XX

La Française faillit s’étouffer. L’idée que quelqu’un à l’intérieur même du Vatican avait aidé des fondamentalistes islamiques à cambrioler le palais des Congrégations la choquait profondément.

– Pardon ?

Tomás désigna la voûte au-dessus d’eux, indiquant l’entrée qui se trouvait au rez-de-chaussée.

– Nous avons compris, par déduction logique, que les cambrioleurs n’ont pu entrer que par la place Pie-XII, rappela-t-il. Comme la serrure est intacte, cela signifie qu’ils ont utilisé la clé. Comment se la sont-ils procurée ? C’est forcément quelqu’un qui la leur a donnée. Je ne vois pas d’autre solution.

– Vous pensez donc que les cambrioleurs avaient des complices au Vatican ?

– Très certainement. D’ailleurs, Catherine, vous-même avez dit qu’ils savaient où se trouvaient les coffres des étages inférieurs contenant l’argent et quel était celui où la COSEA conservait les documents sensibles. Cela prouve que quelqu’un leur a donné l’information.

– Mais qui ?

– Quelqu’un au Saint-Siège, de toute évidence. La curie ne s’inquiète-t-elle pas de l’audit que vous menez ?

La chef de la COSEA souffla.

– Oui, c’est vrai, reconnut-elle. Mais ce que vous insinuez n’a aucun sens, voyons. Comment un membre de la curie pourrait-il fournir des informations à un commando islamiste, c’est impensable !

Tomás se gratta la tête.

– Eh bien, voyez-vous, il n’y a qu’une manière de tirer tout ça au clair, dit-il. Quels documents les cambrioleurs ont-ils dérobés dans le deuxième coffre du bureau de la Préfecture pour les affaires économiques du Saint-Siège ?

La Française se bloqua.

– Je ne peux pas vous le dire. Le Portugais écarquilla les yeux.

– Pourquoi ?

– Parce que c’est confidentiel.

Tomás secoua la tête, comme quelqu’un qui refuse de lâcher le morceau.

– Si le Vatican veut que je perce ce mystère, je crains que vous n’ayez pas le choix, vous devez me donner cette information.

– C’est hors de question.

– Mais pourquoi ?

– Parce que.

Le ton était si catégorique que la réponse semblait définitive. L’historien comprit qu’il allait devoir user de douceur et de fermeté s’il voulait arriver à quelque chose.

– Écoutez, Catherine, dit-il avec une infinie patience, nous avons déjà compris deux choses au sujet de cette affaire. La première, c’est que le cambriolage a été effectué par un commando d’extrémistes islamiques. Ce qui n’est pas une très bonne nouvelle. La seconde, c’est que les cambrioleurs se sont donné beaucoup de mal pour voler quelque trois mille malheureux euros, ce qui prouve que le véritable objectif de leur vol n’était pas l’argent. Comme vous l’avez sans doute déjà remarqué, les hommes qui sont entrés ici sont venus avec un but précis, à savoir emporter les documents qui se trouvaient dans le second coffre du bureau de la Préfecture pour les affaires économiques du Saint-Siège et signer leur méfait en laissant un graffiti sur le portrait du pape. Tout cela soulève plusieurs questions importantes. De quels documents s’agit-il ? Quel usage pourront en faire les cambrioleurs ? L’intérêt qu’ils ont montré pour ces documents prouve que ceux-ci sont la clé du problème. Il est donc impératif que je sache ce qu’ils contenaient. C’est très certainement la clé de tout ce mystère, vous saisissez ?

Sous pression, la chef des auditeurs comprit qu’elle devait se justifier.

– Il s’agit de choses… enfin, compromettantes pour l’Église. Je suis désolée, mais il m’est impossible de vous en dire davantage. Je suis tenue par contrat à une obligation de réserve et à la confidentialité sur toutes ces questions.

Tomás soupira, comme s’il épuisait ses dernières réserves de patience, et après une pause quelque peu théâtrale, il dévisagea son interlocutrice avec une expression absolument déterminée.

– Je vais être extrêmement clair avec vous, dit-il, une tension soudaine dans la voix. Comme vous devez le comprendre, je ne vous pose pas cette question pour satisfaire ma curiosité personnelle. Si ça ne tenait qu’à moi, je retournerais immédiatement au travail que l’on m’a demandé de faire dans la nécropole du Vatican. D’ailleurs, ce matin, j’y ai fait une découverte historique de la plus haute importance qui appelle d’urgence des vérifications supplémentaires. Je pourrais aussi visiter Rome plutôt que de me trouver mêlé à une histoire qui ne me concerne absolument pas. Ce que je veux vous dire, c’est que je ne suis pas ici par plaisir, mais par sens du devoir.

Catherine ébaucha une expression d’indifférence.

– Chacun sa croix…

– Certes. Mais la mienne a été bénie par quelqu’un de très spécial. Permettez-moi de vous rappeler que c’est le pape en personne qui m’a demandé de mener une enquête parallèle sur cette affaire et qu’il m’a donné les pleins pouvoirs pour m’acquitter de cette mission. Vous en êtes consciente, n’est-ce pas ?

La référence au chef de l’Église sembla ébranler la Française, jusqu’à présent très ferme.

– Oui. Et… alors ?

– Et alors, c’est très simple. Si vous ne m’expliquez pas ce que ces documents contiennent, je ne pourrai pas mener à bien ma mission et par conséquent je devrai dire au pape que je suis contraint, à regret, d’abandonner cette affaire parce que Catherine a décidé de boycotter mes efforts. La sécurité du Vatican étant en cause face à une menace extrêmement claire, j’imagine qu’il ne sera pas très content. Maintenant, c’est à vous de décider, car je n’ai aucune envie de continuer à perdre mon temps, ni à vous implorer de faire votre devoir qui est de m’aider dans cette enquête.

– Je…

Acculée, la Française se tut et lança des regards désespérés sur les côtés, comme si elle cherchait une échappatoire. Elle savait que si elle parlait, elle violerait, sur un plan technique, son contrat et qu’elle devrait en outre faire des révélations très embarrassantes, susceptibles de mettre en cause la réputation de l’Église. D’un autre côté, si elle se taisait, elle serait responsable du retrait de l’historien en qui le pape avait entière confiance, ce qui pouvait également avoir des conséquences pour elle. Que faire ?

Parvenu à la conclusion que le moment était venu de lui forcer la main, Tomás prit l’initiative de la lui serrer, comme s’il prenait congé.

– Bien, puisqu’il en est ainsi, je me retire de l’affaire, dit-il avec légèreté. Je vous souhaite une bonne journée.

 

Il tourna les talons et appuya sur le bouton de l’ascenseur. Son geste laissa Catherine abasourdie. Le détachement de cet homme, qui avait l’outrecuidance de lui tourner le dos, la heurtait. Elle serra les dents. Le Portugais semblait indifférent et elle n’avait plus que quelques secondes pour prendre une décision.

L’ascenseur descendit dans un vrombissement. On entendit le claquement du mécanisme qui stabilisa la cabine dans la cave, les portes s’ouvrirent, Tomás entra et appuya sur le bouton du rez-de-chaussée.

Catherine devait réagir.

L’historien sourit et la salua de la main droite. Les portes commençaient à se fermer lorsque la chef des auditeurs se décida enfin.

– Attendez !

Elle tendit le bras pour empêcher que les portes ne se referment complètement. Elles se rouvrirent automatiquement et la Française fit un pas en avant pour entrer dans la cabine.

– Alors ?

Les portes de l’ascenseur se fermèrent enfin et la responsable de la COSEA appuya sur le bouton du quatrième étage, où se trouvaient les bureaux de la Préfecture pour les affaires économiques du Saint-Siège, avant de dévisager l’historien avec l’expression résignée de celle qui se savait vaincue.

– C’est bon, je vais tout vous raconter.