Ses lèvres glissèrent sur son épaule, caressèrent ses seins nus, se posèrent sur l'aréole en la frôlant à peine, descendirent le long de son flanc puis sur son ventre pour finir exactement là où elle était vulnérable.
Ce baiser lui donna une envie d'amour si violente, si immédiate qu'elle crut n'en avoir jamais éprouvé de plus forte ; elle ressentit alors tout le poids de son corps sur son corps, sa bouche sur sa bouche et sa dans sa. Ça dansait dans sa tête. Elle se donna davantage pour mieux le posséder. Elle allait jouir, pleurait, criait, quand elle se réveilla...
Elle eut du mal à reconnaître la chambre autour d'elle. Ce ronflement dans l'ombre pourtant trahissait la présence de Laurent. Elle se leva sans allumer la lampe de chevet et se rendit à tâtons dans la salle de bains. Elle avait soif. Elle but à même le robinet de longues goulées glacées qui lui firent du bien, puis elle se passa de l'eau sur la figure pour éteindre ce feu qui la brûlait.
Par la fenêtre, dont les volets restaient toujours ouverts, prisonniers de la vigne vierge, venait une clarté irréelle. Elle aperçut l'étang d'un gris brillant sous la pluie ; et les parcs à huîtres comme une trame graphiteuse.
Anéantie par le simulacre de plaisir qu'elle avait pris, elle s'assit sur le rebord de la baignoire. L'étang à perte de vue, le temps d'une vie qu'elle avait voulue en sachant d'avance qu'elle serait monotone, confortable et sans histoires, d'où surgissait le fantôme de cet homme qui lui faisait l'amour la nuit dans son sommeil. Depuis combien d'années n'avait-elle pas fait l'amour ainsi, avec cette intensité ?
Le désir montait de son corps avec une exigence vertigineuse ; de son cœur dans un cri et elle appela cet amour inconnu ; il fit tout à coup en elle terriblement beau. Elle eut peur.
Elle avait épousé Laurent parce qu'il le lui avait demandé. Elle le connaissait depuis un certain temps ; elle avait alors plus de trente ans.
Elle trouva en Laurent un ami. Il sut la distraire et presque la consoler. Il venait la voir souvent, l'invitait à dîner de sorte qu'elle s'habitua bientôt à considérer comme un droit inaliénable cet amour qu'elle faisait semblant de prendre pour de l'amitié.
Abandonnée par Jeff à ses propres ressources, enceinte, il lui arriva de manquer d'énergie pour vivre, travailler, se prendre en charge.
Lorsqu'elle accoucha, Laurent l'entoura mieux qu'un mari ne l'eût fait ; quand il lui demanda sa main, elle fut heureuse et fort embarrassée. Il lui déclara qu'il avait le temps, qu'il saurait attendre qu'elle l'aimât si elle devait l'aimer un jour ou se contenterait de son amitié si d'autres sentiments ne pouvaient naître en elle. Elle l'avait cru, sûre d'être tombée sur un de ces êtres supérieurs capables d'aimer sans exiger d'être payés de retour et de donner sans calcul. Bien qu'elle n'éprouvât pas pour son mari de passion, elle se résigna et se rangea à sa nouvelle existence à laquelle elle finit par prendre goût.
Jamais en dix ans elle ne donna à Laurent d'occasion d'être jaloux. Elle était si touchée par sa sollicitude qu'elle fut toujours pour lui d'une gentillesse attentive qui devait suppléer l'amour qu'elle n'éprouvait pas.
Elle ne sortit plus de ce rôle et la passion qui l'avait liée à Jeff n'était plus pour elle qu'un souvenir meurtri qu'elle évitait d'évoquer.
Il n'était pas vrai qu'elle préférât Laure à Sabine ; ses deux filles étaient les siennes et quand bien même eussent-elles été ramassées dans la rue, Zelda les eût aimées toutes les deux avec la même tendresse, la même égalité. Seul le préjugé fait attacher de l'importance à la paternité des enfants ; une vraie mère ne s'en soucie guère, puisque le sentiment maternel prend chez elle le pas sur tout le reste. Zelda faisait partie de ces femmes dont la générosité se manifeste par une compassion pour tout ce qui est faible, petit, dépendant. Cette forme de tendresse comblait Laure et Sabine.
Elle souleva sa chemise de nuit et regarda dans le miroir son ventre. Malgré deux accouchements, la peau restait lisse. N'était un soupçon d'embonpoint auquel elle s'était habituée parce qu'il la rajeunissait, la naissance de ses filles n'avait pas fait d'elle une autre femme. Elle se mit nue ; alors ses rondeurs lui parurent désirables.
Elle écarta les cuisses et passa sa main sur ses poils humides ; elle porta ses doigts à ses narines. L'odeur lui donna envie d'amour. De l'autre main, elle se caressait le sein dont le mamelon dressé était dur comme du fer. Le désir devenait impérieux.
Abandonnant sa chemise de nuit par terre, elle rentra dans la chambre. Dans la pénombre, elle localisa le corps de Laurent étendu sur le lit. Se plaçant à califourchon sur le visage de son mari, elle se frotta sur son nez et penchée en avant se mit à lui lécher le sexe. Il banda aussitôt mais faisait semblant de dormir en enfouissant son visage entre ses cuisses qu'elle serrait. Elle se dégagea et s'assit sur sa verge qui la pénétra avec le plaisir d'une déchirure. Une pâle lueur tombait de la fenêtre. Elle jouit bientôt avec un abandon immense.
Sans un mot, ils se rendormirent imbriqués l'un dans l'autre, comme deux pièces d'un puzzle.