Le refuge de la Tortue


« Je peux payer pour une semaine. Plus, si vous me donnez du ménage à faire.

— Je croyais que tu avais un travail.

— Je n’en ai plus.

— Je ne veux pas de fugueur, tu le sais. Je t’ai dépanné, la dernière fois, mais je t’avais dit de ne pas revenir.

— Je ne vous ferai pas d’histoires. Juste une semaine. »

L’homme était resté assis sur un coussin posé simplement au sol, dans une pièce à peu près nue qu’éclairait seulement le jour filtré par le shoji, devant la fenêtre. Il fumait. Il observait le jeune garçon resté dans l’encadrement de la porte, ouverte à toute heure du jour. Il n’avait pas maigri, mais ses traits étaient tirés, son tee-shirt était sale. Il tenait dans son poing fermé un paquet de billets froissés, comme s’il venait de ramasser des feuilles mortes.

Se levant lentement après avoir écrasé sa cigarette, il s’approcha du gamin à petits pas, la démarche voûtée, sa tête levée au bout d’un cou tendu, tordu pour regarder droit. Il s’arrêta à quelques centimètres de son visage. Ils étaient à peu près de la même taille et l’enfant ne bronchait pas. Il resta quelques instants ainsi, dans un silence que venaient seulement troubler sa respiration un peu sifflante et ses reniflements. Il sembla à Akainu qu’il fermait les yeux derrière ses grosses lunettes fumées qui lui donnaient un air de tortue. Il se demanda s’il devait ajouter quelque chose pour tenter de le convaincre ou si ça ne ferait que le déranger dans sa réflexion. Il essaya de sourire. Passa son poids d’un pied sur l’autre par habitude, pour se soulager de rester ainsi immobile, mais vacilla aussitôt, une fraction de seconde, sur sa cheville foulée. Les yeux de l’homme brillèrent de nouveau au fond de ses verres fumés. Akainu se mordit les lèvres.

« Tu t’es blessé ?

— Je suis tombé. Ce n’est pas grave, mais c’est pour ça que je ne peux plus travailler en ce moment. Dès que j’irai mieux je reprendrai mon boulot.

— Tu as encore grandi. Ça fait combien de temps ?

— Quatre mois, depuis la dernière fois.

— Les prix ont augmenté.

— C’est tout ce que j’ai.

— Tu n’auras qu’à me débarrasser l’allée, il y a des mégots et des canettes. Tu passeras aussi le balai dans les étages, le matin. »

Il avait saisi le bras d’Akainu avant qu’il eût le temps de le remercier, avait pris les billets, de son autre main, qu’il avait aussitôt fourrés dans la poche de son jinbei, en continuant cependant de tenir fermement le gamin, d’une poigne étonnante pour un homme de son âge et de son allure.

« Je ne veux pas d’histoires, tu m’entends.

— Je sais.

— Je ne veux pas savoir où sont tes parents. Mais si la police vient poser des questions, je répondrai que tu es là.

— Ne vous inquiétez pas. Mes parents sont morts.

— Bien sûr. Les miens aussi sont morts, quand je suis arrivé à San’ya. Tous les parents de San’ya sont morts. Tiens, et garde un peu de fric pour manger, sinon tu ne seras bon à rien. »

Il lui tendit quelques billets de mille, les retirant du paquet chiffonné qu’il avait mis dans sa poche.

Akainu dormit toute la matinée.

La vie du garni était dure, il le savait bien. Il se servit de sa parka comme couverture, bloqua la rainure de la porte coulissante en y glissant une pièce de cent yens. La dernière fois, un homme ivre était entré dans sa chambre, la nuit. Il avait cru que c’était par erreur, mais Dieu sait ce qui se serait passé s’il n’avait pas crié et si le logeur n’était pas intervenu. Il avait dû quitter la maison le lendemain.