Ils gardaient les yeux fixés sur les caractères arabes, comme hypnotisés. Tomás était tellement choqué que durant quelques secondes il fut incapable de dire quoi que ce soit. Allahu akbar ! Comment ces mots étaient-ils arrivés là ?
– Je constate que votre arabe est au point, observa Catherine. Vous êtes conscient de ce que cette inscription signifie dans un lieu comme celui-ci ?
Comment pourrait-il ne pas l’être ?
– Ça signifie que les cambrioleurs étaient arabes, et selon toute vraisemblance des fondamentalistes islamiques, répondit-il, réfléchissant aux implications profondes de ce message. Je comprends mieux à présent les préoccupations dont le pape m’a fait part quant à la menace que font peser les extrémistes islamiques, et plus particulièrement l’État islamique, sur le Vatican.
– Précisément. Immédiatement informé que les cambrioleurs avaient laissé ce message sur son portrait, il a bien évidemment fait le lien avec les menaces proférées par l’État islamique et d’autres radicaux. Vous voyez, le danger est bien réel.
Tomás se passa la main dans les cheveux, comme pour essayer de mettre de l’ordre dans ses pensées. Cette nouvelle donnée engageait l’enquête dans une direction complètement différente de ce qu’il avait envisagé jusqu’à présent. Il comprenait enfin pleinement les craintes du pape ainsi que ses obsessions quant aux menaces des islamistes et aux prophéties concernant la destruction de Rome, la mort du chef de l’Église et la fin de la papauté. Le souverain pontife avait raison, le danger était réel et il ne devait pas être pris à la légère.
Comment devait-il procéder ? Il fit une pause pour réfléchir.
– Écoutez, je pense que nous devrions reconstituer les événements depuis le début, décida-t-il une fois sa stratégie arrêtée. Vous savez par où sont entrés les cambrioleurs ?
– Franchement, nous n’en sommes pas sûrs.
– Il n’y a aucun signe d’effraction ? Aucune porte ou fenêtre défoncée par où ils seraient passés pour entrer dans le bâtiment ?
– Non.
Pour Tomás, cela semblait absurde.
– Mais qui s’occupe de la sécurité du palais des Congrégations ? Catherine fit une expression embarrassée.
– Eh bien… il y a bien un gardien qui passe toute la nuit ici.
– Il n’a rien vu ? L’économiste secoua la tête.
– Rien, indiqua-t-elle. Il jure qu’il a fait deux rondes pendant la nuit et qu’il n’a remarqué aucune anomalie.
– Hum… c’est suspect. Vous devez savoir que les agents de sécurité sont bien souvent impliqués dans les cambriolages des lieux qu’ils sont censés surveiller. Cela expliquerait pourquoi il n’y a aucun signe d’effraction et comment les voleurs savaient où se trouvaient tous les coffres. C’est sans aucun doute le gardien de nuit qui leur a ouvert la porte et leur a indiqué les endroits qu’ils devaient cambrioler. Vous l’avez déjà interrogé ?
– Les enquêtes de la police judiciaire et de la brigade antiterroriste sont toujours en cours, mais pour l’instant cela n’a rien donné. Le gardien travaille depuis de nombreuses années pour le Saint-Siège et il est digne de confiance. Il n’a pas de casier judiciaire, c’est un catholique pratiquant, il n’a pas de dettes ni d’amitiés suspectes, si ce n’est… enfin, un penchant pour les jeunes femmes aux charmes faciles.
– Des jeunes femmes ?
– La police judiciaire a vérifié ses appels sur son portable la nuit du cambriolage. Vers 4 heures du matin, il a téléphoné à un bordel où il s’est rendu après son service. Lorsqu’on lui en a parlé, il s’est montré très embarrassé et a confessé que c’était son unique vice. Les enquêteurs procèdent aux vérifications d’usage et les jeunes femmes du bordel ont été interrogées, mais pour l’instant ils n’ont rien remarqué d’étrange ni de particulièrement suspect. La brigade antiterroriste l’a d’ailleurs soumis au polygraphe, une machine pour détecter les mensonges, et il a passé le test sans problème. C’est pourquoi il semblerait qu’il n’ait rien à voir avec le cambriolage.
– Hum, murmura l’historien en envisageant les différentes possibilités. Personne d’autre dans le bâtiment aurait pu être de connivence avec les cambrioleurs ? Le personnel d’entretien, une personne qui aurait travaillé toute la nuit, d’autres agents de l’entreprise de sécurité ?
– Non. Il n’y avait que ce gardien.
– Bien, si l’on est certain qu’il n’est pas impliqué, ça signifie que les intrus ont agi seuls.
– Nous supposons que tel est le cas, en effet.
Songeur, Tomás se frottait le menton tout en considérant d’autres hypothèses.
– S’ils n’avaient pas de complices dans le bâtiment, comment sont-ils entrés ?
– Nous n’en sommes pas sûrs, mais la police judiciaire a découvert l’existence d’un réseau de tunnels sous le Vatican. Les enquêteurs pensent que les intrus ont utilisé ces galeries souterraines pour pénétrer dans le bâtiment, car l’un des embranchements du réseau de tunnels aboutit ici, au palais des Congrégations.
– Ces installations sont reliées à un réseau souterrain, madame Rauch ?
La chef de l’équipe d’auditeurs allait répondre, mais elle fit une pause et lui lança un regard difficile à définir.
– Écoutez, vous n’allez pas continuer à m’appeler madame, d’accord ? Si nous devons travailler ensemble sur cette affaire, je crois qu’il vaut mieux qu’on oublie ces formalités.
– Oui, vous avez parfaitement raison, reconnut Tomás, en lui tendant la main comme s’ils venaient de faire connaissance. Je m’appelle Tomás.
– Et moi, c’est Catherine.
Ils se serrèrent la main en souriant et leurs regards se croisèrent un instant ; la lueur troublante qui se dégageait de ses yeux bleu clair lui donnait un charme fou, capable de le désarçonner. Tomás comprit à ce moment-là qu’il avait affaire à une séductrice habituée à faire ce qu’elle voulait des hommes, et il n’était pas certain d’y être indifférent. Il se savait faible face au sexe opposé, et se demanda ce qu’il ferait si Catherine avançait encore d’un pas. Il pensa à Maria Flor, elle qui, quelques heures plus tôt, l’avait rageusement abandonné et qu’il faudrait encore apaiser ; il se demanda s’il serait capable de résister aux charmes de la Française.
– Eh bien… euh…, balbutia-t-il, s’efforçant de se concentrer sur l’essentiel. Madame… pardon, Catherine, vous disiez qu’il existait un réseau souterrain ?
La responsable de la COSEA acquiesça, consciente d’avoir éveillé l’intérêt de son interlocuteur, et, lui faisant signe de la suivre, elle se dirigea vers la porte d’un pas assuré.
– Suivez-moi.