Chapitre 12

— Hendricks ! s’époumona Adrian.

Si l’homme était encore dans la maison, il ne pouvait pas ignorer l’appel de son maître.

— Monsieur ?

La réponse avait été si rapide qu’Adrian se demanda si son secrétaire n’écoutait pas aux portes.

— Je viens de subir pendant quinze interminables minutes la compagnie d’Eston. Suis-je dans l’erreur ou n’est-ce pas justement pour m’éviter ce genre de désagréments que je vous paye, Hendricks ?

— Toutes mes excuses, Monsieur.

S’il était honnête, Adrian devait admettre que la livraison du piano était seule cause de l’intrusion intempestive de son visiteur, car les portes avaient été laissées ouvertes.

Accuser Hendricks de négligence était donc parfaitement injuste, mais l’abus d’alcool le rendait irritable, tout comme le reniflement réprobateur de Hendricks à la vue du spectacle qu’il offrait.

Adrian repoussa la carafe.

— Pour éviter les questions d’Eston au sujet de mon comportement, je lui ai laissé croire que j’étais soûl. J’ai d’ailleurs définitivement abîmé cette veste en m’aspergeant d’alcool, ajouta-t-il en montrant la manche de sa redingote. Malgré cela, je n’ai pas réussi à échapper aux bavardages de mon beau-frère. L’impudent s’est senti dans l’obligation de m’informer que ma femme avait pris un amant. Etes-vous au courant de cela, Hendricks ?

— Je ne sais rien, Monsieur.

Il y avait un tel manque de conviction dans sa voix qu’Adrian fut immédiatement convaincu du contraire.

— Vraiment ? Pourtant, vous l’avez vue récemment, n’est-ce pas ?

— Oui, Monsieur. Ce matin.

— Et comment vous a-t-elle semblé, la dernière fois que vous lui avez parlé ?

— Bien.

— C’est tout ce que vous avez à me dire, Hendricks ? Son frère a pourtant sous-entendu qu’elle était trop épanouie pour être honnête.

— Je n’ai rien remarqué d’inhabituel chez Madame.

Hendricks aurait dû s’offusquer de la remarque de David, mais le fait qu’il ait compris aussitôt ce qu’elle impliquait éveilla la suspicion d’Adrian.

— Et où était-elle, la dernière fois que vous l’avez vue ?

Il y eut un court instant de silence avant que Hendricks ne réponde.

— Chez son frère, Monsieur.

— C’est pour le moins étrange, puisqu’elle n’y habite plus.

— Elle était dans ses appartements, Monsieur, avoua Hendricks.

Bien qu’il ait été pris en flagrant délit de mensonge, la voix de l’homme ne trahissait aucun trouble.

— Vous connaissez donc les lieux ? demanda Adrian en résistant à l’envie de s’exclamer : « Ha ha ! » comme dans les mauvais vaudevilles. J’imagine que vous vous y êtes rendu à plusieurs reprises.

— En effet, Monsieur.

La voix de Hendricks était maintenant très légèrement voilée mais, pour quelqu’un dont les turpitudes étaient sur point d’être révélées, il faisait preuve d’un sang-froid presque inquiétant.

Comment cet homme avait-il bien pu séduire la douce Emily ?

— Si je me souviens bien, Hendricks, vous portez des lunettes.

— En effet, Monsieur, répondit le secrétaire, surpris par la remarque.

Le futur lord Folbroke serait sans doute affublé d’une vue moins parfaite qu’on eût pu l’espérer… Enfin, une vision défaillante était toujours préférable à pas de vision du tout, se consola Adrian.

— Eston est très inquiet pour la réputation de sa sœur si l’on apprenait qu’elle vit à Londres avec un homme autre que son mari, expliqua Adrian. Si elle voulait un appartement à elle, elle aurait tout de même pu demander l’autorisation à son mari. Ne croyez-vous pas, Hendricks ?

L’outrecuidance de son secrétaire commençait à l’agacer et il comptait bien le secouer un peu.

— Est-ce ce que vous auriez souhaité, Monsieur ? Cela fait si longtemps que vous ne lui avez pas parlé… Elle a sans doute pensé que cela vous était égal, répondit Hendricks avec un à-propos qu’Adrian pouvait difficilement contredire. Cependant, si vous désirez la voir demain, je peux organiser un rendez-vous afin que…

— Je suis juste surpris qu’elle n’ait pas cherché à me rencontrer, l’interrompit Adrian. Cette indifférence semble confirmer la théorie de son frère.

— Madame est venue vous voir le jour de son arrivée. Comme vous vous en souvenez sans doute, je suis venu vous chercher.

« Et vous m’avez trouvé avec une autre femme, et vous m’avez ramené inconscient, se rappela Adrian. Me voilà mouché », fulmina-t-il in petto.

— Comme elle n’a pas daigné revenir, j’ai considéré qu’elle n’avait rien d’important à me dire.

— Elle a été si souvent éconduite, Monsieur, qu’elle n’a probablement plus envie d’essayer.

La voix du secrétaire était glaciale et sa réprobation clairement exprimée.

— Si je puis me permettre, Monsieur, c’est peut-être à vous d’aller la voir.

— Auriez-vous la prétention de me donner des conseils matrimoniaux ?

— Non, bien sûr, Monsieur, répondit Hendricks dont l’intonation disait cependant le contraire.

— Décidément, vous vous êtes passé le mot ! se plaignit Adrian avant de faire signe à Hendricks de se diriger vers son bureau. Faites un mot à Emily la prévenant que je la verrai ce soir, à 6 heures. Ecrivez-le vite avant que les effets de la visite d’Eston ne se dissipent et que je change d’avis.

— Vous comptez la recevoir ? Comment comptez-vous faire ? Si je ne me trompe, elle ne sait toujours rien de votre condition.

Pendant un bref instant, il avait oublié.

Maudite soit cette femme étrange ! Elle était arrivée à lui faire croire qu’il pouvait mener une vie ordinaire.

— Vous avez raison, Hendricks, Emily ignore tout de ma maladie… A moins que vous ne lui en ayez parlé.

— Vous me l’avez interdit.

Il était réconfortant d’entendre la résignation dans la voix de son secrétaire. Quoi qu’il traficotât par ailleurs, Hendricks continuait à suivre certaines de ses instructions à la lettre, même s’il les jugeait absurdes.

— Après tout ce temps, il n’y a aucune façon simple de lui expliquer ce qu’il m’est arrivé, ni pourquoi je lui ai caché la vérité. Il sera plus facile de tout lui expliquer en tête à tête. Cela évitera également tous les malentendus.

A l’idée d’avouer enfin sa cécité à sa femme, Adrian eut un accès de panique.

— Le choc ne devrait pas être trop rude, je ne suis pas défiguré, tout de même. N’est-ce pas, Hendricks ? dit-il en se touchant le visage.

Peut-être ressemblait-il maintenant à un monstre et les domestiques étaient-ils trop gentils pour le lui dire…

— Non, Monsieur, vous n’êtes pas défiguré.

— Alors, j’essayerai de lui expliquer la situation dès qu’elle arrivera. Il ne faut plus de mensonges entre nous. Ce temps est révolu.

— C’est entendu, Monsieur.

*  *  *

— M. Eston, Madame.

Lorsque le majordome annonça son frère, Emily était en train de boire une tasse de thé bien méritée.

Entre sa matinée de courses et ses rendez-vous, elle avait le sentiment d’avoir fait le premier pas dans la bonne direction.

Bientôt, les problèmes de son mari seraient résolus ou en voie de résolution.

L’important était de pousser Adrian à affronter sa situation avec la maturité nécessaire ; elle ne pourrait rien réussir si elle ne parvenait pas à le convaincre.

Pour l’heure, personne ne connaissait son adresse et, à part Hendricks, elle n’attendait aucune visite. Et encore moins celle de son frère.

— David ? s’exclama-t-elle d’une voix plaintive, s’attendant à se faire tancer d’importance. Que… que fais-tu là ?

Il fallait qu’elle se reprenne, songea-t-elle aussitôt. Après tout, elle n’avait rien à se reprocher.

— Je viens voir ce que tu fabriques ici, et avec qui, répondit froidement son frère en faisant signe au majordome de lui servir du thé.

Le ton était donné. Pour un peu, on aurait pu penser qu’elle était chez lui et non l’inverse.

— Je ne suis pas sous ta responsabilité, lui rappela-t-elle. Je suis une femme adulte, et je suis mariée.

— Si on peut appeler cela un mariage…

— Ose répondre l’homme adulte, toujours dépourvu de femme et d’enfants ! répliqua Emily sur le même ton.

Cette dernière remarque sembla le désarçonner un instant, mais il se ressaisit très vite et repassa à l’attaque.

— Le sujet n’est pas ma future femme, mais ton mari. Je suis allé lui rendre visite, puisque tu ne l’as pas fait.

— C’était inutile.

— Je ne suis pas d’accord, ma chère sœur, dit-il en examinant le salon. Je t’ai vue ce matin, à Bond Street. Tu faisais des courses.

— Je m’en souviens parfaitement. Je t’ai d’ailleurs salué.

— Certes, mais tu t’es comportée de façon bien étrange. Tu étais distante, réservée. Je ne vois qu’une seule raison qui puisse expliquer ce comportement.

— Ah ? Et quelle est-elle, selon toi ?

Emily se sentit rougir, ce qui lui donna un air coupable. Malheureusement, elle ne pouvait lutter contre les images érotiques qui passaient devant ses yeux.

— Tu as une aventure avec un homme.

En disant cela, David la détailla avec attention. Elle regretta immédiatement sa tenue presque négligée. Trop négligée… sauf pour recevoir un intime.

Mon Dieu ! Et s’il allait dans la chambre ? Les draps étaient tout froissés et portaient encore les traces de ses activités nocturnes.

Elle but une gorgée de thé pour cacher son trouble.

— Que vas-tu imaginer là ?

— Tu as loué cet appartement pour abriter tes rendez-vous secrets. Avoue !

— Pas si secrets, puisque tu es ici. Tu m’as suivie, c’est bien cela ?

C’était la seule explication plausible, car s’il avait fait une enquête plus poussée, il connaîtrait déjà l’identité de son « amant ».

— J’ai questionné mon cocher, puisque tu te permets d’utiliser mon attelage. Il a avoué avoir livré tes bagages à cette adresse. Cela dit, je ne suis pas ici pour parler de mon comportement, mais du tien. Ce matin, j’attendais devant ta porte, et j’ai vu quelqu’un partir discrètement aux premières heures de l’aube. Il est monté dans une calèche avant que j’aie pu l’identifier.

— Oh ! David ! fit-elle en grimaçant à la perspective de complications supplémentaires. Pendant des années, tu ne t’es pas soucié de mes allées et venues. Pourquoi ce soudain intérêt ? Tu sais, ce n’est pas la première fois que j’ai un admirateur.

— Je sais, mais ce n’était jamais sérieux. Et puis, cela se passait à la campagne, loin des yeux du monde.

Ainsi donc, loin des yeux de son frère, elle se trouvait loin aussi de ses préoccupations.

— C’était tellement commode que j’habite à la campagne, n’est-ce pas ? J’étais seule et délaissée, mais tu avais l’esprit tranquille. Croyais-tu vraiment que je resterais indéfiniment à la campagne ?

— Non, mais j’espérais que ton retour en ville se ferait dans des conditions honorables. D’ailleurs, si tu ne sais pas te tenir, tu rentres à la maison.

— Certainement pas ! Tu voudrais vraiment que je retourne chez toi ?

— Pourquoi pas ? Au moins, tu ne jetteras pas l’opprobre sur notre famille.

— Je ne suis plus un membre de ta famille. Mais si mon comportement pose problème à Adrian, c’est à lui d’agir en me ramenant à Folbroke.

— Nous savons tous deux qu’il n’en fera rien, répliqua David avec une moue méprisante. S’il exerçait l’autorité qui est la sienne, je n’aurais pas à m’en charger à sa place. En outre, si tu ne lui facilitais pas autant les choses en prenant le domaine en charge, cela ferait peut-être longtemps qu’il serait retourné s’occuper de ses terres.

— Alors, pourquoi ne pas aller lui parler directement, au lieu de m’importuner ? Pourquoi est-ce moi que tu viens harceler à propos de notre mariage ?

— Je suis allé le voir, je te l’ai dit, répondit David, le visage fermé. Et je lui ai fait part de ce que je sais. Il était déjà ivre en tout début d’après-midi. Il m’a reçu de façon horrible ; ma visite l’ennuyait de toute évidence, et ton comportement l’indifférait.

— Il avait bu ? s’étonna Emily.

Lorsqu’elle l’avait quitté au petit matin, Adrian était sobre. Elle avait espéré avoir réglé ce problème, au moins pour un temps.

— Et que s’est-il passé ? demanda-t-elle.

— A part son indifférence grossière, tu veux dire ? Eh bien, il m’a à peine regardé et, de façon générale, il m’a ignoré.

— Je vois. Lui non plus n’a pas dû apprécier ton ingérence dans ses affaires.

Pauvre David ! Il en voudrait sans doute terriblement à Adrian en apprenant la vérité.

— Est-ce de l’ingérence de souhaiter le bonheur de sa sœur et de son meilleur ami ? Est-ce de l’ingérence de vouloir éviter qu’un scandale n’éclabousse des êtres chers ?

Quelle ironie ! songea Emily. Ce qui s’était passé dans cet appartement était sans doute ce qu’Adrian avait fait de moins scandaleux depuis leur mariage.

— Pourquoi crois-tu que je suis à Londres ? Peut-être ai-je, moi aussi, un plan pour réparer tout cela. Tu devrais me faire confiance. Tu n’es pas marié et il est difficile pour toi d’imaginer ce qui peut se passer entre époux, même lorsqu’ils sont malheureux. Je sais que c’est difficile à croire, mais je pense avoir compris comment amener Adrian à changer.

Dubitatif, David secoua la tête puis dévisagea longuement sa sœur.

— Très bien. Mais fais vite, car ma patience est presque à bout et je ne pense pas supporter ce cirque encore bien longtemps. Si tu ne parviens pas à le ramener à Folbroke avec toi, je jure que je l’y traînerai moi-même par la peau du cou !

L’air soudain las et triste, David soupira.

— Tu sais, j’ai du mal à le regarder se détruire… Alors je ne resterai pas les bras croisés.

Ce qu’elle avait pris chez David pour un désir de contrôler sa vie et celle de son mari n’était en réalité que l’expression de son désarroi face au comportement suicidaire de son meilleur ami.

Elle lui donna une petite tape amicale sur le bras.

— Fais-moi confiance encore quelques jours. Tout va s’arranger, tu verras.

Soudain, une voix se fit entendre dans l’entrée. Un autre visiteur ?

Avant qu’Emily ait le temps de se demander de qui il pouvait bien s’agir, Hendricks entra dans le salon avec l’assurance d’un homme qui se sent chez lui.

Elle remarqua le regard courroucé que son frère jeta au secrétaire de son mari, mais n’en comprit pas la raison.

— Monsieur Hendricks, dit sèchement David.

— Monsieur Eston.

Derrière ses lunettes, le regard de Hendricks était tout aussi peu amène, comme si les deux hommes se lançaient un défi silencieux.

« Etrange… », pensa Emily.

— Madame, je vous apporte une lettre de votre mari.

— Voilà qui est étonnant ! fit remarquer David comme s’il mettait en doute les dires du secrétaire.

— Je crois qu’il l’a écrite sur vos conseils, Monsieur.

— Et vous avez su l’apporter ici ? Comment connaissez-vous cette adresse ? Vous êtes-vous même arrêté chez moi ? Non, certainement pas. Alors comment avez-vous…

— David, je t’en prie ! l’interrompit Emily. M. Hendricks connaît cette adresse, car c’est grâce à lui que je loue cet appartement. Quant à la lettre d’Adrian, disons que nous sommes en meilleurs termes que tu l’imagines. Maintenant, laisse-moi lire ce mot en privé, s’il te plaît.

— Très bien, répondit David tout en jetant à Hendricks un regard suspicieux. Mais si ton mari et toi ne vous êtes pas revus dans la semaine, je retourne voir Adrian pour lui raconter ce que j’ai vu ici. Il sera sûrement très intéressé.

Après son départ, exaspérée par son frère dont la présence avait retardé une lecture qu’elle espérait plaisante, Emily regarda la lettre qu’elle tenait en main.

Elle s’aperçut alors que la missive était adressée à Emily et écrite de la main de Hendricks.

— Il a donc fini par me convoquer, n’est-ce pas ?

— Oui, Madame. Il s’inquiète de votre situation et a honte de vous avoir négligée si longtemps. Il regrette également de vous avoir caché sa cécité.

— Il a mauvaise conscience, rien de plus.

— Votre frère lui a rendu visite, et Monsieur se demande maintenant pourquoi vous avez quitté la résidence de M. Eston. Votre frère pense que vous entretenez une liaison.

— Et il a raison.

Tout à coup, l’hostilité de David envers Hendricks s’expliquait.

— Il vous prend pour mon amant, c’est cela ? Ridicule !

Grâce à l’imagination fraternelle, Hendricks avait donc quitté ses habits de secrétaire pour devenir son Lancelot.

— Et mon mari a cru ces ragots ? demanda-t-elle.

Pour seule réponse, Hendricks désigna la lettre qu’elle tenait toujours d’un mouvement du menton.

— Je vois… D’après vous, comment a-t-il réagi en apprenant ma prétendue infidélité ?

— Vous voulez vraiment mon opinion ?

— Oui. Vous êtes le mieux placé.

— Il est jaloux, Madame.

Un sentiment de triomphe envahit Emily, immédiatement suivi par de l’agacement.

— Deux poids, deux mesures. Et a-t-il prévu un ordre du jour à ce rendez-vous ?

— Il entend évoquer ses problèmes.

— Que je connais déjà. Qu’attend-il de cette révélation ?

— Sans doute espère-t-il que vous arriverez à un compromis.

— Un compromis dont je devine le contenu… Je serai discrète et il ne changera rien, grommela-t-elle en jetant la lettre au feu. Inutile que je me déplace, puisque ce genre d’arrangement ne m’intéresse pas.

Elle se contraignit à sourire à Hendricks, car elle préférait lui cacher à quel point elle était blessée et furieuse.

— Je m’amuse beaucoup trop pour mettre un terme à cette mascarade, poursuivit-elle. Si, de surcroît, l’idée de me savoir heureuse avec un autre l’incommode, c’est la cerise sur le gâteau.

— Souhaitez-vous lui adresser un message dans ce sens ?

— Non.

Curieusement, après avoir espéré si longtemps ce moment, la convocation d’Adrian la mettait dans une rage telle qu’elle pouvait à peine parler.

— Il n’y a pas de message, précisa-t-elle. S’il vous questionne, dites-lui que j’ai refusé de venir. Puisqu’il m’ignore depuis des années, il ne doit pas s’étonner si, le soir où il daigne enfin me parler, je suis occupée ailleurs.

— Comme vous voudrez, Madame, répondit Hendricks sur un ton déférent.

Son visage, en revanche, exprimait clairement tout le mal qu’il pensait de sa réponse.

Il avait raison, bien sûr. Réagir ainsi était une erreur, un comportement idiot et puéril.

Elle aurait dû trouver réconfortant de voir son mari se soucier enfin d’elle. Tout comme elle aurait dû se réjouir en découvrant qu’Adrian avait tenu si souvent la miniature à son image qu’il en avait usé la peinture.

Or, au lieu de lui faire plaisir, cela ne rendait que plus douloureuse la pensée de tout le temps perdu passé loin l’un de l’autre.

Et puis, elle avait du mal à admettre que son mari se souciait d’elle après s’être vautré dans l’infidélité, même si elle en était l’heureuse bénéficiaire.

Elle soupira.

— Je suis désolée, Hendricks, mais je n’ai pas envie de lui faciliter les choses, car la patience de sa femme est à bout. Mais rassurez-vous. Je vais l’attendre ce soir, comme tous les soirs. Peut-être sera-t-il plus ouvert et disponible avec sa maîtresse…