je serai tellement ravie de passer la soirée en votre compagnie, chère Laetitia. Je n’aurais sans doute nulle envie de danser, moi-même.

Laetitia Waterman accueillit le compliment avec un sourire affable.

— Ma douce enfant, comme vous êtes attentionnée ! Mais il vous faudra danser aussi. Et Hal sera ravi de vous inviter, j’en suis sûre.

Estomaqué, Hal ne pipait mot. C’était de lui qu’elles parlaient… comme s’il n’était pas là ! Finalement, il préférait les ingénues. Au moins, elles étaient trop timides pour se permettre ce genre de commentaires.

Brusquement, l’exaspération l’emporta sur le désarroi et l’amertume que continuait à provoquer en lui l’indifférence hautaine de sa mère. Il se redressa et lâcha, sans se préoccuper de les interrompre :

— Désolé, je suis attendu ailleurs. Au plaisir, lady Tiffany. Mère…

Il s’inclina, puis tourna les talons pour sortir du salon.

Stupéfaite, sa mère ne tenta pas de le retenir.

— A vendredi prochain, Hal. Nous dînerons ici même avant de nous rendre à la réception.

Furieux, Hal lui adressa un bref hochement de tête pour toute réponse. Comme il s’éloignait, il entendit lady Tiffany demander :

— Pardonnez-moi cette question indélicate, chère Laetitia, mais s’exprime-t-il donc toujours de manière aussi brutale ?

— Hélas, oui. C’est une pénible épreuve pour moi, repartit sa mère d’une voix faible.

— Eh bien, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je peux certainement essayer d’arranger ça et lui faire retrouver des manières plus affables !

Le cœur de Hal se serra. Par chance, la porte du salon se referma derrière lui et réduisit au silence le reste du dialogue. Trop agité pour attendre que le majordome lui rapporte sa canne et son chapeau, il passa en trombe devant les valets et quitta la résidence maternelle.

Tout à sa rage, il renonça à prendre un fiacre. Une petite marche rapide l’aiderait à apaiser sa colère et à dénouer la boule d’indignation qui lui serrait la gorge. Mieux encore, il irait directement à la City pour continuer son enquête sur les finances de Lowery. Cette perspective le soulagea légèrement.

Sa mère n’aurait-elle donc jamais le moindre égard pour ses sentiments ? Il eut un rire amer. Pourquoi en aurait-elle eu plus aujourd’hui qu’hier ?

Les souvenirs douloureux se pressaient dans sa mémoire. Il avait à peine six ans. Moins d’un mois s’était écoulé depuis la mort de son père quand elle l’avait envoyé à Eton. Là-bas, grâce à Dieu, il avait rencontré Nicky et fini par se trouver une place dans l’univers rude et cruel des collégiens.

Jamais plus, ensuite, il n’avait pleuré pour réclamer sa mère. La plaie ouverte en son cœur endeuillé de petit garçon par le manque d’amour parental s’était refermée et cicatrisée.

Au fil des ans, il avait espacé ses visites, préférant passer ses congés en compagnie de Nicky et Ned. Puis, dès que les fidéicommis chargés de la gestion de son patrimoine lui en avaient transmis la pleine et entière propriété, il avait emménagé en ville dans une maison à lui.

Pourtant, il savait que sa mère, malgré son égocentrisme et son caractère autoritaire, l’aimait. Du moins, autant qu’elle était capable d’aimer quelqu’un d’autre qu’elle-même. Hal supposait que ses efforts continuels pour l’« améliorer » et lui trouver un bon parti étaient sa manière à elle de lui témoigner de l’affection. Une tentative mal inspirée mais sincère d’améliorer la vie de son fils — selon ses critères.

Mais, cette fois, Laetitia Waterman n’aurait pas gain de cause. Il ne savait pas encore comment, mais il n’irait pas à ce bal ! Fort de cette résolution, Hal s’arrêta à la première station de fiacres venue, monta dans une des voitures et demanda au cocher de le conduire à Bow Street. Il allait voir Mason.