Il fallait qu'il parlât à Zelda. L'occasion se présenta alors qu'elle était au jardin occupée à tailler les buis. Ils formaient des boules d'un vert sombre sur lesquelles les jeunes pousses mettaient des confettis de vert naissant. Durieu ne sembla pas étonné de voir Zelda maquillée ; il avait pris l'habitude qu'elle fût fardée en toutes circonstances depuis que le peintre était arrivé.
– Il faut les tailler, dit-elle sans même lui dire bonjour, avant que les branches se lignifient, pour que ces buis s'étoffent. Sinon ce ne seront jamais des boules compactes comme je les veux ! Connais-tu la villa d'Este à Tivoli ? Il y a les plus beaux et les plus vieux buis du monde, non que je prétende comparer mon modeste jardin à un chef-d'œuvre centenaire, mais enfin, j'aimerais que dans trente ans, il y ait ici de beaux buis.
– Ton jardin est magnifique parce que tu es là, que tu t'en occupes chaque jour et qu'il t'accroche à l'avenir. Il a besoin de tous tes soins. Si tu l'abandonnais, que deviendrait-il ? La nature reprendrait ses droits et bien que dans ton jardin en mouvement tu suives le flux naturel des végétaux, tu dois rester là pour l'orienter... ça pousserait dans tous les sens... tu te souviens de chez moi ?
Elle lui parut pensive.
– C'est toute ta vie, ton jardin, tes enfants, Laurent, Laugaran !
Elle se taisait. Durieu ne savait comment parler du peintre. Il allait le présenter comme quelqu'un qui détruirait sa vie, tout ce qu'elle avait construit jusqu'à aujourd'hui et dont elle l'avait entretenu avec tant de sagesse, mais il songea à temps que c'était s'y prendre avec maladresse et trop ouvertement.
Zelda continuait de faire marcher ses grandes cisailles et les petites feuilles vertes volaient dans l'herbe en répandant une odeur balsamique.
– Où est Marco ? lui demanda-t-il tout à trac.
– Je ne sais pas... Il doit faire des croquis sur la terrasse pour Laure et Sabine.
– Pour Laure et Sabine ?... Eh bien...
– Eh bien, quoi ?
Cette allusion aux petites filles excita la jalousie de Durieu.
– Je voudrais que ce type ne soit jamais venu ici !
– Pourquoi ? lança-t-elle avec vivacité ; c'est un garçon qui a beaucoup de talent.
Elle s'interrogea tout à coup. Durieu savait-il quelque chose ?
– Je ne sais pas... je me méfierais par simple prudence !
– Tu délires... Il n'a que de bons sentiments.
– Il me déplaît !
– Tu es jaloux, Vincent ! Seule la jalousie peut te pousser à tenir de tels propos. Tu t'en prends à ce garçon sans le connaître. C'est un vrai artiste !
Cette insistance à trouver des qualités au peintre déplaisait à Durieu. Alors, ses sentiments profonds débordèrent ; il répondit d'une voix qu'il voulait ferme :
– Tu sais que je t'aime ! Je ne veux pas te faire de peine mais je t'en prie, par générosité envers un homme qui t'aime et que tu as épousé, tu devrais être prudente. Laurent ne se doute de rien, mais ne provoque pas sa jalousie, il ne le mérite pas.
– Qui es-tu pour me faire la morale ?
L'allusion que Durieu avait faite à son propre amour diminua un peu la colère provoquée par son intervention ; cependant Zelda lui en voulait de chercher à lui donner mauvaise conscience, d'autant plus qu'elle se demandait s'il n'avait pas raison.
– Je me suis immiscé dans une affaire qui ne me concerne pas, je l'ai fait au nom de notre amitié ! Si tu ne veux pas m'écouter, je m'en irai... je rentrerai à Paris !
Zelda, dans son for intérieur et malgré sa colère, respectait Durieu pour l'amour qu'il avait encore mieux exprimé par son ton de voix que par ses paroles ; aussi murmura-t-elle quelques mots, un vœu pour qu'il restât.
– Laisse-moi être ton ami... parle-moi, je suis prêt à tout entendre !... et à t'aider !
Soudain Zelda se jeta dans ses bras en pleurant.
– Oh, Vincent !... Que vais-je faire ?
– Quitte-le au plus vite, avant qu'il soit trop tard !
Les graviers se mirent à craquer sous les pneus de la Range Rover qui manœuvrait dans la cour ; l'arrivée de Laurent les sépara.