Chapitre 15

« Merci. »

Comment pouvait-on répondre aussi bêtement à une femme qui vient de vous offrir son cœur !

Mais qu’aurait-il pu dire d’autre ? De toute façon, la réponse qu’elle attendait n’était pas celle qu’il pouvait lui donner. Et puis, toute autre chose aurait paru plus ridicule encore…

— Hendricks !

Adrian tendit ses gants et son chapeau au valet et alla directement dans sa chambre. Il entendit Hendricks arriver et sentit sa présence derrière lui.

— Monsieur, dit Hendricks pour signaler sa présence.

Il avait dû interrompre le petit déjeuner de son secrétaire, car celui-ci parlait la bouche pleine.

— Quelle heure est-il ?

— 8 heures et demie. Très tôt pour vous, Monsieur.

Ces derniers mots n’étaient pas un reproche de la part de Hendricks, mais une excuse pour expliquer sa surprise et son manque de préparation.

— Trop tôt pour être cohérent, voulez-vous dire ? Eh bien, attendez-vous à être surpris. Non seulement je suis sobre, mais j’ai dormi, pris mon petit déjeuner et j’ai même fait une promenade matinale.

Il entendit derrière lui une petite toux.

Saisi, Hendricks venait d’avaler de travers.

Adrian sourit.

— Aujourd’hui, il semblerait que j’aie pris de l’avance sur vous. Allez donc terminer votre petit déjeuner. Ou, si vous préférez, apportez-le dans ma chambre. Avec le journal. Vous pouvez vous installer à la table située près de la fenêtre. Vous verrez, la brise matinale est particulièrement agréable et, d’après mes souvenirs, la vue est assez plaisante.

— Merci, Monsieur.

Son valet les avait rejoints et attendait pour le débarrasser de son manteau. Il avait toutes les difficultés du monde à ne pas paraître aussi dérouté que Hendricks.

Avant d’ôter son manteau, Adrian glissa la main, comme il le faisait toujours, dans la poche pour récupérer la miniature de sa femme. Ses doigts rencontrèrent une forme inattendue. La carte ! La carte qu’elle avait voulu lui donner lorsqu’ils étaient au parc.

Il regretta d’avoir aussi mal réagi. Elle voulait juste l’aider ; il n’aurait pas dû tourner en ridicule ses louables intentions. Et puis, il devait bien se l’avouer, il se sentirait bien seul si, un jour, lassée par ses accès de mauvaise humeur, elle décidait de l’abandonner.

Le hasard venait de lui démontrer à quel point son amertume pouvait sembler déplacée au regard du sort terrible qui frappait certains.

Son amante pouvait avoir tort. Peut-être était-il en effet devenu un être inutile. Peut-être finirait-il son existence assis derrière une fenêtre, à écouter la vie passer à l’extérieur. Une chose était certaine, en revanche : il ne serait jamais réduit à agiter une sébile à un coin de rue.

Elle lui avait parlé de Paris et, soudain, il s’imagina à Paris ou ailleurs, dans les bras de sa maîtresse, en train de boire du vin et de lire de la poésie. L’image était si précise dans son esprit qu’elle en devenait douloureuse. Comment, en effet, pouvait-elle lui laisser croire que leur arrangement pourrait avoir un caractère permanent ? Autant lui dire qu’il était capable de voler jusqu’à la lune !

Pendant qu’on le rasait, il laissa ses doigts courir sur les lignes granuleuses qui couvraient le papier.

Devant elle, il ne pouvait pas essayer de déchiffrer la carte. Il se serait ridiculisé et elle aurait constaté combien il était faible et incapable.

Ou le contraire… il lui aurait prouvé qu’il pouvait agir, mais se refusait à le faire.

« Ma fierté est bien mal placée, si je crains le succès autant que l’échec », se dit-il dans un accès de lucidité.

Il fit de nouveau glisser ses doigts sur la surface de la carte, remarquant au passage que les reliefs étaient organisés en groupes et ces groupes assemblés en lignes. Très rapidement, il comprit que ces formes constituaient des lettres et il se mit à déchiffrer.

Elle avait raison, cela ressemblait à du français.

Il pouffa en comprenant les mots qui apparaissaient sous ses doigts. Avait-elle essayé ? Après tout, une fois que l’on avait saisi le principe, lire les mots n’était pas difficile.

— « L’amour est aveugle et rend aveugles ceux qu’il gouverne », lut-il à haute voix.

— Attention, Monsieur ! le rappela à l’ordre son valet.

Tout content d’avoir réussi aussi vite à « lire » la carte et amusé par son contenu, il s’était mis à rire et avait bougé, prenant le risque d’être coupé par la lame du rasoir. Il fit signe qu’il avait compris et qu’il ne bougerait plus.

Le fait que cette diablesse n’avait pas choisi cette carte par hasard ne faisait aucun doute pour lui. Elle savait ce qui était écrit, et elle souhaitait que ce soient les premiers mots qu’il lise depuis des mois. Il avait cru qu’il s’agissait de poésie, et il avait eu tort ; l’homme qui avait écrit cela était un érudit français, pas un ami des Muses.

Il passa de nouveau les doigts sur la carte, plus vite cette fois. Oui, le déchiffrage était assez aisé, mais il doutait de pouvoir parcourir des pages de cette écriture aussi vite qu’il lisait avant que sa maladie ne s’aggrave.

Au dos de la carte, l’auteur qualifiait la cécité de cadeau divin et de maladie. Certes, Adrian était heureux de comprendre les idées qui émergeaient sous ses doigts, mais la théorie de l’auteur le faisait bondir.

Si Dieu avait frappé les Folbroke dans l’idée d’en faire des messagers divins, alors Dieu lui-même était aveugle… Et faisait preuve de bien peu de discernement dans le choix de ses serviteurs.

Et pourtant…

— Hendricks !

— Lord Folbroke.

Son secrétaire lui avait répondu d’une voix claire.

— Vous souvenez-vous d’un membre du Parlement qui soit devenu aveugle ?

— Bien entendu, Monsieur.

Impatient d’entendre ce que Hendricks avait à dire, il se pencha en avant.

— Vous, Monsieur. Votre père, bien sûr, et votre grand-père.

— Mais non, imbécile ! Quelqu’un d’une autre famille.

— Je ne connais pas d’autre exemple, Monsieur. Mais ce n’est pas impossible. Il y a aussi les boiteux, n’est-ce pas ?

— Oui et les sourds. Sans oublier les fous, ajouta Adrian en riant. Sans cela, comment pourrions-nous justifier les décisions politiques qui ont été prises ?

— Plus sérieusement, Monsieur, je peux me renseigner, si vous le souhaitez. Cela dit, j’imagine que les parlements ont l’obligation d’accommoder autant que possible ceux qui… sont… qui y siègent de droit, non ?

Sacré vieil Hendricks ! Il avait failli dire : « handicapés, comme vous », mais il s’était retenu à temps.

— Oui, renseignez-vous, Hendricks et informez-moi de ce que vous découvrirez. J’ai une tâche pour vous. Je dois parler à quelqu’un du bureau militaire pour savoir s’il est possible de localiser un soldat. J’ai rencontré la mère du soldat en question, au parc, ce matin.

— Au parc ? répéta Hendricks, estomaqué.

— Devant les grilles, pour être exact. Les circonstances ont poussé cette femme à mendier dans la rue, et j’ai promis de l’aider si elle se présente ici demain.

— Une mendiante va se présenter ici ?

— Oui, Hendricks. Une vieille aveugle. C’est elle, la mère du soldat.

— Je vois.

— Et quelles que soient les nouvelles de son fils, il faudrait se renseigner pour savoir si elle peut percevoir quelque chose…

— Considérez la chose comme réglée, Monsieur, dit Hendricks en se levant, prêt à s’acquitter de ses tâches. Désirez-vous que je fasse autre chose ?

— Oui. Il y a autre chose, en effet.

Le secrétaire s’approcha de lui et Adrian lui tendit la carte qu’il avait encore à la main.

— Que pensez-vous de ceci ?

— C’est un extrait d’un texte de Jean Passerat, Monsieur.

— Oui, je sais, Hendricks, parce que je l’ai lu.

— Pardon ? fit Hendricks dont le ton trahissait la stupéfaction.

— Voyez-vous, les lettres sont en relief et je peux les sentir. C’est assez laborieux, mais on finit par les distinguer. Je me suis dit qu’il existait sûrement un imprimeur capable de faire la même chose. Il leur faut juste mettre les lettres en quelque sorte à l’envers, de façon à imprimer en relief et non en creux comme on le fait habituellement.

Hendricks resta un instant silencieux, sans doute pour réfléchir.

— C’est faisable, conclut-il.

— Il suffit de prévoir des moules spéciaux, ajouta Adrian.

Il imaginait déjà tous les moyens pour mettre en place un système applicable et, tout à coup, il n’eut plus qu’une envie, se lever et agir.

— Cela sera sans doute très cher, mais je ne manque pas d’argent.

— C’est vrai, Monsieur.

Hendricks semblait soulagé et heureux.

— Si cela peut être fait pour moi, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait le faire pour d’autres, poursuivit Adrian. L’asile de Southwark pourrait même en utiliser. Je sais qu’il ne se considère pas comme un lieu d’éducation mais, moi, je crois le contraire.

— Et personne n’est mieux placé que vous pour organiser ce genre de chose.

— En effet. Et si je pousse le raisonnement jusqu’au bout, je ferais un excellent directeur pour ce lieu. Un homme influent et riche pourrait changer la face de cette institution.

— Et pour que les résidents puissent vraiment bénéficier de votre aide, il faudrait consacrer beaucoup de temps à cet endroit, fit remarquer Hendricks.

Du temps ? Il en avait tellement ! songea Adrian. Les jours s’étiraient sans fin devant lui, et l’ennui l’avait maintes fois amené à se conduire de façon inconsidérée.

Il sourit

— Si je ne me trompe, Hendricks, le soutien à des œuvres de charité n’a jamais fait partie des traditions des Folbroke. Depuis trois générations maintenant, les héritiers de la famille s’illustrent par des actions insensées et futiles. Il est sans doute temps que cela cesse, ne croyez-vous pas ?

— Tout à fait, Monsieur.

L’intonation de Hendricks était maintenant nettement amusée.

— Vous allez devenir l’excentrique de la famille, Monsieur, si vous avez l’intention de dilapider votre héritage dans des œuvres philanthropiques.

— Je retrouve bien là votre humour, Hendricks. Il m’a manqué, ces derniers temps.

— C’est que vous ne m’avez guère donné l’occasion de me réjouir…

— Eh bien, il y a du changement dans l’air ! Je suis redevenu moi-même. Cela faisait si longtemps que je m’étais perdu !

— En effet, Monsieur.

— Après toutes ces années passées à mon service, il est grand temps que vous m’appeliez Adrian. Vous pensez en être capable ?

— Non, Monsieur, dit Hendricks d’une voix affectueuse. Mais m’autorisez-vous à avertir la comtesse de ce remarquable changement ? Elle sera si heureuse !

Adrian eut soudain peur qu’Emily soit informée de son plan avant qu’il n’ait eu le temps de le mettre en œuvre et qu’elle le trouve trop audacieux avant d’en avoir compris l’intérêt.

— Je vous demande d’attendre que je lui aie bien tout expliqué moi-même. Pensez-vous qu’elle approuvera mes idées ?

— Certainement. Elle me demande très souvent de vos nouvelles, et votre silence l’inquiète beaucoup.

— Elle n’a pourtant pas répondu à ma convocation.

— Puis-je me permettre un conseil, Monsieur ?

— Je vous écoute.

— Je crois que ce sont vos manières qui l’ont contrariée, et non votre personne.

— J’ai commis tant d’erreurs avec cette pauvre fille que je ne sais par où commencer pour les rectifier, avoua Adrian en soupirant.

— Cela fait bien longtemps, Monsieur, qu’elle n’est plus « cette pauvre fille ».

Adrian perçut de l’admiration dans la voix de son secrétaire lorsqu’il parla de sa femme, et il se rappela que la réconciliation dont il rêvait ne serait peut-être pas du goût de son ami.

— Ma punition est de ne pas avoir vu Emily s’épanouir et devenir une femme. J’étais trop fier pour l’admirer lorsque je la voyais mal, et maintenant que je suis quasiment aveugle, il est trop tard… Je vous remercie, Hendricks, de vous être si bien occupé d’elle.

— Oh ! je n’ai rien fait, Monsieur !

— Permettez-moi d’en douter.

Il était normal que Hendricks nie sa grande implication dans les affaires de sa femme et, de toute façon, il n’était pas sûr de vouloir en entendre davantage.

— Vous savez, votre femme prend très bien soin d’elle-même toute seule, poursuivit Hendricks. Je fais très peu, si ce n’est obéir à ses désirs. Je suis sûr, cependant, que vous trouverez en elle une oreille attentive, si vous souhaitez lui parler.

— Oui, je le ferai sans doute, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, je vais sortir déjeuner.

Il faudrait bien tôt ou tard qu’il prenne son courage à deux mains pour affronter sa femme et tout le mal qu’il lui avait fait, mais pour le moment, et avec une certaine lâcheté, il préférait reporter cette confrontation à plus tard.

— Vous sortez, Monsieur ?

Adrian aurait juré entendre les rouages du cerveau de Hendricks en train de spéculer sur les motifs d’une telle sortie. Son secrétaire se demandait sans doute comment le détourner de quelque nouvelle folie. Il n’était pas encore habitué au « nouvel Adrian » et n’avait donc aucune raison de croire que ses bonnes intentions pouvaient durer au-delà de l’après-midi.

Comme il ne répondait pas, Hendricks ajouta :

— Lorsque je me serai acquitté des tâches que vous m’avez assignées, je vous accompagnerai, Monsieur.

— Mais je ne vous ai rien demandé, Hendricks.

— En effet, Monsieur.

— Alors, inutile de vous en préoccuper. Dans le cas présent, il est préférable que j’agisse seul. Après tout, vous n’êtes pas membre du club.

— Pas membre ? Que diable signifie…, s’exclama Hendricks avant de s’interrompre.

« Trop tard ! » pensa Adrian qui venait d’apercevoir sous l’apparente déférence de son secrétaire l’homme fier qu’il était vraiment.

Il tendit le bras jusqu’à toucher celui de Hendricks.

— Ne vous inquiétez pas, mon ami. Je ne suis pas un enfant, et je vais réussir à me débrouiller tout seul. Faites-moi appeler un attelage, et informez la cuisinière que je ne dînerai pas ici ce soir.

*  *  *

Le club White.

Ce bastion de l’aristocratie anglaise, Adrian s’était interdit de le fréquenter depuis que sa vue s’était dégradée. Il avait oublié comme l’endroit pouvait être calme comparé aux tavernes dans lesquelles il avait traîné ces derniers mois. Ici, il se sentait à sa place. C’était un lieu extrêmement feutré où même l’excentricité était acceptée. Si un homme avait en effet assez d’entregent pour être admis en son sein, on considérait son comportement comme acceptable ou du moins tolérable.

— Lord Folbroke, puis-je prendre votre manteau ainsi que votre chapeau ?

— Et j’aurais aussi besoin de votre aide pour autre chose, dit-il en se tournant vers le domestique et en déposant sa main sur l’avant-bras de ce dernier. Il y a fort longtemps que je ne suis pas venu ici. A-t-on changé la disposition des meubles ?

— Monsieur ?

Le domestique paraissait surpris et un peu désarçonné par la question.

— Voyez-vous, j’ai un problème avec mes yeux, expliqua Adrian en passant la main devant son visage. Je ne suis pas aussi aveugle qu’une taupe, mais presque.

Prononcer le mot « aveugle » à haute voix lui apportait un soulagement comme si, en avouant enfin son état en public, il se débarrassait du fardeau de la honte.

— Prenez donc mon chapeau et mes gants, mais je garde ma canne, ajouta-t-il. J’aimerais également que vous me fassiez une brève description de la pièce et de ses occupants.

Une fois qu’il eut compris ce qu’on attendait de lui, le valet se montra efficace et pas choqué le moins du monde par la requête.

Il expliqua à voix basse qui était présent et la place que chacun occupait. Puis il ajouta :

— Désirez-vous autre chose, Monsieur ?

— Un verre, peut-être. Servez-moi la même chose qu’aux autres, et apportez-le-moi dès que je serai assis. Ah oui ! j’oubliais ! Annoncez-vous lorsque vous vous approchez de moi.

Puis il entra dans la salle du club.

Il resta un moment immobile, laissant ses sens se familiariser de nouveau avec l’odeur et les bruits des lieux.

Il faisait un peu trop chaud, comme dans son souvenir, et il huma cette odeur de tabac et d’alcool que sa mémoire avait toujours associée au White. On était loin de l’odeur fétide des bouges qu’il fréquentait ces derniers temps. Ici, le luxe avait la même odeur que l’encre fraîche sur un billet à ordre.

— Folbroke !

A sa vue, il y eut une exclamation de bienvenue, suivie par soudain silence lorsque ses amis réalisèrent que quelque chose avait changé.

— Anneslea ? fit Adrian en entendant la voix de son vieil ami Harry.

L’émotion fut si forte que, oubliant sa condition, il se cogna dans une table et dérangea une partie de cartes. Il présenta ses excuses aux gentilshommes concernés et allait se détourner pour changer de direction lorsqu’il sentit sur ses épaules les mains de Harry qui l’entraînait ailleurs.

— Cela fait presque un an, Adrian, que je ne t’ai pas vu. Où étais-tu passé ? s’exclama-t-il. Et que t’est-il arrivé ? ajouta-t-il en baissant la voix. Viens. Assieds-toi.

Adrian sourit en acceptant l’aide de son ami.

— Je n’aurais pas été de très bonne compagnie, je le crains.

Harry Anneslea le poussa sur une chaise et, presque simultanément, le valet se présenta avec un verre de vin. Adrian en but une gorgée pour se donner un peu de courage car, soudain, les quelques mots qu’il avait à dire lui semblaient plus effrayants qu’une charge de cavalerie.

— Ma vue s’est dégradée, annonça-t-il.

— Tu es…

— Aveugle, oui. Cela n’a fait qu’empirer depuis ce coup de canon au Portugal.

— N’y a-t-il aucun espoir de guérison ? demanda Harry en lui agrippant le bras.

— Dans ma famille, nous avons déjà une faiblesse de ce côté-là et ma blessure n’a rien arrangé. Il est arrivé une chose similaire à mon père. J’espérais être épargné, mais il semblerait que ce ne soit pas le cas.

Il y eut un silence, comme il s’y attendait, puis Harry éclata de rire.

— Je préfère cela ! En te voyant rentrer dans les meubles, j’ai cru que tu étais ivre mort — avant midi, quelle honte ! — et que j’allais devoir te ramener chez toi pour te mettre au lit !

Les hommes qui l’entouraient se mirent également à rire et Adrian les imita, se moquant de sa propre folie.

— Folbroke ?

Adrian adressa une prière rapide à Dieu pour avoir le courage d’affronter ce qui allait suivre.

— Rupert ! Il est si bon de te voir !

— Mais tu viens de le dire, tu ne me vois pas.

— Justement, répondit-il avec un humour qui échappa sans doute totalement à son interlocuteur. Je ne te vois pas, mon cousin, mais je reconnais ta voix.

Il était rassurant de constater que certaines choses ne changeaient jamais. Adrian adorait être à son club, sauf lorsque son cousin s’y trouvait aussi.

— Et tes autres facultés sont intactes ? s’enquit Rupert.

Il était clair qu’il espérait une réponse négative. Son ambition était donc toujours aussi vivace et il rongeait visiblement son frein, attendant de pouvoir s’approprier le titre.

— Oui, et tu pourras vite te rendre compte que j’ai toujours l’esprit aussi vif. Après avoir passé quelque temps en retrait, je compte maintenant reprendre mes activités et ma place à la Chambre des lords.

— Lady Folbroke disait donc la vérité.

« A propos de quoi ? » se demanda Adrian. Mais il choisit de taire sa surprise et de faire comme s’il était au courant.

— Bien entendu. Elle n’a aucune raison de mentir.

— Oui… C’est vrai. Dans ce cas, permets-moi de te féliciter, concéda Rupert du bout des lèvres.

— Des félicitations ? s’enquit Harry en s’adressant à son ami. Tu viens me voir la mine défaite pour m’annoncer une terrible nouvelle mais, visiblement, en ce qui concerne ta femme, c’est le contraire. Explique-moi donc ce que nous devons célébrer.

Ignorant toujours de quoi il était question, Adrian se sentit perdu.

— Je vais laisser Rupert t’annoncer lui-même la bonne nouvelle, risqua-t-il, puisqu’il a visiblement envie de partager ce bonheur avec nous.

Le soupir désolé de Rupert exprimait clairement le « bonheur » que lui procurait ladite nouvelle.

— Il semblerait que Folbroke aura un héritier d’ici Pâques.