Tes propositions ne sont pas mauvaises, vois-tu, mais elles souffrent de n'être pas d'un homme d'État. Pour tout dire, elles sont petites, tes propositions, mon pauvre fretin, pas grandioses pour deux ronds. Tu as encore, parfois, tous les vingt ans, le conseil judicieux, mais il est mesquin. Enfin, il faut faire avec, je n'ai plus que toi. Gris m'a trahi et j'ai liquidé les autres avant qu'ils me trahissent.
Toi, au moins, cher vieux pantin, tu es trop usé, trop liquéfié pour avoir la force d'envisager l'idée de trahir. Tu aurais pu mille fois me couper la gorge. Oh, combien d'amiraux, combien de capitaines ont dû rêver aux moyens de te corrompre, afin qu'un matin, au lieu de me raser le poil, ta lame ouvre dans mon cou une deuxième bouche, par laquelle sortiraient d'insondables borborygmes. Mais tu ne penses plus, tu ne veux plus, tu n'es plus que moi, un pseudopode, une excroissance, un bout de moi qui s'aventure parfois à deux mètres, trois mètres de moi, et puis revient me coller, patelle à son rocher.
N'est-ce pas que tu es à moi, rien qu'à moi, depuis toujours, même si d'autres que moi ont été tes maîtres, tu l'étais déjà, tu me sentais venir au fond de toi comme on sent naître la mort ou l'illumination. N'est-ce pas, fidèle serviteur, que tu n'obéis à personne d'autre ? De personne d'autre que moi tu ne tiens tes ordres, à personne d'autre tu ne confies tes coquecigrues, hein, tu me les réserves, je profite seul de tes monologues égarés, tu me le jures ? Tu me le craches, c'est déjà ça, merci. Si pourtant tu pouvais perdre l'habitude de décorer mon comblanchien de tes glaires, on ferait une grosse économie en nettoyage, je m'esquinte le métabolisme à te le seriner.
C'est bien simple : tout ce que tu penses, je l'ai déjà pensé. La seule intensité de ma présence parvient encore à faire germer quelques concepts dans les terres stériles de ton esprit. À peine as-tu ouvert le bec que j'ai déjà reconnu mon idée.
Qu'est-ce que c'est donc que tu me bredouilles, hein, ma vieille ? Allez, contrôle-toi la lippe, essaie de ne pas m'inonder l'uniforme de tes postillons, si ce n'est pas trop te demander, il est repassé de frais. De quoi ? qu'est-ce que tu essaies de me dire ? Oui, bon, ça va, tu peux t'arrêter maintenant, je suis trempé et je crois que j'ai à peu près compris. Si donc je traduis ta glossolalie, tu me suggères de commencer par rassembler et remotiver nos partisans dans le pays, avant de me lancer dans des aventures. Je reconnais bien là ta prudence, baderne. Pas une once d'audace, pas de vision, du gagne-petit, du rangement de dossiers. Un chef d'État, cher kroumir, se reconnaît à sa vision. Il a un projet pour son pays, il regarde l'horizon, pas seulement le bout de ses bottes.
Tu vas apprendre ce que c'est que d'avoir une vision stratégique. Avant de prendre une décision, et de l'annoncer au conseil de ce soir, il faudrait mettre les choses au net. Nous nous sommes trop laissés aller, ces derniers temps, nous avons bricolé au jour le jour. Assez de cette résistance de patelle cramponnée, assez de ces batailles acharnées pour cent mètres d'isthme. Place à la contre-offensive. Écoute-moi penser, Manfred-Célestin, ça en vaut la peine, et arrête-moi si je dis une bêtise, on ne sait jamais, tu n'as pas la hauteur de vue, c'est certain, mais pour la mémoire et la précision des détails, tu n'as pas ton pareil, je le reconnais.
Notre force, mon bon Norbert, c'est que plus personne n'est capable d'y voir clair dans le foutoir qu'est devenu ce pays. Ce n'est plus de la balkanisation, de la libanisation, de l'afghanisation, c'est tout ça à la puissance deux. Or, avec ta mémoire de vieille brute, qui ne laisse perdre aucun nom, aucun chiffre (ce doit être cet excès qui finit par te rendre idiot, mais passons), et avec ma lucidité foudroyante, nous sommes les seuls à dominer vraiment la situation. C'est de cela que nous allons tirer parti.
Pour commencer, on pourrait peut-être envisager d'agir dans les parties vives de l'ennemi, la grosse moitié du territoire contrôlée par l'armée insurgée. Contrôlée, c'est vite dit. Je sais, on a déjà essayé, au début, mais on s'y est sans doute mal pris. Prenons Bourbaki, tiens. On n'a pas tenté grand-chose avec Bourbaki. Les deux ou trois tueurs minables qu'on lui a expédiés se sont pris les pieds dans leurs bombes ou sont passés à l'ennemi. Il y aurait sans doute mieux à faire, mon bon renard. Pousser ses petits camarades à s'en défaire, par exemple.
En théorie, Bourbaki assure le commandement militaire unifié de l'ALN, et en théorie il obéit au gouvernement en exil du GLUND qui réunit les différentes composantes de la rébellion. Bien. Mais je me suis laissé dire que ces potiches aspiraient à se débarrasser de lui pour exercer un pouvoir réel. Bourbaki place à tous les commandements militaires importants les gens du FRELIMIMO. Ce sont des soudards qui ont joué pendant vingt ans à la guérilla sur la frontière est, qui ont massacré des civils, éventré des femmes, pas sortables internationalement. Ceux-là ne pensent qu'à piller et à se remplir les poches. Or qui avons-nous parmi les ministres du GLUND ? Tu te le rappelles ? Oui, tu as tous les noms des anciens exilés, les gens de la LINUP ou du PPRFG, un mélange d'idéologues et d'incorruptibles. De ceux qui te couvrent un pays de tribunaux. Je connais, le Bon Docteur était du genre avant que je lui succède.
Oui, tu as raison, j'oubliais le RDPLP, démocratie et droits de l'homme, ça plaît à l'étranger. Mais ça, mon petit Nordine, c'est du produit d'importation, personne ne veut de ces gentils agneaux, sauf à les dévorer. D'ailleurs ces bureaucrates n'ont pas mis les pieds dans le pays depuis des lustres, personne ne les connaît, ils n'ont pas d'autorité. Un point pour eux : ils savent que tout le monde a la trouille de Bourbaki, notamment à l'étranger, et ils ne seraient pas fâchés d'en être débarrassés. C'est peu.
Sans compter que l'une des forces de Bourbaki, c'est d'avoir fait alliance avec Orouz. Orouz la légende, le plus prestigieux des chefs de guerre, le Lion du Tongrian, ils ne lésinent pas sur le cliché, eux non plus. Il se fiche bien de l'ALN, le Lion du Tongrian, ce qu'il veut c'est l'indépendance de la Balkarie, les Services m'ont assuré qu'il avait passé un accord secret avec Bourbaki pour l'obtenir une fois qu'ils se seraient débarrassés du Maréchal. Les Balkars, c'est cinquante mille combattants fanatisés, avec l'appui logistique des Araxiens. Autant de raisons pour y expédier Ghor. En attendant le résultat, Bourbaki et Orouz s'appuient solidement l'un sur l'autre.
Bon, mais on pourrait s'insinuer de l'autre côté pour tenter une déstabilisation de l'ami Bourbaki. Le FRELIMIMO est noyauté par les jeunes fanatiques des Soldats de Dieu pour l'Instauration de la Justice et de la Foi, et Bourbaki est obligé de les ménager. Les commandants historiques du FRELIMIMO ? C'est là que je t'attendais, ma vieille. Un ramassis de prédateurs alcooliques. Les Soldats de Dieu les verraient bien accrochés par le cou à un câble de grue. La LINUP et le PPRFG, qui sont majoritaires dans le GLUND, sont dirigés par de vieux marxistes qui n'ont ressorti leurs livres saints que trop récemment pour être crédibles aux yeux des Soldats de Dieu.
Là où ça devient intéressant, tu as raison de me le rappeler, c'est que les Soldats de Dieu sont presque tous des Gagaours, tout comme les chefs du PPRFG, je les connais bien, ce sont des Gagaours de la tribu des Benimoussa, la plupart originaires du village de Fochtrolle-en-Poëlle. Or Bourbaki, pour ta gouverne, n'est pas un Gagaour, c'est un Poldomelkite, un esclave, un ramasseur de crotte, un cul-terreux du marais. Et si tu te souviens que le chef traditionnel des Benimoussa a sauté il y a dix ans avec sa Mercedes blindée, ses trois femmes, son fils aîné et ses douze gardes du corps, en ne laissant qu'un cratère de cinq mètres de profondeur en plein milieu de Fochtrolle, c'est encore plus intéressant.
Bien entendu tout le monde, sous cape, a accusé le Maréchal d'être l'instigateur du coup, il a bon dos, le Maréchal, mais les Benimoussa savent parfaitement que leur chef négociait avec nous, c'est Bourbaki qui l'a fait sauter pour obliger les Benimoussa à rejoindre l'insurrection. Trivelin, quand je l'entreprends là-dessus, m'embourbe dans des gloubiboulga bureaucratiques, rien de sérieux à en tirer. Et toi, tu crois qu'on pourrait s'insinuer de ce côté ? Non ? On n'a personne ? Aucune entrée ? J'aurais dû m'en douter, il ne me reste que des bras cassés, des rognures tout juste bonnes à ramasser des grades et des titres en chocolat.
Et du côté des Benirached ? Oui, non, tu as raison, rien à espérer, leur haine des Benimoussa les a fait basculer complètement du côté de Bourbaki. Pareil pour le colonel Sardar, c'est lui qui a les meilleures troupes, le troisième régiment blindé, tu m'étonnes, la raclure m'a trahi in extremis, à présent il bloque l'isthme, bourbakiste parce qu'il n'a pas le choix. Les irrédentistes urlubiens, j'y avais bien pensé avant toi, bien sûr, mais qu'est-ce que tu veux en faire, ils sont soutenus et armés par la Sylvanie, comme les indépendantistes balkars par l'Araxie. Tout comme les indépendantistes de Novopotamie, ils ne font plus partie que nominalement de l'ALN. Hors jeu, hors circuit tout ça, ils ne veulent même plus entendre parler de nos petites querelles. Les Novopotamiens ont pratiquement leur État, ils battent monnaie dans leur delta infesté de moustiques et d'hydrocarbures. Quant aux Pantaliques des Montagnes rouges, dès qu'ils ont eu éviscéré le dernier de mes gendarmes, ils sont retournés à leurs invocations des démons, ils n'ont pas dû voir de commissaire politique de l'ALN ni de percepteur depuis des mois.
Négligeons, si tu le veux bien, et tu le veux bien, la FLIPO, marginalisée par son extrémisme marxiste obsolète ; négligeons de même les Serviteurs du Prophète, ce sont en réalité, pour l'essentiel, des agents de nos services Action chargés de faire de la provocation, flanqués de quelques pieux jobards, et ils ont du mal à s'imposer sur le terrain, ils doivent au moment où je te parle être en train de terroriser quatre villages pouilleux en Extrême-Sybarie. Il y a des attentats à leur actif, mais je ne sais plus lesquels. De tout petits attentats, certainement, légèrement au-dessus de la flatulence, c'est tout ce que tu peux espérer. Et d'ailleurs je ne sais même plus pour qui ils roulent, ceux-là. Ils pourraient très bien faire semblant de travailler pour nous en faisant semblant d'être des extrémistes, tout en suivant en réalité les ordres de Gris. Hélas, si on avait encore les Services, mais on n'a pas pu en récupérer grand monde, après mon coup de force foiré. Ils se sont comme évanouis, comme s'ils n'avaient jamais existé.
Le caporal Kowka, tiens, tu fais bien de m'en parler, oui oui, bien sûr ma petite crotte, mon Manfredouille à moi, voilà un type qui aurait pu être un bon point de pénétration dans l'ALN, il occupe Césarée avec sa jeune-garde, et à part celui de Bohuville nouvelle, c'est le seul grand port dont disposent les rebelles, magnifique. Mais il est incontrôlable, ton Kowka, mon petit vieux, personne ne sait ce qu'il veut, il change d'avis, de ligne politique et d'état-major toutes les semaines. Donc, pas de Kowka. Pas d'objection ?
J'avais placé un moment quelques espoirs dans la Fraction Armée Révolutionnaire, la principale concurrente du FRELIMIMO au sein du GLUND. N'y songeons plus, depuis que la Garde Historique a fait scission avec le Courant Majoritaire, ils n'arrêtent plus de se scinder, on dirait un documentaire sur la reproduction des paramécies, du coup ils ne s'occupent plus que de se révolvériser entre eux.
Quant aux petits seigneurs de la guerre qui ne se réclament de personne, tous ceux qui se sont contentés de profiter de la situation pour se tailler leur petit fief, je veux bien, mais on a déjà tenté le coup, souviens-toi. Ils sont gourmands, les salopards, et nombreux, qu'est-ce que tu veux faire avec des dizaines de reîtres, qui rançonnant sa province, qui son canton perdu ?
Tiens, Jambier, en Sarviance, on l'avait circonvenu, il a changé quatre fois de camp, en théorie du moins, et empoché chaque fois le paquet de dollars. On a payé Al Jaber, son second, pour l'assassiner et prendre sa place, et puis à peine Jambier dispersé en fragments, voilà mon Al Jaber qui se met à suivre la même politique que feu son patron, tantôt l'un tantôt l'autre, où va-t-on si on ne peut même plus se fier aux traîtres. Tous pareils, le surcapitaine Barras, les trois lieutenants de Tatar Bazar, Duval Khan, le colonel Beck dans les plaines de l'est, et tous les autres, pas d'envergure, pas de rêve, ce n'est pas l'empire qu'ils veulent, c'est le pognon et les beaux uniformes.
D'accord avec toi, je ferais une exception, à la rigueur, pour le major Amal. S'imposer dans cette foire avec une compagnie de gendarmes corrompus et vingt déserteurs de l'infanterie de marine, alors là, chapeau. Et il en veut, il lève des troupes chez les paysans, leur colle des uniformes, attaque tantôt l'un, tantôt l'autre, émet des proclamations et des bulletins. Ouais, et avec tant d'efforts, d'héroïsme, de panache, et même de génie stratégique, il n'arrive pas à se constituer un territoire stable, quand il emporte un morceau là il en perd un ailleurs, son fief change de forme et de taille tous les mois, il a même dû dériver de plus de cent kilomètres depuis qu'il mène campagne, essaie de le dessiner sur la carte, tu verras, on dirait qu'on a renversé un verre d'eau sur un escalier.
Non, plus j'y pense, plus je me dis que ce n'est pas par là qu'il faut tenter quelque chose. On peut rajouter à la pagaille, je ne m'en suis pas privé, crois-moi. La pagaille n'avait pas vraiment besoin de moi. Envoyer de l'argent ici, des agents là, manipuler quelques-uns des partis de brigands dont chacun règne sur sa dizaine de villages, et qui finissent par se donner une appellation politique ronflante pour couvrir leurs exactions, noyauter les bandes de déserteurs qui errent dans tous les sens, autant dire ajouter une goutte de désordre au chaos.
Et ce chaos, ma carcasse, ce chaos, il bouge, sans arrêt, impossible de se fier à des délimitations claires sur la carte. Des bandes armées circulent partout à travers le pays, d'autres entrent ou sortent par les frontières. Les opérations militaires déplacent les lignes de front et les frontières des obédiences. Les morceaux de territoire sous le contrôle de telle ou telle faction se fractionnent encore, le moindre sous-officier crée son parti ou sa république autonome. Quand on se réunifie ici, on se scinde là.
Dans tout ça, l'ALN continue à tenir sa moitié. D'accord, ce n'est jamais la même moitié : ils perdent ici ce qu'ils gagnent là. Si j'ai l'air grotesque, coincé au bout de mon pédoncule, sur mon tas de gravats surpeuplé, eux ne paraissent pas beaucoup moins bouffons, avec leur empire en habit d'arlequin, sans cesse déchiré et sans cesse raccommodé. N'empêche qu'ils ne décramponnent pas. Le temps accroît leur légitimité. Des commandants locaux se rallient à eux, mois après mois. Leur moitié instable a tendance à devenir une très grosse moitié. Tu vois un moyen d'arrêter ça, toi, branlant vestige ? Tu peux masser le cou plus fort, ça ne fait jamais que cinq ans que je m'exténue à te le répéter.
Quant à ce qui reste de nos armées dans l'intérieur du pays, va-t'en savoir ce qu'elles deviennent. Ça fait bien longtemps qu'on n'a fait le bilan, tellement c'en était décourageant, eh bien, allons-y, ça ou rédiger une proclamation, hein, de toute façon on a du loisir.
Il y a celles qui ont versé dans le banditisme, primo ; celles qui ont rejoint la rébellion, secundo ; celles qui se sont perdues dans les bois, tertio ; celles qui sont au lit avec la fièvre, quarto ; celles qui ont été mangées par les cannibales, euh, quinquo. Oh, il en reste, certainement, il en reste, de temps en temps on a des nouvelles, une petite carte postale, ça fait toujours plaisir. Le quatrième régiment d'infanterie va bien, merci, les opérations ont été retardées par les pluies, mais il ne désespère pas d'être en mesure de tenter de reprendre dans deux mois le village qu'il a dû évacuer il y a trois semaines, quand les munitions seront arrivées et que le colonel se sera remis de sa crise de tourista. Le commandant Sultan est en train de faire monter des mitrailleuses lourdes sur les cinq pick-up qu'il a réquisitionnés à Saripol, et alors on verra ce qu'on verra. Le commandant Bel est encore là, tout porte à le supposer, il tient le plateau de Grande-Arastase avec ses soldats d'élite, il le tient bien, il n'en lâche pas une miette, la discipline est de fer, comme de juste, et les uniformes repassés, ça nous fait une belle jambe. Il pourra bientôt y organiser des boums le samedi soir en toute sécurité.
Il y en a un auquel je croyais plus que les autres, tu vois, c'est Klapp. Vas-y, n'aie pas peur, nom de Dieu, je ne suis pas en sucre, j'ai une nuque de taureau. Klapp, ma relique aux mains de miel, il est, ou il était l'un des rares à avoir une espèce de génie stratégique. Je n'avais jamais entendu parler de lui avant l'insurrection, tu t'en doutes. Ce n'était qu'un obscur commandant de fortin, perdu à la lisière des grandes forêts du sud novopotamien, avec quelques bidasses de troisième choix sous ses ordres, plus occupés à boire des bières et à tuer des mouches qu'à graisser leurs armes.
On avait déjà du mal à tenir la Novopotamie en temps normal. Quand l'affrontement avec les rebelles est devenu direct, toutes les garnisons ont été submergées, ou retournées, Klapp est resté isolé. À cent kilomètres à la ronde, pas un uniforme loyaliste. À lui tout seul, il a occupé presque tous les effectifs des Novopotamiens. Ils se concentraient d'un côté, il frappait de l'autre, repartait avec la bière, l'essence, les munitions, les boîtes de raviolis, les filles et de nouvelles recrues. Ils n'arrivaient jamais à savoir où il se trouvait, quand il ferait son apparition, ils finissaient par se convaincre qu'il s'agissait de sorcellerie. Ils étaient dix fois plus nombreux, mais Klapp leur foutait les jetons, tu comprends.
Tu te souviens de cette garnison novopotamienne armée jusqu'aux sourcils qui s'est rendue à quelques éclaireurs de Klapp, terrorisés à l'idée qu'il était parmi eux ? Ils finissaient par le voir partout. Enfin, tout ça n'a duré qu'un temps. Il a été submergé. Il s'est enfoncé dans la forêt avec les soldats qui lui restaient. De temps à autre on en reparle. On continue à le voir ici ou là. On retrouve une section novopotamienne à moitié carbonisée. C'est Klapp. Une autre s'est mystérieusement égarée en opération. Encore Klapp. J'ai envoyé des agents pour tenter de reprendre contact avec lui. On les a presque tous perdus. Les autres sont revenus bredouilles. Tout ce qu'ils avaient à leur actif, c'était des histoires de bonnes femmes, des rumeurs, des légendes indigènes parlant d'un roi de la forêt qui serait venu depuis l'autre côté du fleuve pour régner sur des clans de coupeurs de tête. Il exigerait régulièrement des tributs de jeunes gens, et il rendrait la justice habillé d'une peau humaine, assis sur un trône de bois couvert de fourrures, entouré de pieux ornés des crânes de ses ennemis. Tu vois le genre. Et tu te figures que c'est avec ces épouvantails de train fantôme que je vais arriver à m'en sortir. Tu racontes des conneries, mon bon raseur, permets-moi de te le dire, tu divagues, tu ne sais plus où tu habites.
Si tu pouvais un peu moins grincer des articulations, Manfred-Célestin, j'arriverais à m'entendre parler. Et puis tiens, à force d'en causer, tu veux que je te dise, ça me fatigue, il est évident qu'on n'y comprend rien. Cent fois qu'on refait le dénombrement des forces, pour y voir plus clair, cent fois qu'on refait les calculs, chaque fois on se dit qu'on va trouver une solution, et puis on laisse tomber, c'est trop compliqué. Tout bouge sans arrêt, c'est fatigant. Depuis notre presqu'île, qu'est-ce que tu veux démêler dans ce foutoir ? Nous restons plantés là comme devant un télescope. Les étoiles ont explosé il y a des millions d'années, mais nous les voyons briller. Les informations nous parviennent avec un tel retard que tout a déjà complètement changé au moment de la réception. Peut-être qu'on me raconte des histoires, hein, qu'est-ce que tu en penses, Manfred-Célestin, on m'endort, rien de tout cela n'est vrai. Plus fort, les cervicales. Ça ne craint pas, j'ai une nuque de grizzli.
Ça y est, l'idée. Le dieu est venu, encore une fois. La flamme est descendue me visiter. Apprends que c'est à cela qu'on reconnaît les grands hommes. Dans les pires difficultés, lorsque tout le monde croit que tout est perdu, l'inspiration divine leur fait trouver la solution, celle que personne n'aurait jamais imaginée. C'est pour ça que tu dois me masser la nuque sans pleurer l'effort. Ça aide le feu à me descendre dans la moelle, mais laisse tomber, c'est trop fort pour toi.
Voilà : ici, dans Bohu, nous allons, par pure provocation, aller bien au-delà de leurs désirs. Ils nous voudraient dérisoires. Nous serons tragiques, Agamemnon. Ils voudraient que nous étouffions à petit feu, que nous nous éteignions de consomption. Surtout pas d'apocalypse. Mais ils ne connaissent pas Raoul. Je vais leur en donner, de l'apocalypse. Nous allons, je te l'annonce, nous convulser dans un pandémonium de flammes et d'horreurs shakespeariennes. Parfaitement.
On verra des choses inouïes, des atrocités d'anthologie, de ces phénomènes qui demeureront dans les annales des sièges, pour l'effroi et l'instruction des générations futures, s'il y a des générations futures et si elles s'intéressent encore aux histoires du passé. Ainsi auront-ils de quoi gloser à satiété sur l'inhumain, tandis qu'ils se repaîtront des récits gore dont ils affecteront de se scandaliser. Les réfugiés mourront spectaculairement de faim et s'entre-dévoreront. De nouveaux complots seront découverts et leurs auteurs punis avec une rigueur accrue, si la chose est possible. Ah, il va y en avoir, de la viande humaine accrochée aux réverbères. Et travaillée en artiste. La vraie tradition bouchère.
La communauté internationale ne pourra que s'émouvoir. Une bonne force d'interposition, et nous sommes sauvés, les rebelles seront bien obligés de négocier. Leurs plans se retourneront contre eux. Ils veulent montrer le lion en cage, le maître impuissant, nous allons bien voir. Je leur en servirai, du grand-guignol, elle va déborder, la coupe d'abominations.
Et puis ça renforce les fidélités. Personne ne veut rester laquais d'un bouffon, c'est entendu. En revanche, être un serviteur de l'apocalypse, crois-moi, ça a de la gueule. Il faut les fasciner, tu comprends, Auguste. Mon Dieu que tu portes bien ton prénom, il ne te manque que le petit chapeau. Les fasciner. Pour fasciner, il importe de dérouter. Qu'on ne sache pas si on est dans le grotesque ou dans l'horrible. Mes pantalonnades font rire mes ministres, mais elles les terrifient aussi, et ils m'aiment pour cela, parce que je réveille en eux la vieille terreur des enfants devant les grands clowns aux lèvres peintes et au rire sonore. Prends les petits ciseaux, et débroussaille-moi le nez et les oreilles. Les poils débordent, j'ai l'impression qu'ils poussent de plus en plus vite. Avec l'âge, je gagne en vitalité, je ne sais plus quoi faire de mon excès de virilité. Et, puisqu'on en cause, ça fait un moment que tu ne m'as pas rapporté une de ces plantureuses ribaudes au cul immaculé dont tu as le secret.
Vois-tu, Fernand, si tu étais un homme d'État, et non pas un vieux larbin chargé d'ouvrir les portes, de faire le café et de recueillir mes moindres mots, tu saurais que nous avons besoin de complots, d'intrigues, de coups de théâtre. J'ai un peu trop négligé cet aspect des choses, ces derniers temps. Le complot occupe mes dignitaires, il leur laisse croire qu'il y a un enjeu, une marge de manœuvre, qu'ils peuvent désirer, vouloir, que l'État fonctionne. C'est du théâtre, et les hommes se nourrissent de théâtre. Si le pouvoir n'était pas désirable, il n'y aurait pas de pouvoir.
Un bon massacre, ma carne, ça se prépare, ça se justifie. Et c'est toujours utile. Tu n'as pas le nez pour ça, toi, bonne pomme que tu es, innocente volaille à poils dans les oreilles. Chaque fois que je préside mon conseil des ministres ça pue la trahison à plein nez, tu n'en as pas senti le parfum méphitique ? D'ailleurs, hein, on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, les rebelles les font fouetter presque autant que moi, alors mes braves dignitaires voudraient bien garder deux fers au feu, ménager la chèvre et le chou, la figue et le raisin, garder une poire pour la soif et tutti quanti.
Il y a ceux qui aimeraient régner à ma place sur ce caillou, il y a ceux qui me livreraient bien aux rebelles pour sauver leur peau ou pour une satrapie, il y a ceux qui complotent parce qu'ils croient que je pense qu'ils complotent et qui pensent plus prudent de prendre les devants, et qui voudraient conséquemment m'avoir avant que je les aie, sans compter tous ceux qui complotent par besoin, pour l'amour du sport, par un effet de leur nature profonde, parce qu'ils n'imaginent même pas qu'on puisse faire autrement, ceux qui trahissaient et qui caftaient déjà à la maternelle. Nous devons faire le ménage, Manfred-Célestin, si nous voulons survivre encore un peu jusqu'au retour de Ghor et de ses légions couleur cendre.
Oui, Ghor et ses légions, ça fait goret, merci de ta remarque, je la note, le souffle épique t'est décidément étranger, je ne peux rien pour toi.
Oui oui, j'entends bien, ton idée n'est pas mauvaise, mais comme d'habitude elle reste petite. On va plutôt leur faire le coup du macchabée.
Je t'explique, en tout cas j'essaie de faire pénétrer la chose dans un de tes trois neurones. Pour le coup du macchabée, il nous faut quelqu'un de sûr, d'absolument sûr, et je ne sais même pas si j'ai ça sous la main. Tu verrais qui ? Pantouré ? C'est un faible et un couard, et ces gens-là finissent toujours par suivre celui qui leur fait le plus peur. Va savoir si c'est encore moi. Je l'ai bombardé ministre de la Justice pour faire plaisir à ma femme, et de toute façon je n'avais personne d'autre. Koliamine ? très intelligent, pour un ministre de l'Éducation. C'est rare. Jamais se fier à un type trop intelligent, première leçon, indescriptible baderne. Et puis Koliamine, quand il était aux Affaires étrangères, faisait tout de même partie du clan de Kobal, qu'il a lâché sans vergogne quand ça a commencé à sentir le sapin pour le gros. D'un autre côté, tu me diras, ça m'a permis ensuite de le tenir serré, il a un passé à se reprocher. D'un autre côté, je te dirai, car je suis plus fin que toi, comme tu sais, ma vieille, que les gens que l'on tient sont ceux qui essayent un jour de se défaire de la laisse en supprimant le maître.
Chassagnol ! J'allais le dire, tu me l'as ôté de la bouche. Chassagnol. Encore un ex-ami de Kobal. Il ne pouvait pas sacquer Gris, c'est un bon point. Parfait au Commerce extérieur, vu qu'il n'y a plus de commerce extérieur. Il était tout aussi nul à l'Agriculture, du temps du gros porc. Un peu trop parfait ? De toutes manières je le tiens, lui, je le tiens bien. Contrairement à pas mal d'autres, il n'a pas pu mettre sa famille à l'abri à l'étranger. Il a un fils, mon Chassagnol, auquel il tient plus qu'à la vie, et ce fils, tu me connais, je me suis empressé de lui trouver un emploi d'officier d'état-major dans un tréfonds du bunker. Si Chassagnol fait le malin, couic. Enfin, couic, disons qu'il aura la bonne idée de croire que couic tout de même s'il me liquide. C'est un risque à prendre. On va lui laisser entendre que tu te charges de surveiller fiston pendant l'opération, et que s'il m'arrive malheur, couic. Voilà.
Le coup du macchabée, ça n'a pas été souvent tenté, dans l'histoire, justement parce que ça réveille un peu trop les instincts tyrannicides. Il faut des couilles au cul, pour ça, ma ruine. Peu d'autocrates ont eu l'estomac de s'y essayer, crois-moi. Et puis il faut des circonstances un peu extrêmes, avouons-le. Donc je fais courir le bruit d'une disgrâce prochaine de Chassagnol, peut-être d'une arrestation, parce qu'il faut bien un mobile, hein. Chassagnol est évidemment au parfum, ainsi que mes deux gardes du corps habituels. Il fait savoir que je l'ai convoqué juste avant le conseil des ministres, pour régler une question courante. L'heure du conseil arrive. Retard. Il faut bien ménager le suspense. Débarque mon Chassagnol, le cheveu en bataille, l'air martial. Je le verrais bien, tiens, le revolver encore fumant à la main : « Le tyran est mort ! Vive la liberté ! »
Ça c'est du spectacle, mon petit Corentin. Gueule de mes ministres et généraux. Je voudrais bien être planqué dans un coin pour voir ça, crois-moi. J'imagine, note. La hure épouvantée de rigueur, entre horreur et accablement, car ils ont la mimique pavlovienne, ça fait des siècles qu'ils ont appris à afficher la tronche qu'il faut quand il faut. Résistant tout de même, difficilement, à la pression, pour certains, sous la face de raie, de la joie qui veut exploser. Ils n'y croient pas encore, quelque part dans leur subconscient j'étais immortel, invulnérable, ils veulent toucher les plaies, tâter le cadavre. Chassagnol les conduit dans mon bureau.
Mes gorilles ont fui. Il y a Blair, mon gentil médecin, et il y a toi, eh oui, toi aussi, il faudra t'y coller, toi tout secoué de la carcasse, avec même, s'il te plaît, fais ça pour moi, une trace de larme encore un peu humide au coin de ton vieil œil sec. En te forçant un peu, tu vas bien pouvoir m'excréter ça. Toi déjà tout endeuillé par avance, mon pingouin, c'est-à-dire comme tu es, ne change rien, c'est parfait, la loque funèbre te va comme un gant. L'incarnation même du vieux domestique fidèle que poigne le chagrin. Si c'est pas bouleversant.
Je suis à terre, au pied de mon bureau, j'ai répandu beaucoup de peinture rouge sur mon uniforme du côté du cœur. Blair me prend le pouls. Il empêche qu'on approche. Lui aussi, évidemment, est dans la combine.
Puisqu'on en cause, après ça, il faudra songer à changer de toubib. Celui-ci commence à avoir fait de l'usage. Lui et la harde de pneumologues, cardiologues, hématologues, angiologues et jenesaisplusquoitologues qui volettent et caquettent autour de lui en permanence, avec leurs infirmières qui remuent de la blouse et se rengorgent, j'ai toujours l'impression qu'ils vont laisser en partant des plumes et des crottes sur mes tapis. Ils feraient d'excellentes victimes pour un carnage, un médecin, tu penses, c'est sacré, sans parler des infirmières, le bon peuple n'aime pas qu'on touche aux infirmières. Et puis ils me touchent, Manfred-Célestin, ils ont accès à mon corps, ils savent sur lui des choses que j'ignore, ils sont en mesure de bricoler ça sans que je m'en rende compte, de m'instiller des venins secrets, qui travailleront des années en moi à mon insu, et quand je m'en rendrai compte, je serai mort. Donc ils feront partie du complot, note sur ton calepin, c'est ça, mouille bien la mine du crayon avant, exterminer la volaille médicale. Les médecins c'est comme les slips, il faut en changer souvent.
Le général Ferrer voudrait bien se pencher vers moi, me toucher, recueillir mon éventuel dernier souffle. Il pleure, il ne sait pas pourquoi, est-ce joie, est-ce chagrin… Il s'agenouille, il me baise la main. On m'emporte, on a aménagé une chapelle ardente. Il s'agit de se débrouiller pour en faire interdire l'accès au moins vingt-quatre heures, j'ai besoin de manger et de me dégourdir. On racontera, tiens, qu'il faut m'embaumer tout de suite.
Ah, Ferrer, quel splendide général d'opérette, plus décoré qu'un sapin de Noël, et tout aussi capable de gagner une bataille. Voilà un type qui se prend une pile monumentale, un Waterloo, et qui se retrouve bombardé ministre des Armées. Je sais, tu ne voulais pas, mais qu'est-ce qu'on s'en fout, on n'a plus d'armée, ou quasiment, tu sais bien qu'il est préposé à la gestion des factures et aux stocks d'uniformes. Il faut bien récompenser un peu la trahison. Après sa déculottée de Tyrsa, il s'est abstenu de soutenir son maître, mon cher gendre, et ça, ma couille, l'abstention, par les temps qui courent, c'est déjà beau, alors hop, ministre des Armées. Depuis, c'est une crème, une larve, une crème de larve, on lui mangerait dessus qu'il dirait encore merci. Méfiance. Mais il pleure, oui, d'allégresse ou de désespoir à la vue de ma dépouille mortelle, je l'entends d'ici, il cherche une phrase définitive à placer, il est plus grand mort que vivant, genre.
Ça, tout aurait été plus facile si j'avais encore un double, on aurait pu l'abattre à ma place, malheureusement nous n'avons plus rien sous la main. Combien les rebelles en ont-ils pendu depuis le soulèvement ? Trois, c'est ça. Qui me ressemblaient autant que Fernandel à de Gaulle. Pas très physionomistes, les rebelles. Des doubles de deuxième choix, pas du sérieux, pas de vraies répliques. Il m'en restait un petit, plutôt ressemblant. Tu te souviens ? Un gentil garçon, hein. Il n'avait pas inventé le fromage mou, mais très très gentil. Quand je le regardais, il me venait quasiment des bouffées de tendresse. Je commençais à penser au coup du macchabée. Il aurait fait l'affaire. Trop tard. À peine eu le temps de mettre un uniforme, boum, parti en fumée, avec en prime une Mercedes blindée à deux cents plaques, sept gardes du corps et une vingtaine d'individualités quelconques. Il y en a qui croient encore que c'est moi, je le sais, et que le Maréchal-Président à vie n'est qu'un pauvre double qui se retrouve avec le pouvoir absolu. Mais pas moyen de savoir qui a fait ce coup-là.
Donc, arrête de m'interrompre tout le temps, je suis allongé sur mon lit de mort, on est en train de m'embaumer. On va ouvrir mon testament. Pas de successeur officiel. C'est là que les traîtres se démasquent.
Bon, réflexion faite, je ne le sens pas complètement. Il faut y réfléchir, y réfléchir vite si on veut avoir le temps d'organiser ça.
En attendant, il s'agit d'être impeccable. Repasse-moi un coup de rasoir sur le cuir chevelu, une ombre s'y étend, je l'ai vue ce matin dans ma glace. Vois-tu, j'estime qu'un dictateur doit être chauve. Une calvitie totale, pas de demi-mesure. En cela, j'étais prédestiné au pouvoir. Bien avant d'y accéder, ma calvitie était très avancée. Une absence de cheveux poussée à ce point a quelque chose de radical qui impressionne. Les traits du visage y perdent de leur prééminence. Ils deviennent une petite annexe compliquée de la grande masse uniforme, aveugle, qui les domine. La bouche, les yeux, les oreilles sont prévus pour la communication, cette faiblesse. Le crâne nu se ferme et se resserre en une boule obtuse. Une idée de chauve, sache-le, vieux birbe, n'est pas une idée comme les autres. Elle est là, directement sous le crâne. Dure et sans fioritures. Tellement épaisse et dense qu'il est inutile de chercher à la gloser ou à la discuter. Le cas échéant, une idée de chauve peut s'exprimer. Mais alors les mots ne naissent pas sur les lèvres. Ils sont articulés par la mâchoire, prolongement direct du crâne. Je conçois mal un dictateur barbu.
Les lunettes de soleil complètent heureusement la calvitie. Les Ray-Ban, écoute-moi bien et apprends, c'est une calvitie de l'œil. Un vrai dictateur n'a pas besoin de voir. Il sait ce qu'il y a à voir. Un vrai dictateur n'a pas à montrer ses yeux. Ils ne regardent rien de particulier. Ils sont pris dans une vision globale et noire qui a quelque chose du regard de l'aveugle. L'aveugle voit ce que les autres ne voient pas. Il sait. Le chauve suprême porte un monde sur ses épaules. Bon, Horace, ma bonne haridelle à bretelles, tes bons soins m'ont ravigoté, j'y vois plus clair, c'est décidé, on y va, on leur fait le coup du macchabée dès le conseil de demain soir, quitte ou double.