CHAPITRE XI

Où l'on voit retracée l'ascension du colonel Gris,

chef des Services secrets,

et où l'on apprend comment le Maréchal

est devenu le Maréchal

 

En se réveillant, le lendemain matin, dans sa chambre au papier peint à rayures jaunes, l'oncle, un instant, n'a pas su où il se trouvait. Il voyait bien les bandes verticales jaunes, rayant un fond gris clair, pour autant qu'il pût en juger dans la demi-pénombre. Il voyait bien, sur la cheminée, la pendule de marbre noir surmontée de sa Diane en bronze doré, mais ces objets se présentaient à lui avec une évidence stupide, indépassable. Les bandes jaunes ressemblaient à des barreaux que sa conscience ne pouvait pas franchir.

Ne sachant où il était, il ignorait de même qui diable il pouvait bien être. Cela ne l'inquiétait d'ailleurs pas. Il ne faisait pas d'efforts excessifs pour aller plus loin. Cette ignorance avait quelque chose de reposant. Au bout d'un moment, sans qu'il sût par quels détours, son nom lui est revenu, et son identité.

D'abord, cela ne l'a pas beaucoup avancé. Cette identité, dont il savait qu'elle était la sienne, lui demeurait extérieure. Enfin, il s'y est réinstallé, s'est rafraîchi la conviction, et s'est tenu prêt pour les événements de la soirée. La réunion au sommet qui allait avoir lieu préluderait à son grand retour à la tête du pays.

Ces flottements ne revêtaient aucun caractère de gravité lorsqu'ils se produisaient ainsi au réveil. Ils n'étaient pas même originaux. En revanche, ils pouvaient se montrer ennuyeux lorsqu'ils le prenaient en plein cours de ses activités diurnes, a fortiori en présence de quelqu'un. Il s'agissait d'une sorte d'engourdissement de l'esprit qui le vidait, comme un sac, de tout contenu.

Non que la mémoire le quittât forcément dans ces moments-là : simplement, son contenu lui apparaissait comme un amas hétéroclite d'images et de mots indifférents, dressé à une grande distance de lui, par-delà un vide qu'une soudaine léthargie, comme dans un rêve, lui interdisait de franchir. Si cela le prenait, au milieu d'un conseil des ministres, d'une inauguration, d'une réunion d'état-major, il parvenait tout de même à donner le change, à poursuivre la conversation ou le discours entamés. Mais les mots lui paraissaient s'enchaîner seuls. Ils s'engendraient, se multipliaient sans cause comme des poissons, tous semblables. Il tentait de les suivre, de continuer à flotter à leur niveau, tout près de la surface, alors qu'une pesanteur en lui l'invitait à l'abandon, à se laisser couler tout au fond, là où il n'y aurait plus de lumière, plus rien à voir ni à faire, juste un flottement indistinct, de longs faisceaux d'ondulations aveugles au sein desquels il pourrait se laisser aller.

Il sentait alors que le flou dans son regard, le son atone de sa voix, qui s'élevait comme celle, curieusement dépourvue de timbre, d'un homme que fait parler le rêve dans la pénombre d'une chambre éloignée, devaient se voir et s'entendre, mais il perdait toute autre puissance sur lui-même que celle de s'obliger à se tenir en éveil, jusqu'à la fin de la crise. Il n'était pas sûr de n'avoir pas eu d'absences plus profondes. Plusieurs fois, il s'était trouvé en plein silence, face à des regards interrogateurs, et avait eu besoin de quelques instants difficiles pour retrouver ce qu'il avait à dire.

Il se demandait si la multitude de vies parallèles menées par ses doubles n'avait pas fini par amoindrir et nécroser définitivement en lui le sens de sa propre personnalité. Comme si ces hordes de lui-même hantant la république le vidaient de sa substance. Au fond, se disait-il, lui, Alessandro Y, le Maréchal-Président à vie, le nom le plus connu, le visage le plus vu, il était le seul, dans toute l'étendue du pays, à n'être réellement personne. Un principe. Son inexistence suprême, fondamentale et métaphysique, comme il la nommait parfois pour lui-même, ayant toujours eu un goût curieux pour des abstractions philosophiques que son intelligence limitée ne lui donnait pas les moyens de comprendre, son inexistence soutenait les petites existences bien limitées des autres.

Cela faisait sa force. Il avait connu des regains d'énergie à la suite de ces absences. Certainement, dans ces plongées au fond d'un abandon où le sort de tout lui devenait indifférent, celui de l'État aussi bien que le sien, puisait-il des ressources insoupçonnées, même de lui. Cette espèce de désinvolture, ou de légèreté, qui le conduisait directement là où l'adversaire ne l'attendait pas, cette faculté d'adaptation qui lui avait souvent sauvé la mise.

Revenant donc à lui, il s'est souvenu de l'enjeu de la soirée, qui devait contribuer à régler la question de son retour. Dès le soir de son arrivée, l'oncle, ainsi qu'ils l'appelaient, et lui-même le leur avait demandé, avait réactivé la cache dormante pour en faire le foyer d'où partirait sa reconquête du pouvoir. Il était entré en communication avec les autres caches dormantes, dont il conservait en permanence sur lui la localisation et les codes. Celles qui n'avaient pas été détruites avaient obéi aux ordres provenant du pavillon, désormais pourvu de l'appellation officielle de Cellule mère réservée à la cache choisie par le Maréchal.

Mais pour que tu comprennes bien cette soirée, il faut que le Maréchal t'explique comment il en est arrivé là. Comment, à son âge, avec la puissance qui a été la sienne, Alessandro Y, le Dictateur suprême, est devenu ce vieillard qui se cache dans des pavillons de banlieue tenus par des ménagères. Non que la situation manque de charme à ses yeux, tu le sais, mais il lui arrive de mesurer, dans cette retraite, l'énorme gouffre, peut-être à jamais infranchissable, qu'il a creusé entre lui et lui. Pas une fois, jusqu'à ces derniers jours, il n'a dit à quiconque la vérité. Être mort, au fond, ça facilite les choses, tu vois. Ça donne de la fluidité à la parole.

Ce n'est pas lui qui a systématisé les sosies. C'est Gris. Avant d'aller plus loin, il faut que le Maréchal, ou que l'oncle, comme tu voudras, t'explique qui était Gris. Qui était, ou qui est, car il est probable qu'il existe encore, quelque part, replié dans un de ces coins d'obscurité et de poussière, comme il les aimait, et continue à élaborer les combinaisons les plus entortillées, dont personne d'autre que lui ne pourrait comprendre les finesses.

Le Maréchal n'a pas vraiment su d'où sortait Gris. Il ne l'a pas vu venir. D'habitude, il avait à cœur de contrôler soigneusement, lui-même, l'origine et la carrière de tous ceux qui seraient amenés à l'approcher. Histoire de bien les connaître, et aussi de savoir où sont les femmes et les enfants. Eh oui, on tient aussi les hommes avec ça. Mais Gris est arrivé tout doucement. C'était un petit fonctionnaire bien soumis, bien appliqué, bien efficace. Ses chefs l'appréciaient pour sa modestie, sa discrétion, son ardeur au travail. Il savait leur abandonner le bénéfice de succès dont il était le véritable auteur. Il n'était pas visible. Ceux qui sont très visibles ramassent les honneurs, et ensuite ils sautent. Capitole, roche Tarpéienne and so on. Ça ne te dit rien, sans doute. Depuis, le Maréchal a un peu mieux appris les subtilités du métier de dictateur. Mais à l'époque, il ne s'inquiétait que des gros poissons bien visibles. Il lui a fallu beaucoup de temps pour comprendre. Il a fait comme ses hiérarques : il ne s'est d'abord pas méfié de Gris. Peut-être qu'il y a en nous un petit quelque chose qui résiste au cynisme absolu, qui voudrait, malgré tout ce qu'on sait, qu'il y ait des fidèles, des honnêtes. Un beau jour, le petit quelque chose choisit son homme, pendant qu'on regarde ailleurs. Il profite d'un moment de distraction. À ce moment, on est foutu.

À Gris, on ne connaissait pas de femme, pas d'enfant. Mauvais point : ça signifiait pas de moyen de pression. En revanche, c'est un juif, ou réputé tel, c'est pareil, ce qui lui impose, ipso facto, de filer doux, de ne pas se faire voir, et l'empêche de toute manière d'arriver un jour à la tête du pays. Je pensais donc être tranquille avec lui. Et je l'ai été un bon moment.

D'ailleurs il ne paie pas de mine. Du moins en apparence. Il possédait l'art de ne pas se faire voir. Figure-toi un bonhomme de taille moyenne, plutôt sec. Visage émacié, cheveux très courts, peut-être parce qu'il se dégarnissait en haut du front. Les yeux enfoncés, très noirs. Lunettes de vue au travail, lunettes noires dès qu'il sortait. Toujours en uniforme, la vareuse grise de colonel des Forces spéciales. Aucune décoration. Il se permettait simplement le petit insigne des parachutistes. Parlant toujours de manière égale et basse, dans une langue précise et correcte. Le bon serviteur de l'État, quoi. Exactement le type dont il aurait fallu se méfier dès le début. Cela dit, il a bien servi le Maréchal, ce salaud, il faut le reconnaître. Sans lui, le régime aurait été dix fois renversé.

Au départ, Gris a fait des études de médecine. Ses deux ans de service militaire, il les a effectués comme médecin militaire dans une unité de parachutistes. Et puis il a commencé la spécialité à laquelle il voulait se consacrer, la médecine légale. C'est par là qu'il s'est approché du pouvoir. Onianga l'a recruté pour qu'il prenne la direction du service de conservation des cadavres. Il a empaillé des cohortes d'opposants, avec talent, il faut l'avouer. C'est un bon scénographe, une espèce d'artiste, dans son genre. Il a trouvé des moyens de conservation des corps sur lesquels il a toujours gardé le secret. À partir d'une vieille dépouille de colonel en mauvais état, il pouvait fabriquer un superbe écorché en posture épique, garanti pour l'éternité. À un service qui n'avait avant lui qu'une importance très secondaire, il a donné une place prépondérante. Les cadavres de Gris envahissaient les palais. Il m'est même arrivé de réhabiliter des morts pour emmerder des vivants, de leur conférer un portefeuille, et de les faire siéger en conseil. Cette idée-là, j'ai toujours soupçonné qu'elle m'avait été soufflée par toi, ma petite chose noire. Tu aurais vu la gueule de mes ministres.

Onianga voulait garder la main sur le département des Morts. Il en a fait un bureau des Services. C'est comme ça qu'il a introduit dans son domaine celui qui devait le détruire. À partir des morts, le capitaine Gris a commencé à collecter aussi de l'information sur les vivants, à remplir des dossiers, à rassembler des rapports de mouchards.

Il ne s'est pas approché du pouvoir comme les autres. Presque tous, ils se sont battus pour les postes les plus prestigieux. Lui, si le Maréchal ne l'a pas vu venir, c'est qu'il ne prenait que les postes gris, les fonctions rasoir. C'est le poste qu'il transformait. Il ramassait le pouvoir, sans le nom du pouvoir. Pendant que les autres paradaient et se rengorgeaient sous leurs médailles, il leur faisait les poches. Au moment où ils s'en apercevaient, il était trop tard.

Dans ses modestes fonctions aux Services, il a commencé, tout doucement, à constituer ses réseaux, et à établir des fiches très précises sur toute personne qui exerçait un peu de responsabilité. Comme il travaillait bien, il est devenu chef du service d'Information générale. Titre impressionnant. En fait ce n'était qu'une poignée de gratte-papier chargés de gérer le flot de données que fournissent les informateurs, les flics, les statisticiens, les agents spéciaux. Au départ, il ne s'agit que d'un bureau qui dépend du Renseignement intérieur, lequel dépend du département du Renseignement général, lequel est théoriquement sous l'autorité du chef de la police, lequel dépend du ministre de l'Intérieur. Donc, du tout petit fretin.

Sous son autorité, l'Information générale a pris une importance telle qu'il a fini par obtenir que ce service insignifiant devienne un département indépendant, directement rattaché à la police. Mais la police n'avait plus sur le bureau d'information qu'une autorité nominale. L'oncle te raconte des péripéties administratives, et ça doit te sembler bien rasoir, évidemment. Mais si tu es loin de lui à présent, s'il ne vient plus veiller sur ton sommeil, s'il se terre dans cette maison anonyme, cela vient de là, du moins pour une bonne partie, de ces ennuyeuses recompositions de services bureaucratiques. D'ailleurs, tu sais, il n'a compris ça que bien après, le couillon d'oncle. Il avait quelques loisirs, et il a reconstitué patiemment, en compulsant les archives, la discrète ascension de Gris.

L'étape suivante a consisté à se rendre indépendant de la police, pour constituer un service de renseignement autonome. À ce moment, il existe trois services de renseignement : celui de la police, celui de l'armée, et celui qui est dirigé par Gris, voué en principe à la pure collecte d'information intérieure, sans aucune possibilité d'action. C'est à ce moment qu'il a accédé au grade de colonel. Il n'en a jamais eu d'autre, et il semble bien qu'il s'en soit toujours bien gardé. Ne pas entrer dans le cercle des généraux, pour ne pas se faire voir.

Progressivement, le service de Gris a phagocyté les deux autres, qui sont devenus des coquilles vides. Mais il a pris garde qu'on ne les supprime pas. Ils lui servaient à faire écran au développement du sien. Et on y placardise des rivaux, en leur laissant croire qu'ils obtiennent des promotions. Il a réussi à réduire à presque rien le renseignement militaire, dirigé par mon fils Sacha, ce qui n'est pas rien.

Ensuite, il s'est doté de services Action. Au bout de quelques années, le service d'Information est devenu les Services. Ils regroupaient le Renseignement intérieur et le Renseignement extérieur. On y a adjoint par la suite la Milice, les Forces spéciales, la Garde verte et la police politique. Ça ne se voyait pas trop, parce que toutes ces entités conservaient des locaux séparés, des noms et des fonctionnements indépendants, mais tout cela aboutissait au bureau de Gris, un petit bureau modeste, dans un immeuble anonyme. Les Services restaient théoriquement dépendants du ministère de l'Intérieur, mais également, pour certains aspects, de l'état-major général des armées. Gris adorait les conflits d'autorité, les redoublements de services et de fonctions. Tout cela lui garantissait une indépendance quasi totale. Moyennant quoi il saluait respectueusement le général en chef en fonction, sur lequel il possédait toutes sortes de fiches, qu'il entourait d'espions et de mouchards, et qui sauterait un jour ou l'autre, alors que lui, Gris, restait en place. D'ailleurs personne ne s'y trompait. Les généraux et les ministres avaient presque autant la trouille de Gris que du Maréchal suprême. Ils connaissaient sa réputation : froid, réfléchi, organisé, impitoyable.

Progressivement, les Services ont pris un développement tentaculaire. Ils ont entrepris d'employer toute la population. Ils ont doublé une bonne partie des organes de l'État, de manière quasi officieuse. Plus ils s'étendaient, plus ils s'effaçaient. Gris faisait en sorte que la comptabilité, la gestion du personnel des Services se dissolvent dans celles des organes visibles jusqu'à se disperser dans les brumes. Il possédait une sorte de génie pour créer des spectres bureaucratiques. Et l'Oncle se dit aujourd'hui que si Gris avait pu aller jusqu'au bout, il aurait réussi à créer le monstre d'un pouvoir complètement occulte.

Oui, bien sûr, c'est un peu tard pour s'en aviser. Mais avec le recul, les choses s'ordonnent, leurs rapports apparaissent. L'occultation du cœur du pouvoir, celle du Maréchal himself, se situait dans la logique du travail de Gris. Ce serait là son chef-d'œuvre, la disparition complète d'un pouvoir absolu. Ouais. Eh bien le Maréchal himself n'y a vu que du feu, à cette logique.

Et qu'est-ce qu'il foutait, hein, le Maréchal, pendant ce temps-là, lui si méfiant, si prudent, toujours à flairer le coup d'État ou l'excès de pouvoir ? Excellente question. Le Maréchal se remercie de se l'être posée, puisque les questions, mon âme, il sait bien que tu n'en poses que pour la fiction, afin que son âme à lui s'apaise en se vidant en toi, il le sait, il ne veut pas le savoir. Qu'est-ce qu'il foutait… Que veux-tu qu'il te dise ? Il se reposait sur l'efficacité de Gris, il se laissait séduire par sa prestidigitation. Escamoter un mouchoir, jolie manipulation, on applaudit. Escamoter tout un appareil d'État, ça tient du génie. Chapeau. C'est le cas de le dire. Et puis, le système de Gris avait atteint une telle complexité que sans doute lui-même, avec toute sa méticulosité, ne parvenait plus à le contrôler complètement. Il aurait été aussi rebutant de s'y plonger que dans la comptabilité bidonnée d'une imbrication de sociétés-écrans. Alors le Maréchal jetait parfois un coup d'œil, tout de même, et puis rapidement, il laissait tomber. De toute façon, Gris restait au second rang dans l'appareil d'État. Il n'a jamais eu d'autre titre que directeur du service d'Information générale, ni d'autre grade que colonel, alors que les généraux grouillaient au palais, on marchait dessus, littéralement.

La disparition, c'était sa méthode : pour lui, pour son système, comme pour ses ennemis. De sa vie passée, de ses alliances, de ses amitiés, de ses actions, il s'est ingénié à faire disparaître toute trace. Il s'effaçait tellement qu'on ne voyait même plus qu'il s'effaçait. En tout cas, le Maréchal, à l'époque, en était à peine conscient. Il a commencé à remarquer cette discrétion de Gris à partir du moment où lui-même s'est trouvé occulté. Il l'a d'abord attribuée à la prudence. Il pense aujourd'hui qu'il y a autre chose. Que Gris, profondément, aspirait à l'inexistence.

À partir de son arrivée à la tête des Services, on a moins massacré et moins exécuté. Les gens disparaissaient. C'était plus propre, et aussi plus inquiétant. Tout le monde pouvait disparaître, du jour au lendemain, sans aucun indice, sans nouvelles. Plus on se rapprochait du pouvoir, plus la disparition était complète. Souci d'efficacité, mais aussi, je le soupçonne, amour de l'art. Lorsqu'un ministre tombait en disgrâce, il s'ingéniait à occulter toutes les traces du passé. On retouchait les photos, on modifiait les archives, on escamotait la famille. Ça marchait plus ou moins, mais c'était un artiste, mon Gris. Il est parvenu à des résultats étonnants, des disparitions splendides. Par moments, le Maréchal en arrivait à douter, à se demander si le type avait bien existé, s'il n'était pas victime d'une illusion rétrospective. Et tout cela, Gris l'accomplissait en conservant son air modeste et sérieux de fonctionnaire modèle.

Au début, il désapprouvait le désir qu'avait le Maréchal de conserver le corps de ses ennemis. C'étaient des traces, et il détestait en laisser. Mais il s'est incliné. Le Maréchal, je m'en souviens, n'était guère porté vers l'abstraction, en tout cas au début de sa carrière. Alors Gris a créé tout un service spécialement consacré au traitement des corps. Des corps vivants, d'abord, des corps morts, ensuite. Il l'a installé dans les parties les plus profondes du bunker, connues de très peu de gens.

On y travaillait presque en permanence. C'était une usine à métamorphoser la chair, à la diviser à l'infini, ou bien au contraire à la maintenir dans l'illusion de la vie. On y enfermait aussi des gens nus dans des alvéoles noires, grandes comme des cabines de douche. Ils n'y recevaient plus, pour le reste de leurs jours, que ce qui était nécessaire à les maintenir en vie. Ils ne possédaient plus rien, ni famille, ni passé, ni identité. Et pourtant, ils vivaient, et c'est ce qui importait au Maréchal. Pourquoi ? Tu as gardé beaucoup de candeur, petite âme. Parce que la mort nous arrache nos ennemis. La souffrance est préférable, mais la souffrance finit par tuer. L'ensevelissement vivant est à peu près semblable à la mort, avec cette différence infinie que c'est une mort consciente. Ces enterrés avaient tout le reste de leur vie pour relire, seconde après seconde, dans le noir, le constat du triomphe du Maréchal. Ils étaient le corps sur lequel s'exerçait sa domination, et la conscience d'être ce corps. Le Maréchal ne les voyait jamais, mais il le savait. Il savait, en prononçant ses discours, en signant ses décrets, en recevant les ambassadeurs, que sous ses pieds, au creux de la terre, cette cohorte d'ombres nourrissait l'idée noire de sa puissance. Oui, la plupart ne comprennent pas ces choses. Peut-être en es-tu capable, toi. Comment croient-ils qu'on puisse tenir, au sommet ? Tout le monde t'envie, te hait, désire ta mort, et tout le monde t'aime aussi, mais t'aime à te poisser la chemise. On a besoin de ces petits soutiens psychologiques, de ces fantaisies, sans quoi on ne tient pas.

Et puis, il y a le poids des choses. Une fois qu'on a commencé là-dedans, il faut devenir systématique. La torture, l'embaumement, l'incarcération dans une obscurité définitive comptaient parmi les fonctions majeures de l'État. Gris construisait patiemment sa république de hurlements, d'oubli et de momies. Il y faisait travailler tout un personnel qui se composait, pour l'essentiel, de ceux-là mêmes qui finiraient pas être absorbés par la machine qu'ils faisaient tourner.

Là-dessous, on ne savait plus très bien parfois ce qui était vivant et ce qui était mort. On approchait de la limite entre les deux. Je crois que c'est ce qui fascinait Gris : il allait, peut-être inconsciemment, vers ces zones où réalité et irréalité, mort et vie deviennent indistinctes. Alors il scrutait, comme au microscope, l'instant où un vivant, lentement travaillé dans son corps, bascule dans le néant. Il voulait le mener très progressivement jusque-là, faire en sorte que sa mort, à petites doses, entre en lui jusqu'à devenir lui. On a cru que c'était juste un fonctionnaire sadique. Tu le crois peut-être, toi aussi. Mais non, ce n'est pas cela. En réalité, Gris était une sorte d'idéaliste. Un chercheur d'absolu, à sa manière, méthodique, scrupuleuse, torturée. Il faut toujours se méfier des idéalistes.

Plus la réalité disparaissait, plus l'illusion, symétriquement, devenait voyante. Gris donnait aux journalistes de fausses rébellions, des catastrophes pour rire, des coups d'État en peau de lapin, des procès en carton-pâte. Ils n'allaient pas y regarder d'assez près pour s'apercevoir de la supercherie. De sorte que presque toute l'histoire connue de la république est en réalité une fiction écrite par les Services. Avec assez d'habileté pour que l'on puisse supposer qu'elle deviendra l'histoire même. Le colonel travaillait si bien que les espions des Services passaient couramment pour des héros de la résistance, et vice versa.

Et son travail ne s'arrêtait pas là. Il fliquait le passé, et il le modifiait. Il employait des enquêteurs qui établissaient en détail le passé de certaines personnes, listaient leurs relations et les membres de leurs familles, modifiaient au besoin les documents, recueillaient les témoignages nécessaires à établir la vérité utile. Une équipe d'historiens auxquels il avait soin de donner une façade d'indépendance totale, corroborée au besoin par un petit séjour en prison, fabriquait tous les documents nécessaires à la propagande, rédigeait des ouvrages de référence illustrés par des photographies truquées réalisées par les bureaux techniques des Services. Oui, le passé même ne m'échappait pas, je régnais sur le temps aussi bien que sur l'espace.

L'Océan de Sagesse avait beau avoir d'autant plus confiance en Gris que sa place dans l'organigramme du pouvoir était subalterne, il fallait bien envisager des mesures de prudence. En même temps que le colonel parachevait le parasitage de tout le corps des services de renseignement, il avait pris la haute main, en tant que chef de la Sécurité, sur le bureau chargé de recruter et de former les doublures, qui avait été mis en place par son prédécesseur, le colonel Onianga. Conformément aux règles implicites de succession à la tête des organes de sécurité, Gris s'était personnellement chargé de liquider Onianga. Son tour viendrait, mais il était utile à ce moment-là, et même indispensable, vu les ambitions du général Kobal, mon dauphin et le favori de ma chère épouse. Seulement il n'était pas envisageable de le laisser tout savoir, tout contrôler. C'est peut-être là que l'idée qui rampait insensiblement, depuis des années, a pris corps, à la fois par mimétisme avec l'occultation des Services réalisée par Gris, et pour le contrer, le prendre à son propre piège au cas où il lui prendrait la fantaisie de bouger. Il fallait faire en sorte que Gris ne sache plus faire la différence entre le vrai et le faux. Mais cela exigeait une doublure solide, capable de remplacer le Maréchal, non pas seulement une heure ou un jour, mais des années. On n'avait pas encore trouvé Machin, le futur pendu. Et puis il a surgi, et la Grande Occultation a pu avoir lieu.

Je sais, c'est une folie. Mais, mon cœur, de telles folies sont précisément la marque des grands. Personne, avant moi, n'avait été si loin dans la démesure du dédoublement. C'est elle qui m'a sauvé. J'aurais dû faire le grand saut, au bout de la corde, au petit matin, à la place du glorieux jobard. Qui sait ce qu'il a pu penser, à ce moment-là ? Et qui a-t-on pendu, finalement, lui ou moi ? Sa dictature, ou la mienne ? Au procès, il aurait pu essayer de sauver sa peau en se présentant comme un simple substitut, un exécutant qui recevait ses ordres des Services. Rien. Il a assumé son rôle, il a voulu être le vrai Maréchal dans la mort, comme il avait cherché à l'être en tentant ce coup d'État stupide contre le gouvernement d'union nationale. Bah, de toute façon, vrai ou faux, ils s'en foutaient. Ce qu'ils voulaient, c'est pendre un Maréchal. Il le savait. Il paraît qu'il n'a plus rien dit après sa condamnation. Silence total, jusqu'au gibet. Ah si : d'après ce qu'on raconte ici et là, au moment où la trappe s'est ouverte, il aurait crié « maman ». Dommage. Impeccable jusqu'au bout, et puis la faute, qui vous saccage la dignité. Ça me vexe, d'avoir crié « maman ».

Gris était convaincu d'avoir gagné la partie. Subtil coup de billard à trois bandes. Tout le monde éliminé : Kobal, puis le Maréchal, puis les rebelles. Ça venait de très loin. Et puis voilà que lui aussi s'est fait poirer. Triomphe et disparition. J'ai beau me repasser le film, rien à faire, je n'y comprends rien. Comment Gris, qui avait impeccablement machiné son montage, a-t-il pu se faire avoir à son tour ? Et par qui ? Je dois croire à la fois qu'il était l'homme des services étrangers, celui qui s'est débrouillé pour faire intervenir la force internationale, et croire aussi qu'il est le criminel de guerre traqué par cette même force internationale. Même les gens des Services sont incapables de donner une explication cohérente à ce qui s'est passé depuis l'échec du coup d'État.

Et puis qui sait quoi ? Qui comprend quoi ? Chacun, dans cette histoire, ne détient qu'une toute petite parcelle de la vérité. Le Maréchal, celui qu'ils croient tous connaître, ils en ignorent tout. Il y a des détails qu'on n'a jamais connus, il en est sûr, même si la nuit, parfois, entre veille et sommeil, le soupçon s'insinue en lui : et si Gris était parvenu à tout savoir, à tout ficher, absolument tout, depuis sa naissance ?

Écoute bien, petite âme, l'histoire du Maréchal absolu, telle qu'elle n'existe dans aucune chronique et dans aucune biographie, telle qu'elle te sera à toi seule révélée. Avant de devenir le Maréchal, le Maréchal avait eu un nom. Il s'était nommé Alessandro Y. Alessandro Y, officier sorti du rang, était devenu commandant de la Garde présidentielle, l'unité d'élite des forces armées. Il avait pu accéder à ce poste stratégique, en dépit du fait qu'il n'appartenait pas aux héros de la libération, fondateurs de l'armée, grâce à la bienveillance du Père de l'Indépendance en personne, le docteur Gobronski. Oui, c'est au Bon Docteur qu'Alessandro Y devait sa promotion. Le Bon Docteur l'avait imposé aux vieux chefs prestigieux de l'Armée de libération. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il lui avait trouvé ?

C'est peut-être sa gueule de bonne brute dévouée. Alessandro Y savait parfaitement jouer le rude chien fidèle, à l'époque. Mais le Bon Docteur n'était pas qu'un idéaliste. Il éprouvait sans doute aussi le besoin de diviser un peu l'armée, de ne pas dépendre entièrement de la même secte militaire.

Un bon gros tas d'admirables héros de la libération commence à comploter contre le chef de l'État. Alessandro Y a vent de la chose. Il laisse faire. Tous ces héros ont une trouille considérable de la Garde présidentielle, mais ils ne veulent pas d'Alessandro Y dans leurs rangs. Ils le méprisent et ils le craignent. Un matin, avant l'aube, le coup d'État se déclenche. Ça ne marche pas aussi bien que les héros l'auraient cru. Au lever du soleil, la situation n'est pas encore claire. Que va faire la Garde présidentielle ? Elle paraît attendre. Il y a des tractations secrètes. Des promesses. La Garde présidentielle intervient aux côtés des mutins et emporte le morceau. Le Bon Docteur est tué dans l'assaut du palais présidentiel. C'est malheureux. Un accident.

On est dans le classique : un Père de l'Indépendance, un coup d'État, une junte militaire. Un vrai spectacle de guignols, avec toutes les marionnettes. Et mon Alessandro pénètre le cercle fermé des grands guignols avec leurs gros bâtons sanglants. Couronnement d'une belle carrière. Le patron des guignols est le général Barbarosa y Zalaguer. Des traits d'auguste peints sur du bois fendu avec de la vinasse et du jus de tabac. Un ventre de polichinelle. Une férocité de polichinelle, aussi. Zalaguer… Je le vois, il est comme un vieux molosse aveugle, qui renifle partout les remugles de la trahison, et plante les crocs ici et là, au hasard. En reconnaissance des services rendus, Alessandro Y, la brute, le paysan, obtient le commandement de l'armée de terre.

Il sait très bien que cela ne veut rien dire. Un jour, on cherchera à se défaire de lui. Il développe ses réseaux, noue des liens avec les officiers de rang inférieur. Et puis, évidemment, tout finit par un feu d'artifice ; par un beau matin d'automne la voiture du général Zalaguer s'envole bien haut dans le ciel de la capitale. Se dispersent aussi dans le ciel, en fragments tout petits, la sale gueule en bois peint du général Zalaguer, et puis la gueule de son chef d'état-major, de son chauffeur, et enfin la gueule, non moins patibulaire, de quatre gardes du corps, sans compter une dizaine d'anonymes qui n'avaient qu'à pas être là à ce moment-là. Du classique, je te dis. Alessandro Y avait suivi le scénario. Le chef de la junte, dans les bonnes histoires de junte, on l'élimine. C'est incroyable ce que les chefs de junte peuvent être naïfs, parfois.

Dès l'heure de l'apéritif, les troupes de l'armée de terre occupent la capitale et les villes principales. Le dauphin officiel du général Zalaguer, l'amiral de Hautejacques, est destitué, et tous les membres de la junte arrêtés. Après un procès à huis clos, ils sont pendus en secret, convaincus, ces enflures, d'avoir fait assassiner le brave général Zalaguer, héros de l'indépendance et guide de la nation durant huit mois et seize jours. Une bonne petite gestation, tiens, et mon Alessandro aurait pu honorer la vieille baderne du beau nom de « maman », quand on y pense.

Alessandro Y devient le Guide. D'abord un Guide simple, et puis un Guide de plus en plus suprême. Au bout de quelques années, j'étais, par la grâce de la propagande, un demi-dieu. Plus suprême, tu meurs. Le Suprême des Dieux, pareil, en ma gloire, au célèbre frometogomme, en moins coulant, je te prie de me croire.

Moi qui n'ai reçu aucune éducation, Moi le paysan du Danube, le soudard, le ci-devant morveux, je savais tout faire, je connaissais tout : incollable en économie, compétent en philosophie, érudit en littérature, lumineux en stratégie, souverain en aéronautique, disert en mécanique des fluides, subtil en théologie, ingénieux en réparation de motocyclettes, expert en gynécologie, rompu à la pédagogie, révolutionnaire en agriculture, doué en astrophysique. Je rendais des oracles. Je tranchais de tout. J'arbitrais les querelles de voisinage et des rivalités entre académiciens, résolvais des énigmes historiques, faisais passer l'agrégation, tranchais des querelles esthétiques, déterminais les parcours de tramways. Je massacrais sur le ring des poids lourds de la boxe et sur l'échiquier des grands maîtres internationaux, sautais en parachute, morigénais les voyous, séduisais les femmes, flattais la tête des enfants des écoles, composais des poèmes immortels, rédigeais des traités d'agronomie, publiais mes pensées. Je fixais le prix des pâtées pour chiens. J'interrogeais les suspects, je pétais personnellement moi-même la gueule à des assassins, je graciais des coupables, j'en exécutais d'autres en retroussant mes manches et je tombais la veste afin de plonger dans le fleuve pour sauver des noyés en puissance qu'on avait fait patienter jusqu'à mon arrivée. Je baptisais les nouveau-nés. Je fertilisais par ma seule présence les terres et les femmes stériles. Je guérissais l'ulcère de l'estomac, le zona, et même, disait-on, le cancer. J'envisageais sérieusement de ressusciter les morts. J'étais l'homme universel. Une espèce de Léonard de Vinci avec un crochet du droit qui tue.

Secrètement, je peux te l'avouer, je m'écœurais.

Je n'ignorais plus rien du guignol en moi. L'obscénité de cette exhibition permanente, lorsque je me retrouvais seul, me débecquetais. Mais j'avais si peu l'occasion de rester seul, alors. Me montrer, dans toute ma divinité cabotine, était devenu une drogue dure. Je carburais au narcissisme et à la honte du narcissisme. Quelqu'un, en moi, savait encore que toutes ces incarnations dérisoires par lesquelles je prétendais affirmer ma grandeur ne faisaient que la profaner. Quelqu'un, oui, continuait, malgré tout, à receler cette évidence intime : j'étais plus grand, infiniment, que toutes les manifestations hystériques et désespérées de ma grandeur. Chaque fois que je faisais le pitre et le matamore pour les caméras, chaque fois que j'endossais le costume du bon vivant, du justicier rigoureux, du grand homme tout simple, de l'âme sensible bourrée de compassion, du stratège profond, je sentais confusément que j'humiliais quelqu'un d'autre en moi, de plus essentiel.

J'espérais chaque fois être universellement reconnu comme un ceci ou un cela, c'était merveilleux d'être ceci et cela à la face du monde, ne l'être que secrètement n'avait pas de sens, secrètement, mon âme, on n'est rien qu'un peu de silence, et chaque fois une voix me murmurait : cela, que cela. Je ne comprenais pas. Je me précipitais immédiatement vers un autre avatar, comme si d'être tout, de revêtir les diverses figures de l'accomplissement humain pouvait me préserver de cette insatisfaction secrète. Comme s'il s'agissait, dans ce que disait la voix, d'être autre chose que cela. J'ignorais qu'en réalité, loin de vouloir vraiment accumuler les visages glorieux, je ne cherchais qu'à me défaire de chacune de ces incarnations. Je voulais revenir à ma vérité, celle que j'avais laissée loin derrière moi, et qui m'attendait, seule dans l'obscurité, comme tu m'attends, mon âme, chaque jour depuis des années. Je voulais revenir à mon néant.

Mais ce reste de lucidité ne durerait pas. Il me fallait toujours plus de gloire. J'allais m'oublier. Je ne serais plus, pour jamais, que cela, le Maréchal absolu. J'aurais été dévoré par lui.

Le Maréchal prend soin, au début de son règne, de réhabiliter le Bon Docteur, histoire de montrer toute sa mansuétude, et sa volonté de devenir le Grand Réconciliateur de la Patrie, le Président de tous et tout le tremblement. Le Bon Docteur eut ses statues tandis que sa dépouille, ô joie ironique, séchait dans mes caves, dûment traitée par les employés de Gris. Il était à moi, rien qu'à moi, le gentil Docteur. J'ai tenu à assister moi-même à son vidage. Les spécialistes de Gris m'avaient garanti le boulot soigné, au moins trois siècles de tranquillité, si on entretenait bien, dans une cave sèche, à température constante.

Alessandro Y connaît bien la trahison, le complot, l'attentat, les menées subversives et les intrigues. Il en vient, il les a pratiqués. Il n'ignore pas que ses soldats, ses officiers, ses meilleurs amis, ses ministres, les chefs de ses services, ses gardes du corps, ses conseillers secrets et ses confidents intimes n'attendent que l'occasion d'émettre des réticences, de le critiquer, de prévoir son remplacement, de le trahir, de le faire tuer. Quelles que soient les précautions qu'il prendra, il ne peut avoir confiance en personne. Dès les premiers mois de son pouvoir absolu, il essuie trois attentats, et met au jour une conspiration menée par son plus ancien compagnon d'armes, un ami de vingt ans à qui il avait attribué, pour plus de sûreté, la direction de la police. C'est après l'exécution de son ami de vingt ans que le général Alessandro Y se fait nommer Maréchal-Président à vie, sur initiative spontanée des principaux corps de l'État. Quelque temps plus tard, sur les suggestions de Gris, il prend une décision amenée à bouleverser la nature de son règne.