Ce qui rend la réalité réelle


Yukiko porte une de ces superpositions de tunique longue et de pull à manches courtes dont elle a le secret, couches de gris clair et de blanc comme les voiles de montagnes et de ciel, dans les lointains de sa « capitale ». Ses cheveux longs et japonais sont d’un noir qui n’existe que dans ses cheveux, lorsqu’elle bouge, mats et brillants à la fois, parcourus de reflets de rien, de pure lumière, c’est une couleur et c’est un mouvement, sur ses épaules et sur ses reins, ses cheveux coulent autour d’elle alors qu’elle s’avance dans la chambre, à vingt et une heures et six minutes, comme si elle était la nuit qui s’avance avec elle.

Et Richard, qui vient de la faire entrer, la regarde de dos contourner le lit, frôler de la main le carnet sur la table, à côté de son passeport et de sa machine à écrire, s’asseoir dans le fauteuil où il était lui-même assis l’instant d’avant, sans pouvoir rien faire d’autre que la regarder, depuis le seuil ouvert sur le palier de l’hôtel et ses bruits de couloir, la poignée de la porte encore dans la main, incapable du moindre geste ou de la moindre parole. Elle est si belle, il pourrait oublier de respirer. Il pourrait avoir peur, changeant sa stupeur en effroi. Elle est si belle, ce pourrait être la mort et son baiser d’éther.

Mais elle sourit.

Son sourire emplit la pièce comme un parfum.

Sa peau a le goût du sel, si blanche, avec des lignes plus sombres le long des vertèbres et sous le nombril, entre les cuisses où son sexe s’ouvre, éclos dans la fourrure épaisse, qu’il embrasse et lèche et caresse de la langue, s’ouvrant et se fermant doucement comme une bouche au cri muet qu’il prend dans la sienne, dans un long baiser, avant d’aller à l’aventure chercher les ailleurs de son corps en tremblant, son corps qu’il voudrait posséder tout d’un coup, tout entier, mais dont il ne saisit que de minuscules fragments, enserrant dans sa main la rondeur de ses chevilles et ses pieds qui se tordent, l’ombre sous ses genoux qu’il repousse et plaque sur elle, de ses mains larges comme ses cuisses qu’il tient, qu’il enserre, qu’il déplie, qu’il écarte en les rejetant encore vers l’arrière, replongeant vers son ventre animal, y fourrant la tête, son nez plein de sueur et de bave, haletant comme un chien, glissant, allant et venant dans sa fente puis s’arrêtant soudain de longues secondes pendant lesquelles elle ferme les yeux, avant de redonner de petits coups pointus, imprévisibles et plein de précaution, dans son sexe que ses doigts découvrent et fouillent, brun et rose, qui tressaute et palpite, à chaque incursion de sa langue, comme le ventre doux d’un oursin, continuant à le caresser alors que sa bouche s’accroche au tendon de l’aine et vient mordre sa hanche, lèche la transpiration de son ventre et de ses aisselles, amères et râpeuses, lèche ses seins, petits lorsqu’elle est couchée, s’attarde à la peau de poule de ses aréoles presque noires, leurs tétons qu’il suce, qu’il mordille, qu’il gobe comme s’il pouvait aspirer toute sa poitrine dans sa bouche, pendant que ses doigts maintenant s’enfoncent dans son sexe et qu’elle ferme de nouveau les yeux, que son souffle vibre et gémit, tandis qu’il s’abouche à son cou perlé de sueur, le happe, s’y colle, l’aspire et le mord des lèvres, l’asphyxie, cercle rouge, sangsue de la jugulaire, jusqu’à ce que son gémissement devienne une plainte basse et continue, que son dos s’arque soudain, le ventre tendu dans un spasme, et que ses doigts crispés dans les plis du drap, lâchant prise, que ses doigts le serrent à leur tour et le griffent, que ses bras l’enlacent et le retournent sur le dos, lui, sa moustache et ses cheveux collés sur le front, sa bedaine de buveur de bière et son sourire de fumeur, ses taches de rousseur et les poils frisés sur sa poitrine et sur ses épaules luisantes, son souffle court quand elle se met à frotter son bassin d’avant en arrière, à califourchon sur ses hanches, les ongles plantés dans ses côtes au bout de ses bras tendus, ses cheveux en mèches balayant son visage et son torse, c’est tout ce qu’il voit d’elle à présent, ses cheveux brillant comme une pluie noire recouvrant leurs corps, un écheveau qui se colle et s’emmêle sur ses seins qu’il essaie de saisir encore, mais il en est incapable, cloué par ses ongles qui le blessent, plissant des yeux piqués de sueur, il y en a des rivières le long de ses sourcils et de son nez, coulant dans son cou, le long de sa colonne, ou s’insinuant entre ses cuisses jusqu’au bord de son cul, et une boule est en train de se former dans son ventre, alors qu’il ferme les yeux dans la pluie noire de ses cheveux au goût de sel, suspendu, accroché aux rochers, sur la corniche du plaisir prête à rompre, et lui au bord de plonger dans le vide, saut de l’ange, terrorisé de vertige, effrayé de la force des vagues, de la vitesse de la chute, s’apprêtant à crier, à se faire éclater le cœur, soudain, lâche.