Liste des raisons de disparaître
Richard B. réagit en professionnel : il dressa une liste. Il y avait des foules de raisons de disparaître.
La plus banale : une autre femme. Et parce que c’est la plus banale des femmes, elle aussi, ça n’a aucune chance de marcher. Huit pour cent de chances, en fait. C’est très peu. Ce sont sûrement des gens qui se forcent, par orgueil.
La plus triste : la dépression. Pleurer toute la journée est un symptôme classique de dépression.
La plus bête : l’ennui. Il n’y a que les imbéciles qui s’ennuient.
La plus imitée : la crise de la soixantaine. L’âge est cependant variable selon les pays. Le Japon est l’endroit du monde où il y a le plus de centenaires.
La plus étonnante : la curiosité.
La plus embarrassante : le narcissisme. Certains pensent que la femme n’est qu’un accessoire de leur réussite. Embarrassés d’eux-mêmes, ils ne peuvent porter personne d’autre dans leur cœur. Ils finiront seuls.
La plus honteuse : le mépris de soi. Embarrassés d’eux-mêmes, ceux-là sont des narcisses lucides, ce qui ne les empêchera pas de finir comme les précédents.
La plus contrariante : les regrets. D’autant plus contrariante qu’on ne sait jamais ce qu’on regrette. Si on l’avait connu, on ne le regretterait pas.
La plus émouvante : les remords. En même temps, les remords d’avoir déjà menti, trahi, trompé, ça n’émeut que celui qui les éprouve.
La plus stupéfiante : une double vie intenable. L’homme que vous aimiez était une sorte d’agent secret, infiltré dans un bar de prostituées pour lequel il était devenu le prince de la nuit, alors que vous pensiez que c’était un agent d’assurances réservé et chagrin. Vous tombez de haut. Il n’y a rien à dire.
La plus angoissante : l’indécision. Il a toujours hésité entre les nouilles au porc et au bœuf, lorsqu’il y avait plusieurs pizzas au menu ou plusieurs parfums de glace pour le dessert. À force de tergiverser, se rendant bien compte que le serveur attendait et que les autres convives s’impatientaient, à chaque fois il faisait le mauvais choix, de manière précipitée, le regrettait dès que c’était trop tard.
La plus particulière : la solitude. Pour pêcher les pieuvres, on utilise des pots en verre disposés les uns à côté des autres, juste assez grands pour qu’elles y entrent, mais pas suffisamment pour qu’elles se retournent à l’intérieur – elles ne savent pas faire marche arrière. Un philosophe, Maruyama Masao, a décrit le Japon comme « la société du pot à pieuvre ».
La plus affligeante : l’absence d’amour dans le mariage. À choisir son conjoint comme on fait passer un entretien d’embauche, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait des licenciements en cas de crise.
La plus vulgaire : l’absence de sexe.
La plus distrayante : le désir de sexe.
La plus méprisable : la déception. On n’est jamais déçu que par soi-même.
La plus pure : l’espoir d’une vie meilleure. Et cependant on n’a qu’une vie. C’est ce que disent ceux qui s’y tiennent comme ceux qui la fuient.
La plus élégante : pour ne pas faire souffrir. C’est aussi la plus hypocrite.
La plus pénible : la peur de mourir. C’est valable aussi pour les gens qui se suicident.
La plus détestable : la peur de vieillir. Liée à la crise de la soixantaine, elle consiste en général à partir avec une femme beaucoup plus jeune, qui vous fait vous sentir de plus en plus vieux.
La plus désolante : la peur de l’échec.
La plus rare : la peur de finir ce qu’on a commencé, la peur de la réussite.
La plus sale : le chômage, la clochardisation. Là, ce sont les autres qui vous quittent.
La plus moderne : le burnout, la pression du travail. Si elle arrive avant le chômage, on peut éviter la clochardisation. Sinon, elle provoque immédiatement une dépression, en plus.
La plus absurde : l’enlèvement par des extraterrestres. Les statistiques sont formelles. Ce n’est plus arrivé depuis 1989 et la chute du mur de Berlin.
La plus effrayante : l’enlèvement, mais par des Nord-Coréens. Sur ce point aussi les statistiques sont édifiantes.
La plus gênante : l’alcool, les dettes, le jeu, les femmes. Bref, toutes les raisons ordinaires de partir.
La plus difficile à dire : ne pas avoir su s’expliquer à temps, lorsque l’une des autres raisons s’est présentée.
La plus éloignée, bien que proche : le destin, ou le hasard. Ils n’ont rien à voir dans nos décisions.
La plus proche, bien qu’éloignée : le tsunami. Il a tout emporté.
Parmi ses Notes de chevet, une ancienne écrivaine japonaise qui aimait elle aussi les listes avait écrit : « choses qui font honte : ce qu’il y a dans le cœur d’un homme ».