CHAPITRE XXVI

Où Schlangenfeld rencontre le Maréchal

 

Elle s'était retrouvée, sortant des enfers, une nuit, au bord d'une route solitaire, quelque part du côté de la frontière araxienne. Elle ignorait pour quelles raisons, finalement, ils l'avaient relâchée au lieu d'en finir avec elle. Elle avait compris qu'elle ne verrait jamais que dans un miroir obscur. Un peu plus tard, elle avait pu faire une toilette sommaire dans le poste pouilleux de gardes-frontières qui l'avaient recueillie. Il y avait un lavabo et une glace fendue collée au mur. Elle n'avait pas reconnu tout de suite celle qui lui faisait face.

Elle voyait une femme maigre, aux yeux cernés profondément enfoncés dans les orbites, aux lèvres sèches et gercées, aux cheveux bruns tondus ras. Une marque noirâtre entourait son cou. On distinguait encore, comme en transparence sous les traits, l'ombre de la beauté, mais toute lumière avait déserté les yeux, tout éclat le teint. On aurait pu lui donner une quarantaine d'années. Quelques mois auparavant, elle en avait vingt-huit.

La vieille disait qu'elle s'était dit : cela sera moi désormais, c'est cela que je dois prendre. Et, devant ce miroir, elle avait choisi cette femme, en qui presque toute trace avait disparu de sa mère, la chanteuse. « Je l'ai choisie aussi, disait-elle, parce que je me suis imaginé que cette maigreur qui avait chassé le reste d'enfance en moi me faisait te ressembler, je me rapprochais de ton austérité, et de l'insensibilité qu'on prêtait au chef des Services. »

Plus tard encore, il y avait eu un bâtiment anonyme qu'elle ne connaissait pas, d'une administration contrôlée par les Services, les examens médicaux, les interminables débriefings, dont certains étaient assurés par Sterne himself.

Et puis, un soir de froid et de brume, on l'avait fait monter dans un gros 4 × 4 noir aux vitres fumées. À l'arrière, Sterne était assis. Un chauffeur massif conduisait en silence. Elle regardait les cheveux ras sur le bourrelet de sa nuque. Un autre homme, non moins massif et silencieux, occupait le siège passager.

Ils avaient franchi l'isthme par la quatre-voies, traversé les interminables faubourgs de la nouvelle ville. Sterne n'ouvrait pas la bouche. D'abord elle n'avait pas osé rompre le silence. Et puis elle s'était décidée à demander où ils allaient.

Sterne avait déclaré qu'elle était une héroïne. L'opération à laquelle elle avait participé s'était soldée par un succès complet. Tous les objectifs avaient été atteints. Et tout cela en grande partie grâce à elle. Le Guide avait eu l'attention attirée par son travail. Sterne précisait qu'il l'avait lui-même chaudement recommandée. Lorsqu'elle avait été enlevée, le Grand Leader avait personnellement suivi l'évolution de la situation, et avait insisté pour qu'on fasse tout le nécessaire pour la récupérer. À présent, il désirait la voir. Peut-être aurait-il de nouvelles missions à lui confier.

Elle n'avait pas demandé pourquoi, si c'était bien le Maréchal qu'on allait voir, on s'éloignait du cœur de la capitale. Où allait-on ? Le palais présidentiel se situait dans la vieille ville, et pas très loin le gigantesque bunker que le Guide s'était fait bâtir en rasant tout un quartier historique, et qui tenait à la fois, disait-on, de la résidence luxueuse et de la base militaire. Le Maréchal se trouvait-il dans une des nombreuses casernes construites non loin de la racine de l'isthme ? Ou à l'extérieur de l'agglomération ?

La vieille ne gardait de ce voyage qu'un souvenir confus. Ce dont elle se souvenait parfaitement, c'est de son angoisse, qui, une fois franchi l'isthme, n'avait plus cessé. Elle s'était mise à trembler, d'épuisement, de peur, et aussi parce que les semaines passées semblaient avoir détruit en elle toute stabilité, toute fermeté intérieure. Le vent entrait en elle, franchissant la mince pellicule de sa peau. Héroïne mon cul, se répétait-elle, comme pour trouver son équilibre dans la grossièreté. Maréchal mon cul. Une fois sa mission accomplie, elle était devenue, comme tant d'autres, inutile. Et puis, elle avait commis la maladresse de se laisser prendre. Elle allait finir étouffée dans un sac en plastique, après quoi son corps se dissoudrait au fond d'une fosse remplie de chaux vive, dans le sous-sol d'un baraquement militaire.

À nouveau elle s'adressait à cet interlocuteur invisible que je finissais par imaginer présent dans la maison, impalpable, flottant dans l'atmosphère que rendaient brumeuse les innombrables cigarettes de la vieille.

Mais non, n'est-ce pas, ça n'était pas possible, on n'allait pas la supprimer comme ça, puisque depuis toujours je veillais sur elle, puisque mon regard protecteur ne la quittait pas une seconde, moi, enfin je veux dire celui à qui elle s'adressait à travers moi et dont je m'imaginais parfois que l'esprit avait fini par élire domicile en moi. Ainsi devenais-je, durant quelques minutes fiévreuses, le père de la très vieille femme dont j'écoutais depuis des semaines le monologue.

On pouvait supposer, par exemple, qu'il s'agissait réellement d'aller voir le Maréchal, mais ceci afin d'introduire un agent des Services, et pas n'importe lequel, dans l'intimité du vieux despote, pour tenter de mieux le contrôler.

Pourtant, disait la vieille, assise dans ce véhicule funèbre, aux côtés de Sterne silencieux, qui n'avait jamais tant ressemblé à un mauvais ange que gagnerait la lassitude du Mal, j'avais cessé d'être habitée par la certitude de ta présence. La foi m'abandonnait. Par moments, déjà, je l'avais sentie faiblir, j'avais douté de ce récit des origines que je m'étais construit, je l'avais attribué à un reste persistant de faiblesse, au besoin de me reposer sur quelque chose dans ce monde où l'on marchait dans la cendre et la fumée. Là encore, il me fallait bien admettre que j'étais très loin de la perfection. Pour être digne de toi, disait la vieille, et sa voix avait repris la distance ironique des débuts de nos conversations, pour être digne de toi, il fallait renoncer à croire en toi. Est-ce parce que je n'en avais pas été capable que je me retrouvais dans cette voiture ? Est-ce qu'en abandonnant cette seule croyance qui avait survécu depuis mon adolescence, j'aurais mieux mérité de toi ? Est-ce par ton inexistence que se déployait toute ta puissance ?

Ces infinies ratiocinations de la vieille sur les significations possibles de ce qu'on lui avait fait accomplir m'apparaissaient tantôt comme la marque d'une forme de dégénérescence paranoïaque, tantôt comme la preuve de son extrême lucidité.

Les spéculations métaphysiques, disait-elle, ne l'empêchaient pas de sentir le froid qui gagnait la moelle de ses os. Elle se raccrochait à l'espoir que Sterne la conduisait vraiment vers le Maréchal, bien que la vraisemblance de cette présentation lui parût de plus en plus faible. Elle s'en bricolait une autre : et si c'était moi, moi le grand dragon, le chef infiniment redoutable des puissances occultes, qui faisais venir à moi, enfin, une fois accomplies les épreuves initiatiques, sa fille si longuement espérée ? Allait-elle, d'ici quelques minutes, se trouver devant ma face enfin révélée ?

Elle s'encourageait à croire que la voiture funèbre l'arracherait doucement à la ville interminable, à ses millions de masques sans repos, pour la conduire là où on l'attendait depuis le début, dans la maison calme entre les arbres où il ferait bon dormir, enfin.

Ce dont elle se souvenait aussi, c'est que pas une seule fois Sterne ne l'avait regardée. Pas une seule fois il n'avait tourné vers elle son visage dont elle n'apercevait, découpé contre la vitre fumée du 4 × 4, que le profil à la fois austère et banal. On suivait la nationale 1, qui n'en finissait pas de traverser les banlieues. On ne voyait presque rien du dehors, sinon les lumières des phares et des panneaux lumineux, qui se diffractaient comme celles des étoiles dans la soupe gazeuse d'une nébuleuse lointaine. Elle se souvenait qu'elle essayait de ne plus penser à ce qu'elle avait vécu à Tyrsa, mais qu'elle n'y parvenait pas.

L'entrée des enfers, ç'avait été un des faubourgs sordides de Tyrsa où elle avait le tort de trop aimer fouiner. Ce n'est pas gratuitement qu'elle parcourait Tyrsa la nuit, comme avait pu le laisser supposer son récit des jours précédents. Ses promenades n'étaient souvent que des incursions en dehors du chemin qui la conduisait à ses rendez-vous avec Arslan. Arslan était un authentique Balkar, d'une tribu puissante et respectée. Il avait gagné ses galons de terroriste et était devenu un des cadres du mouvement indépendantiste. Par ailleurs, il travaillait depuis longtemps pour les Services. La vieille disait qu'elle passait par son intermédiaire des informations destinées aux forces indépendantistes, de manière à ce que le programme prévu à Tyrsa se déroule le mieux possible.

Ils ne se voyaient jamais au même endroit : tantôt dans une sorte de marché aux puces où l'on vendait aussi bien des pièces de voiture que des savates ressemelées, tantôt dans un cinéma sordide qui passait des films périmés, tantôt dans des chambres d'hôtel aux réceptionnistes peu regardants.

Un matin, l'information était arrivée, par l'intermédiaire d'un des gamins qu'Arslan utilisait habituellement comme messagers, et qui ne pouvaient rien comprendre à ses mots codés, d'un rendez-vous le soir dans un appartement situé dans un quartier où les non-Balkars ne s'aventuraient guère.

Après avoir quitté les avenues éclairées, elle s'était enfoncée, avec le même sentiment de danger et la même jouissance profonde, dans les rues de terre battue dont la plupart n'avaient même pas de nom. Aux immeubles de trois ou quatre étages au béton pisseux, d'où jaillissaient, semblables à des fourches patibulaires, des barres de métal rouillé, s'accrochaient des constructions hasardeuses en tôle ou en terre, au seuil obscur desquelles des paquets de moutards se tenaient, comme une seule bête aux multiples appendices, qui vous happaient l'image au fond de leurs immenses yeux noirs où l'on ne savait pas quelle serait sa destinée. Souvent ils suivaient le passant en ânonnant en chœur, du même ton nasillard et plaintif, des demandes apprises. Ils abandonnaient vite leurs litanies pour lancer des cailloux et des insultes à faire rougir des chambrées de parachutistes, puis s'égaillaient dans l'espace sans forme qui les avait engendrés. Oui, disait la vieille, oui, cela aussi faisait partie du plaisir qu'il y avait à se faufiler dans ce tunnel obscur, cette angustia. Je ne savais pas encore que je me dirigeais vers un passage noir dont celle que j'étais alors ne sortirait plus jamais.

Ce n'était pas encore l'heure du couvre-feu, mais il n'y avait guère de lumière, dans ces quartiers. Il fallait s'y avancer ainsi que dans une forêt obscure où il arrive que l'on aperçoive de lointaines lueurs entre les arbres. Ces lueurs, c'étaient celles qui provenaient des quelques échoppes, un parquet de bois entre trois cloisons, grandes ouvertes sur la rue. On eût dit des espèces de boîtes théâtrales, dans lesquelles on donnait à contempler des petits groupes de personnages en costumes, accroupis, figés dans la représentation de l'accomplissement de tâches mystérieuses. C'étaient invariablement des hommes. Au passage de l'étranger, ils suspendaient leur colloque étouffé, levaient un visage fermé, comme si on les avait dérangés dans la célébration d'un rite sacrificiel. Parfois un mouchoir cachait le bas de leur visage, de même que les chirurgiens ou les bourreaux.

Dans les boucheries, les cadavres livides d'animaux décapités, pendus aux murs, se creusaient d'ombres au fond desquelles, comme appelées par une substance nourricière, accouraient s'agglutiner des myriades de mouches, pareilles à l'essaim des mauvais anges s'empressant de répondre à l'appel lancé par les hommes accroupis, recroquevillés sur leurs incantations inaudibles. Et les corps démembrés projetaient sur les cloisons de grandes ombres anamorphosées, qui suggéraient l'idée que c'était là leur forme véritable, la vieille âme animale qui les avait habités et, révélée par la mort, peinait encore à se détacher, cherchait le trou où se lover, étrange insecte saisi par la lumière.

Elle avait beau avoir couvert sa tête et ses épaules du voile qui revenait en force depuis quelques années, et plus encore dans les quartiers populaires, avoir passé une robe noire qui la couvrait jusqu'aux pieds, elle avait beau s'être quasi transformée en un de ces spectres sinistres qui se substituaient aux corps féminins, elle savait que cela ne suffisait encore pas, le fait d'être seule la désignait aux mâles comme une femme à prendre, une salope. Elle savait aussi, elle les connaissait si bien, que se mélangeait dans leur esprit le désir de la posséder et la volonté de l'humilier, de lui faire mal pour la punir, les deux ne faisaient qu'un. Jamais ils ne sauraient ce qu'était l'amour, et, par conséquent, elle aussi était condamnée à ne pas le connaître, dans un monde où les hommes voulaient si fort qu'on leur déforme l'âme, jusqu'à l'infirmité. Et, dans la nuit, des ombres se détachaient des porches et des murs, s'approchaient d'elle pour lui souffler à l'oreille la formule de leurs désirs, ou de pesantes obscénités, et souvent, d'une voix égale et basse, ils l'insultaient, et elle se figurait errer dans des limbes, en proie aux taraudantes obsessions dans lesquelles se trouvaient enfermées pour l'éternité des âmes que torturait leur éloignement de la grâce.

Enfin, elle était arrivée à l'adresse indiquée, dans une rue plus large et plus éclairée, qui lui avait fait l'impression de déboucher dans une clairière après la traversée de la forêt profonde. Il y avait un marchand de vidéos et de disques qui faisait brailler ses mélopées, quelques jeunes désœuvrés qui riaient fort, des chiens. L'heure du couvre-feu ne tarderait plus. C'était un immeuble un peu moins pouilleux, genre années soixante, avec des balcons, et même un code. Elle était en train de le consulter, écrit au stylo au creux de sa main, quand trois hommes l'avaient entourée, fait monter dans une voiture. Personne n'avait bougé, changé d'activité, ni même paru s'apercevoir de ce qui se passait.

Ensuite, ç'avait été, pendant plusieurs jours, des voitures, des camions, au fond desquels on l'allongeait empaquetée de ces voiles qu'elle avait toujours haïs sur les autres femmes, jusqu'à cette cave sans lumière qui avait été son séjour pendant de longues semaines. C'est au fond de ce cocon noir que la larve s'était métamorphosée, disait la vieille en ricanant, en la magnifique vieille que tu vois, fille de tes œuvres.

Les militants balkars qui l'avaient enlevée la prenaient pour une simple journaliste des armées. Ils s'étaient contentés de la laisser dans l'obscurité absolue, sans jamais lui adresser la parole. À de rares occasions, on la sortait, yeux bandés, dans la pièce attenante, et elle entendait le déclic d'un appareil photo. Ses gardiens parlaient le balkar. On lui en avait appris des rudiments aux Services, pas assez pour comprendre autre chose que des banalités.

Ils ne l'avaient pas touchée, disait la vieille. Pas de mauvais traitements. Et puis, sans transition, il y avait eu la pendaison. Elle avait connu la certitude de la mort. Mais c'était pour les caméras, les négociations tardaient trop à leur gré. L'image, lui avait-on raconté, avait été vue sur quelques chaînes télévisées.

Sterne lui avait annoncé froidement qu'il allait falloir lui bander les yeux. Ainsi, dans le 4 × 4 funèbre qui traversait les longues banlieues de la capitale, disait la vieille yeux fermés, laissant s'étirer le long cordon de la fumée de sa cigarette, qui flottait presque immobile au-dessus d'elle, il me fallait revivre tout ce qui m'avait menée jusque dans les derniers cercles de l'enfer, au fond de l'oubli et de la déchéance, là où il n'y a plus d'homme ni de souvenir d'humanité. Et, les yeux toujours bandés, tandis qu'elle sentait qu'on la passait d'un véhicule à un autre, qu'on la guidait dans des corridors, elle voyait dans son obscurité s'avancer vers elle le spectre de la corde serrant le cou, écrasant la trachée, arrêtant la respiration.

Outre la confusion chronologique et les redites, outre celui à qui elle s'adressait comme si je n'avais jamais été là, ou comme si, sans que j'en eusse conscience, il eût habité mon enveloppe corporelle, la difficulté à démêler les discours de la vieille venait de ce qu'il lui arrivait, du moins je crois me le rappeler, de passer inopinément de la première à la troisième personne, de sorte que, dans certaines circonstances, je perdais le fil et ne savais plus de qui elle parlait. En tout cas ma mémoire, aussi intermittente à présent que la sienne, m'a restitué cela depuis peu, et je me demande parfois, lorsque j'entends résonner à travers les années disparues la voix de la vieille disant je, si elle a même, en réalité, jamais prononcé ce pronom.

Elle a dit avoir entendu le tintement d'une sonnette dans l'air chaud et lourd. Puis le silence. Puis le grincement d'une grille. Elle ne connaissait pas celui qui la guidait par le bras gauche, elle avait l'impression d'être passée de main en main en quelques heures. Son guide a échangé quelques mots à voix basse avec quelqu'un, une femme sans doute. Elle a senti sous ses pieds un terrain inégal, monté quelques marches. Une porte s'est ouverte. À l'intérieur, elle a senti une odeur à la fois familière et oubliée, encaustique, plats en sauce, vieux linge entreposé dans des armoires. On l'a fait asseoir, on lui a ôté son bandeau.

Elle s'est dit qu'elle avait bel et bien été pendue, et que tout ce qui avait suivi n'avait été que le voyage vers sa destination finale de l'âme encore ignorante de sa mort, encore engluée dans toutes les apparences de la vie. Pour elle, le nocher infernal avait revêtu des traits vus pendant son existence terrestre, ceux de Sterne, qui dissimulaient la face redoutable.

Un instant, elle s'est demandé si c'était cela, l'enfer. Elle se trouvait assise dans un salon au parquet impeccablement ciré. Des napperons de dentelle couvraient les fauteuils de tapisserie verte et le gros téléviseur posé sur un buffet façon rustique. La mort était une visite chez une tante ennuyeuse, par un après-midi éternel. Cette pensée lui a donné une légère nausée. Sterne était assis en face d'elle, l'air emprunté, visiblement encombré de ses deux mains agrippant les accoudoirs. Au-dessus d'eux, une suspension indescriptible se perdait dans ses propres entrelacs de cristal. On s'attendait à voir un chat se glisser dans l'entrebâillement de la porte.

On a entendu, quelque part dans les espaces inconnus du lieu, des pas lourds, des gémissements de boiseries accueillant douloureusement le poids d'un corps excessif, et qui auraient pu tout aussi bien être les grincements de dents des damnés dans la géhenne. Elle avait éprouvé une terreur panique de ce qui allait pénétrer là, dans cette pièce où s'incarnait, dans sa forme apparemment la plus inoffensive, la plus inerte, le temps défunt, la vie perdue, le désespoir.

Il s'est encadré, immense, dans le chambranle de la porte qui figurait le cadre de son portrait en pied. Il s'y est arrêté un instant, comme s'il avait conscience que l'éternité le retenait là, l'installait pour l'inimaginable regard des générations futures. On sentait l'homme en proie à des accès d'éternité, comme d'autres sont travaillés par de vieilles maladies tropicales. L'éternité ne prévenait pas. Elle le saisissait, dans son encadrement de bois vert foncé, en robe de chambre grenat, ceinture à glands, pyjama de soie noire et charentaises brunes. Même dans ce négligé, il ne pouvait faire autrement que figurer le négligé, représenter à la face du ciel la plus intimidante des intimités.

Au-dessus de ce grand enveloppement d'étoffes, la calvitie était exorbitante, d'une nudité obscène. Tant de crâne faisait presque sembler négligeables les détails pourtant eux-mêmes hypertrophiés de la mâchoire, de la bouche, des yeux ou des arcades sourcilières de pithécanthrope.

La vieille cherchait ses mots, pour tenter de décrire l'effet de l'apparition. Elle a dit, si je m'en souviens bien, qu'il lui semblait assister à une monstrueuse naissance, à un accouchement qui n'aurait pas de fin. Ce crâne énorme et chauve n'en finissait pas de déchirer le ventre rouge dont il tentait de sortir, comme si celui qui se tenait là, encadré par la porte, n'avait jamais fait autre chose que s'engendrer lui-même, ou engendrer sa mort. Sterne et elle s'étaient mis debout, comme on se met debout pour l'élévation ou l'inhumation.

À peine cette parturition se fût-elle avancée dans la pièce, en boitant un peu, que Sterne se jeta en avant, inclina sa carcasse maigre pour lui baiser la main. Enfin, je ne sais pas si la vieille s'est exactement exprimée en ces termes, baiser la main d'une parturition, c'est une image un peu acrobatique.

Bref, la parturition, c'est le Maréchal en personne, dont un des fauteuils a accueilli la masse, et puis une femme d'un certain âge est venue silencieusement servir le thé et les madeleines. Personne n'a rien dit pendant un long moment. On entendait seulement le sifflement discret des bouches aspirant le liquide chaud. Enfin, le Maréchal a émis un commentaire sur l'état de l'atmosphère. La vieille se souvenait qu'il déplorait l'excès d'humidité. Sterne a respectueusement approuvé.

L'être qui se tenait dans la pièce ressemblait bien à celui qui, quelques mois auparavant, avait décoré la vieille dans une cour de caserne, mais comme un reflet éloigné, comme le portrait de quelqu'un à un autre âge de sa vie. Il était, disait la vieille, tout aussi massif, tout aussi éloigné des proportions des individus ordinaires, pourtant il semblait moins informe, moins brutalement matériel. Il présentait cette indéfinissable déréalisation qui est la marque de certaines gens très âgées, que les années rendent comme translucides. Et, si elle ne parvenait pas à accorder ce souvenir et cette présence, elle ne savait pas non plus comment faire tenir ensemble cette espèce d'effacement des contours et cette naissance obscène d'un crâne dans l'encolure sanglante d'une robe de chambre.

La vieille m'a dit bien des choses surprenantes, mais la suite de son récit m'a laissé plus perplexe encore que le reste. Je m'étais habitué à son cynisme, à son apparente incapacité à envisager quiconque autrement que comme l'objet d'un affrontement. Mais ses relations avec le Maréchal avaient pris, avec le temps, une tournure très particulière.

Elle avait rencontré le Maréchal, et elle n'était pas morte. Elle n'avait jamais vraiment tout à fait compris pour quelles raisons elle n'avait pas été exécutée par les Services, pourquoi elle s'était trouvée, dans ce salon hors du temps, à boire du thé avec un grand vieillard en robe de chambre. Peut-être Sterne avait-il pensé qu'il pourrait l'utiliser pour tenter de contrôler le Maréchal. Peut-être était-elle, sans le savoir, un des derniers éléments sûrs dans une décomposition des Services qu'elle ignorait, tant les départements restaient étanches entre eux, et par conséquent demeurait-elle l'une des dernières possibilités, pour le Maréchal, de garder la main sur un système dont il se rendait compte qu'il avait fini par lui échapper. Toujours est-il que Sterne l'avait présentée comme l'un de ses meilleurs agents, avant de passer à un point plus délicat, qu'il n'avait pas osé aborder d'emblée.

C'est le simulacre d'exécution qui lui avait donné l'idée. D'une certaine manière, c'était une aubaine. On avait fait en sorte que personne ne soit au courant de sa libération. L'annonce de sa mort n'avait pas été démentie par les groupes de la résistance balkare. Pour tout le monde, depuis, elle était morte. La vieille ajoutait qu'elle ne s'était pas trompée tout à fait en pensant que la voiture noire de Sterne la conduisait au royaume des morts. Les Services avaient décidé pour elle qu'elle n'existait plus dans le monde des vivants.

Morte, elle pouvait être transférée dans un autre département des Services, un département fantôme dont presque personne ne connaissait l'existence, et qui était chargé de gérer les résidences secrètes du Guide. Elle ferait ainsi partie des très rares personnes de confiance qui assuraient le lien entre ces résidences et le monde extérieur. On changerait son apparence, la couleur de ses cheveux, on lui fournirait de faux papiers. La seule condition était qu'elle soit agréée par le Maréchal.

Elle l'avait été, dès leur première rencontre. Elle était revenue. D'abord avec le même luxe de précautions, le bandeau, les changements de véhicule, et puis seule, tout en faisant le nécessaire pour brouiller les pistes.

Le Maréchal, disait la vieille, appréciait sa compagnie. Il avait demandé à la recevoir seul à seul, en dehors de la présence de Sterne. Au début, ils parlaient peu. Le Vieux paraissait sujet à de longues absences, qui ressemblaient à de profondes méditations, mais n'étaient peut-être que les vides où sombrait périodiquement un esprit en voie de décomposition. Elle se demandait si elle était en face d'un génie en pleine possession de ses moyens, ou d'un grand vieillard assiégé par la sénilité. Mais, progressivement, il avait parlé.

Les fonctions de la vieille, d'après elle, n'étaient pas au début absolument nulles, elle rencontrait Sterne dans des lieux discrets et lui transmettait certains messages chiffrés. Car Sterne devait le moins possible se montrer dans les retraites du Maréchal. Mais, avec le temps, elle était devenue la confidente du Vieux, qui s'était apparemment pris d'affection pour elle, jusqu'à exiger qu'on lui installe une chambre à côté de la sienne, au premier étage du pavillon, et à l'empêcher le plus possible de sortir. Au bout de quelques semaines, elle avait vécu dans une semi-séquestration. La femme transparente qui occupait une chambre au rez-de-chaussée, et dont on n'entendait quasiment pas la voix, s'occupait des provisions et des repas.

Je sais que ça ne te plaît pas, avait dit la vieille. Tu penses que je suis en partie responsable de ton échec. Oui, tu as échoué, toi qui prévois tout, toi que personne n'a jamais pu tromper très longtemps. Et il est possible que tu aies raison. Que veux-tu, il fallait bien que je prenne une petite revanche sur ton absence obstinée, que je te débusque, toi, le maître des marionnettes, afin de te faire sentir à ton tour la ficelle.

Ta gueule, avait dit la vieille, ta gueule, et pourtant je ne disais rien, je l'écoutais. Elle regardait, comme d'habitude, à travers moi. Pas la peine de me regarder avec tes yeux de poisson mort, tu ne peux pas me faire peur. Tu essaies de l'ouvrir, pas vrai, tu voudrais bien, je vois remuer tes mâchoires décharnées, rouler tes yeux blancs, mais c'est moi qui parle ici. D'ailleurs je sais ce que tu dirais, je connais le baratin psychologique à deux balles, le besoin de paternité, ou alors le besoin de maternité, et tout le tremblement.

Écoute-moi. Ce vieillard, cet odieux et sanglant vieillard, le Maréchal, qui ne ressemblait plus qu'à l'interminable gésine d'un crâne, j'ai éprouvé pour lui une espèce de compassion. Pourquoi pour lui, hein ? Tu ne le comprends pas, ça, toi que ce sentiment n'a jamais dû visiter. Alors écoute. Lorsqu'un homme est devenu aussi universel que lui, il prend douloureusement conscience de la distance infime, mais infranchissable, qui le sépare de l'absolu. Et cette petite distance contient toute la souffrance du monde. Plus profonde, plus consciente, plus transparente à elle-même que la souffrance du premier miséreux venu. À ma façon, j'ai aimé ce monstre. Et sans doute, je ne le nie pas, l'ai-je aussi aimé pour te faire chier.

Au bout de quelques semaines, une nuit, disait la vieille, j'ai été réveillée par le grincement de la porte de ma chambre qui s'ouvrait, et un faible rayon de lumière est entré, je l'ai senti, pour être restée longtemps dans le noir absolu je perçois la moindre variation lumineuse. Je ne l'ai pas entendu, lui, et je me demande par quels prodiges de discrétion il a pu avancer sur le parquet de la chambre sa masse considérable. J'ai senti sa présence. En écoutant attentivement, je pouvais entendre son souffle. Je n'ai pas ouvert les yeux, j'ai attendu, terrorisée, ce qui allait se passer.

Il ne s'est rien passé. Il est revenu, d'autres nuits. Il ne faisait rien, il restait debout, quelque part entre la porte et mon lit, sans bouger, et puis il repartait. Je me suis dit que peut-être il était déjà venu me visiter bien des fois, sans me réveiller. Je ne sais pas ce qu'il voulait. Jamais je n'ai ouvert les yeux, sans pouvoir vraiment me l'expliquer. Il me semblait qu'il ne fallait pas, comme quand j'étais petite fille et que je faisais semblant de dormir quand tu entrais dans ma chambre, pour mieux savourer ta présence silencieuse. Mais j'ai ouvert les paupières, finalement, et je t'ai vu. Lui, la nuit, je ne l'ai jamais regardé, j'ai senti qu'il fallait préserver sa figure nocturne. Tu sais pourquoi, toi qui sais tout ? Pas moi. Mais c'est ainsi.

La vieille racontait ce que le Maréchal lui avait raconté, durant ces mois confinés dans cette maison qui sentait la camomille, l'encaustique et la soupe aux poireaux. Il disait que celui qu'elle avait vu jadis, dans la cour d'honneur de la vieille forteresse, n'était pas le vrai Maréchal. Depuis longtemps, il lui arrivait de se retirer pour quelque temps, par prudence ou par lassitude, et de se laisser représenter par un sosie. Mais cette fois, une opération importante était en cours, qui exigeait les plus grandes précautions. C'était un coup de poker. Il avait donc décidé de se mettre à l'écart plus longuement que d'habitude.

Jusqu'à présent, les choses se passaient plutôt bien, le sosie était intelligent et fidèle, il exécutait les ordres et donnait les informations. Pourtant, récemment, il avait donné des signes inquiétants d'indépendance. Il prenait des initiatives, se permettait des cachotteries. Plus alarmant encore, l'homme de confiance chargé de le suivre pas à pas, de lui transmettre les ordres, de retourner les renseignements et de verser le curare dans son tilleul-menthe en cas de problème paraissait fléchir. On le sentait faux, mal à l'aise, embarrassé et même équivoque dans ses formulations. Peut-être faudrait-il un jour se résoudre à mettre de l'ordre dans tout cela. Peut-être, avait ajouté le Maréchal, en attachant tout à coup sur elle ses gros yeux brûlants, et la vieille disait qu'elle se souvenait encore de ce regard, comme s'il déposait sur sa peau une matière visqueuse et irritante, peut-être faudrait-il en venir à des extrémités, pour lesquelles l'expérience d'un agent de sa qualité pourrait se révéler nécessaire. Mais wait and see. Les opérations en cours se déroulaient comme prévu. Les Services contrôlaient la situation. Et le Guide, depuis sa retraite, avait la main sur le colonel Gris et les Services. On ne demandait à la marionnette que de donner le spectacle au bon peuple.

Pendant des heures, le Maréchal ressassait les plans qui devaient lui rendre la totalité du pouvoir.

Ce pouvoir, les rébellions indépendantistes, les idéologues de l'ALN et les manigances des jeunes officiers le menaçaient depuis des années, ce n'est pas ce qui le gênait le plus. Mais il lui avait été subrepticement confisqué par Son Gendre, son fils Sacha et tout le clan de parasites et d'intrigants qui gravitaient autour de sa femme. C'est elle qu'il rendait responsable de son effacement progressif, et des innombrables inaugurations auxquelles on avait voulu le confiner : sa seconde femme, Asia, qu'il avait épousée alors qu'il était encore lieutenant dans les troupes coloniales.

Asia sortait des bas-fonds de la capitale, bien décidée à utiliser tout ce qu'elle avait pour s'en sortir. Un lieutenant des troupes coloniales, pourquoi pas, l'armée était un métier d'avenir. La seule chose qui lui importait, il s'en était aperçu ensuite, c'était la survie, mais il ne voyait que sa beauté. Son appétit même séduisait, cette puissance dévoratrice qui brillait dans son regard et qui ressemblait à de l'esprit. Elle avait dix-neuf ans, elle était sublime, elle l'avait séduit, il avait répudié sa première femme, la mère de son premier fils, César.

La vieille disait que le Maréchal lui disait que c'est Asia qui l'avait entraîné à suivre une idée autour de laquelle il tournait, celle de déserter et de rejoindre les indépendantistes. À ce moment, la situation avait déjà commencé à se dégrader sérieusement pour les colonisateurs, de grandes parties du territoire leur échappaient, c'était le bon moment pour changer de camp, un peu plus et il risquait d'être trop tard. En face, on ne manquerait pas de donner rapidement du galon à un officier transfuge. C'est Asia qui l'avait poussé, par la suite, à prendre les grandes décisions qui avaient décidé de sa carrière. La morale ne l'embarrassait pas, disait le Maréchal. Seul l'objectif comptait.

Il devait tout au Bon Docteur Gobronski, au Père de l'Indépendance : sa progression rapide dans la hiérarchie militaire, sa nomination à la tête de la Garde présidentielle. Le Bon Docteur l'intimidait un peu, avec sa culture, son charisme, son allure de vieux sage, ses années passées sans fléchir dans les prisons coloniales. Même sa fragilité l'impressionnait. Mais Asia n'était pas impressionnée du tout. Il paraissait si facile d'aller plus loin que le simple poste de commandant de la garde. Et c'est ainsi que l'interdit avait été franchi, et que la junte avait renversé le Bon Docteur.

La vieille disait que le Maréchal lui avait raconté la fin de son protecteur et ami sans cesser de la fixer de ses énormes yeux avides, le Président blessé dans l'assaut de son palais reposant sur une civière, sa chemise ensanglantée, et les soldats factieux de sa propre garde, restant, intimidés, à distance respectueuse du petit homme silencieux qui les fixait, sans oser aller plus loin.

Lui, le Maréchal, qui n'était encore que général trois étoiles, s'était avancé vers celui qu'il avait trahi. Il avait hésité un instant, une fois franchi le cercle des soldats, tandis que le Docteur le dévorait des mêmes yeux incandescents dont le Maréchal me dévorait au même moment, disait la vieille.

Il avait hésité, et puis s'était penché sur le corps maigre de celui qu'il appelait « Père ». Il avait arrangé les cheveux du blessé, passé un mouchoir sur son front couvert de sueur, sans croiser son regard. Il avait tiré de son étui le Smith et Wesson 29 dont il ne se séparait jamais, et c'est ainsi que le Bon Docteur avait été malencontreusement abattu par une balle perdue en tentant de résister aux forces de la révolution.

Quelques mois plus tard, Asia était revenue à la charge. Alors comme ça, il avait fait tout le boulot, et on ne lui accordait, au sein de la junte, qu'un strapontin de ministre de la Défense ? Autant finir ce qu'il avait commencé, virer ces nuls et prendre les choses en main. Ça tombait bien, avait ajouté le Souverain Berger, j'avais la même idée en tête.

Mais une fois devenu le Guide, le Chef suprême de la révolution, et tout le bazar, qu'est-ce que je pouvais devenir de plus ? Asia ne savait plus quoi faire. Elle tournait en rond dans nos palais. Elle martyrisait nos domestiques, se livrait à des prodigalités délirantes, plomberie en or massif, résidences dans les coins les plus chers du monde, elle poussait à des limogeages, des exécutions sans causes précises, des promotions fantaisistes, mais ça ne suffisait pas, la faim la dévorait. Et moi, disait le Maréchal, moi, ce pouvoir pour la conquête duquel elle m'avait aveuglément soutenu, je commençais à comprendre qu'elle le mettait en danger.

Elle a commencé à voir partout des menaces, des rivalités. C'est elle, j'en suis à peu près sûr, qui a fait disparaître ma première femme. On n'a jamais su ce qu'elle était devenue. J'ai tenté de faire quelque chose de Victor, que je n'avais pratiquement plus vu depuis des années. Le pauvre a toujours été bien incapable de comprendre quoi que ce soit à la politique. Elle s'est mise, en retour, à tenter de me mettre ses enfants dans les pattes. Elle a marié notre fille, Candida, avec ce gros balourd de Kobal, convaincue qu'elle allait pouvoir le manipuler. Ce qui n'a pas manqué. Elle a tout fait pour que Kobal devienne pour Sacha une espèce d'oncle protecteur, qui lui a distribué les grades et les postes. Je me demande même si elle n'est pas allée jusqu'à coucher avec cet imbécile.

Il faut dire, disait le Maréchal, que mes maîtresses n'ont pas arrangé les choses. Elle me les aurait pardonnées, à la rigueur, mais certaines sont devenues un peu trop présentes. Je crois, là aussi, qu'Asia est responsable, avec Kobal, de quelques manipulations qui m'ont un peu embrouillé, et m'ont laissé supposer qu'elles représentaient un danger pour moi.

Je me suis lassé de cette Lady Macbeth. Elle finissait par croire qu'elle m'avait fait, et qu'elle pouvait me défaire à son gré. Elle était convaincue qu'elle me connaissait. Elle ne me connaissait pas. Je lui ai laissé un palais et sa petite cour, nous ne nous sommes plus vus que pour les photos et les inaugurations. Elle ne s'est même pas aperçue que ce n'était plus avec moi qu'elle visitait les chantiers et les hôpitaux, de toute façon elle avait depuis longtemps décidé de ne plus poser les yeux sur moi. Et l'on nous voit encore, sur les affiches et les écrans, main dans la main. Dans son tailleur blanc, convenablement maquillée, il faut reconnaître qu'elle arrive à faire encore de l'effet.

J'ai compris, disait la vieille, que le Maréchal t'avait fabriqué, toi et les Services, comme le recours, le joker absolu. À moins qu'il ne se soit figuré te fabriquer.