L’expression de Tomás se figea. Certes, une personnalité aussi exposée que le chef de l’Église court toujours un risque, il suffisait de se rappeler les rumeurs au sujet des étranges circonstances de la mort de Jean-Paul Ier ou les divers attentats contre Jean-Paul II, mais le souverain pontife faisait clairement référence à un danger immédiat.
– Que se passe-t-il, Votre Sainteté ?
Le pape haussa les épaules, non pas en signe d’ignorance mais plutôt de résignation.
– Vous avez bien évidemment entendu parler des islamistes radicaux.
– Bien sûr, acquiesça Tomás. Ils sont une menace permanente pour le monde occidental.
– En effet, mais celle contre le Vatican est très spécifique, expliqua le souverain pontife. L’État islamique a annoncé publiquement, à deux reprises, qu’il avait l’intention de conquérir Rome, de détruire les symboles chrétiens qui s’y trouvent et de m’assassiner. Je ne parle pas d’une prophétie vague, mais d’une menace bien réelle. D’ailleurs, l’ambassadeur d’Irak a confirmé que la menace de l’État islamique est très concrètement dirigée contre moi, information également confirmée par les services secrets israéliens. L’État islamique me considère comme le premier représentant de la religion chrétienne et, par conséquent, le porteur d’une vérité que les fondamentalistes islamiques considèrent comme fausse, raison pour laquelle je devrais être tué.
– Je suppose que la police est au courant de tout cela.
– Bien sûr, confirma le pape. Le problème, c’est qu’il n’existe pas de système de sécurité parfait, comme vous le savez. Le chef de la gendarmerie du Vatican semble très préoccupé, car il dispose d’à peine cent cinquante hommes pour garantir la sécurité du Saint-Siège. Nous pouvons compter, il est vrai, sur l’aide d’Interpol et d’autres polices. La police italienne a ainsi réussi à arrêter il y a quelque temps quatre musulmans qui planifiaient un attentat contre moi.
– Cela prouve que les autorités sont sur leurs gardes et que leur action est efficace.
– Cela prouve aussi que cette menace est bien réelle, ajouta le pape. Je n’ai aucune illusion, professeur. Il est impossible d’arrêter tous ceux qui souhaitent me tuer. Comment empêcher d’agir un terroriste prêt à tout ? Il suffit de voir les attentats commis un peu partout dans le monde, y compris ici en Europe, pour comprendre que rien ne les arrête s’ils préparent bien une opération et s’ils sont disposés à mourir, comme c’est malheureusement le cas.
– En effet.
Le pape hésita avant de continuer. Même s’il ne voulait pas paraître alarmiste ou même effrayé, les informations qui lui parvenaient de différentes sources n’étaient pas faites pour le rassurer.
– Le pire… c’est qu’une attaque contre le Vatican pourrait être bien plus grave qu’on ne le pense.
– Plus grave ? s’étonna Tomás. Dans quel sens ?
Le souverain pontife marqua une courte pause avant de répondre, presque dans un murmure :
– Je parle d’un attentat nucléaire.
Le Portugais écarquilla les yeux, incrédule. Ces derniers mots lui semblaient tellement incroyable qu’il se demanda s’il les avait bien entendus.
– Pardon ?
– L’un des objectifs des islamistes radicaux est l’accès aux armes nucléaires, rappela le chef de l’Église. Ben Laden a affirmé, en 1998, vouloir doter Al-Qaïda d’engins nucléaires et, en 2014, un journaliste allemand qui a été en contact avec l’État islamique a révélé que le mouvement souhaitait également acquérir la capacité nucléaire pour exterminer des centaines de millions d’infidèles. En 2016, la police belge a découvert une vidéo du réseau djihadiste qui avait participé aux attentats de Paris, sur laquelle on voit la maison d’un responsable de l’industrie nucléaire, filmée clandestinement pendant dix heures. À votre avis, qu’est-ce que tout cela signifie ?
Le Portugais soupira et secoua la tête, découragé ; par expérience, il savait bien comment fonctionnait le cerveau des fondamentalistes islamiques et il n’ignorait pas que le scénario esquissé par le pape était parfaitement plausible.
– Il est certain que les islamistes radicaux tentent à tout prix de mettre la main sur des engins nucléaires, admit-il. Tôt ou tard, ils y parviendront. Les experts reconnaissent d’ailleurs qu’un attentat nucléaire se produira forcément un jour. La question n’est pas de savoir si un tel attentat aura lieu, mais quand il aura lieu.
– En outre, les prophéties de saint Malachie, de Pie X et de Fátima correspondent bien à un attentat de ce type à Rome.
– Je dois le reconnaître… Le pape se signa.
– Ah ! que Dieu nous protège.
Tomás regarda vers la fenêtre qui donnait sur la place Saint-Pierre.
– Je suppose que vous avez fait renforcer les mesures de sécurité, ici au Saint-Siège.
Le pape soupira, angoissé, avant de répondre.
– Pour quoi faire ? murmura-t-il. Le Vatican n’est pas un État policier. Je n’y consentirai pas.
– La sécurité doit néanmoins y être assurée.
– Certainement. La vie des personnes qui se trouvent ici, les employés, les fidèles, les touristes, est sacrée, aussi sacrée que la vie de n’importe quel autre être humain. C’est justement pour assurer leur sécurité que nous disposons du corps de la gendarmerie et des gardes suisses.
– Et votre vie ?
Le souverain pontife tourna les paumes des mains vers le ciel, comme s’il faisait une prière.
– Je m’en remets à la grâce de Dieu.
– Mais Votre Sainteté est en danger…
– Ma vie est entre les mains du Seigneur. S’Il considère que mon heure est venue, eh bien que Sa volonté soit faite. (Il hésita, se demandant s’il devait vraiment révéler ce qui le tourmentait.) Je mentirais, cependant, si je ne reconnaissais pas que j’ai peur. Je suis un être humain et, malgré la foi qui m’habite, j’ai peur de mourir, naturellement. Cependant, comme vous le comprendrez certainement, le vrai problème se situe bien au-delà de ma personne, il s’étend à mon « troupeau », aux nombreux innocents qui seraient victimes d’une telle folie.
– C’est évident. Je dois néanmoins souligner que les prophéties ne sont pas catégoriques à cet égard. Malgré les allusions indubitables à des scénarios de destruction généralisée, l’origine d’un tel cataclysme n’est pas nécessairement nucléaire.
– À Dieu ne plaise ! Mais, même s’il ne s’agit que de ma vie et de celle de quelques personnes autour de moi, vous imaginez les répercussions d’un tel acte ? Vous avez idée de ce qui se passerait si le pape était assassiné par des musulmans fondamentalistes ? Qu’adviendrait-il si le Vatican était détruit par ces hommes ? Comment réagirait-on dans le monde entier ? Cela ne risquerait-il pas de dégénérer en guerre religieuse ? Il s’agirait d’un événement cataclysmique sans précédent, un véritable séisme dans les relations interreligieuses, susceptible de déclencher un conflit beaucoup plus vaste ! Ce serait terrible !
Tomás acquiesça d’un mouvement de tête ; il savait que l’histoire avait tendance à se répéter et qu’il suffisait parfois de bien peu de choses pour passer d’une situation de normalité à la rupture catastrophique de l’ordre établi. Combien de civilisations s’étaient effondrées dans une crise soudaine et intense ?
– C’est pourquoi toutes ces prophéties m’inquiètent, ajouta le pape. Connaissant les menaces des islamistes radicaux contre moi et contre le Vatican, et sachant que je suis le dernier pape de la liste de saint Malachie dont les prophéties, comme celles de Pie X et de Fátima, évoquent la destruction de Rome, l’assassinat du pape et de nombreux chrétiens, et de… de…
Entendant un bruit de voix au loin, le chef de l’Église se tut.
– Il me semble que le cardinal Barboni est revenu, observa Tomás qui avait reconnu l’une des voix. Apparemment, il est accompagné.
Le pape s’empressa de s’éponger le front et de relever une mèche blanche qui avait glissé devant ses yeux.
– Enfin ! dit-il, visiblement soulagé. Vous savez, cette question m’embarrasse beaucoup. Vraiment beaucoup. C’est pourquoi je suis content de pouvoir en rester là pour le moment, et de passer à l’affaire qui nous réunit.
– Cela concerne encore la menace islamique qui pèse sur Votre Sainteté et le Vatican ?
– Nous avons besoin de votre aide, rétorqua le pape sans vraiment répondre à la question. Étant donné ce que vous avez fait il y a quelques années, je suis convaincu que vos talents pourront nous être extrêmement utiles.
– Utiles pour quoi ?
– Vous ne savez pas ce qui s’est passé ici la semaine dernière ?
– Que s’est-il passé ?
Le regard de l’historien était plein de curiosité, mais c’est à ce moment-là que la porte de la bibliothèque privée des appartements du pape s’ouvrit et qu’après avoir demandé l’autorisation d’entrer, deux personnes apparurent. L’une d’elles était effectivement le cardinal Angelo Barboni et l’autre une vision inattendue. Une femme extrêmement belle.
Le pape se leva pour les accueillir, mais avant de se diriger vers eux, il répondit à la question de Tomás.
– Le Vatican a été cambriolé.