XXI

Lorsqu’on connaissait le code par cœur, il suffisait de quelques secondes pour ouvrir le coffre. Plus pour illustrer ce qu’elle venait de dire que pour le prouver, Catherine lui montra l’intérieur vide.

– Comme vous pouvez le voir, le coffre est relativement grand, précisa-t-elle. Il nous a fallu un tel espace parce que nous devions conserver de nombreux documents.

– Oui mais quel type de documents ? insista Tomás. Que diable avez-vous découvert qui puisse autant embarrasser le Saint-Siège et intéresser des extrémistes islamiques ?

La Française se tourna vers son interlocuteur avec une expression de gravité.

– Tout ce que je vais vous révéler est strictement confidentiel, souligna-t-elle sur le ton d’un avocat qui énonce les articles d’un contrat. Cela signifie que vous êtes tenu de respecter cette confidentialité. Cette condition n’est pas négociable.

– Soyez rassurée.

– Pour que vous compreniez à quel point la confidentialité est importante pour nous, sachez que toutes les réunions de la COSEA sont secrètes. Ce n’est pas par hasard que le nom de code de notre bureau à la résidence Sainte-Marthe, au Vatican, est « salle Saint-Michel ».

– Saint Michel, l’archange ?

– Précisément. Et vous savez pourquoi ?

L’histoire des mythes et des symboles était l’un des sujets que Tomás connaissait sur le bout des doigts.

– Saint Michel est l’archange des missions délicates. Vêtu d’une armure, une épée à la main, il se définit comme le défenseur de la foi en Dieu contre les hordes de Lucifer.

– Une bonne description de la COSEA, fit observer Catherine. Notre mission, extrêmement délicate, exige une confidentialité absolue. Le secret est tellement vital que les auditeurs de la COSEA sont équipés de smartphones avec des numéros maltais. Une manière de compliquer d’éventuelles interceptions. En outre, nos ordinateurs sont reliés à un compte spécial auquel nous devons envoyer tous les mots de passe pour accéder aux documents cryptés. Comme si cela ne suffisait pas, nous payons cent mille euros pour avoir un serveur exclusif, auquel seuls les membres de la COSEA peuvent avoir accès. Enfin, pour déjouer toute velléité de fouiner, nous avons décidé de garder les documents les plus importants ici, dans l’un des coffres secrets de la Préfecture pour les affaires économiques du Saint-Siège, et non dans la salle Saint-Michel. (Elle leva l’index pour souligner ce point.) C’est pour que vous saisissiez bien l’importance que nous attribuons à la confidentialité de notre mission.

– Oui, j’ai bien compris. Étant donné, cependant, que l’on a fini par vous voler des documents, je dirais que toutes ces merveilleuses mesures de sécurité n’ont pas été d’une grande utilité…

Cette évidence sembla abattre la Française, dont les épaules s’affaissèrent.

– Oui, vous avez raison.

Tomás désigna le second coffre, dont la porte métallique était restée ouverte.

– J’ai besoin de savoir ce que contenaient les documents gardés dans ce coffre, répéta-t-il. Si les cambrioleurs sont venus ici spécialement pour les voler, c’est qu’ils devaient être très importants. Ils peuvent être la clé. Voulez-vous me le dire à présent ?

Consciente qu’elle ne pouvait pas retarder plus longtemps l’explication, la chef de la COSEA sortit un paquet de cigarettes de son petit sac noir.

– Vous fumez ?

– Non, merci.

– Et pour quelle raison ?

Tomás haussa un sourcil, surpris par sa question qu’il jugeait hors de propos.

– Parce que je n’aime pas ça et que c’est mauvais pour la santé, rétorqua-t-il avec un zeste d’impatience. Pardonnez-moi, mais il est inutile que nous perdions notre temps avec des questions sans intérêt qui…

– Rassurez-vous, je n’essaie pas de m’éloigner du sujet, affirma Catherine avec tranquillité. Je suppose que vous connaissez la position de l’Église sur le tabac ?

Cette question semblait encore plus dérisoire et superflue que la précédente, mais Tomás décida de faire confiance à la chef des auditeurs et d’entrer, momentanément, dans son jeu pour voir où cela le conduirait.

– Elle ne peut que désapprouver son usage.

– Effectivement, assura Catherine. Selon l’Organisation mondiale de la santé, le tabac est la deuxième cause de décès dans le monde entier et la première cause de mortalité évitable. L’Église considère que la vie est sacrée et sa politique est de protéger les personnes de tout ce qui les menace, y compris le tabac.

– Cela me paraît naturel. (Il fit une grimace.) Où voulez-vous en venir ?

La chef des auditeurs remit le paquet dans son petit sac noir griffé, tout en gardant les yeux fixés sur son interlocuteur, comme si elle ne voulait pas rater l’expression qu’il aurait lorsqu’il entendrait ce qu’elle allait dire.

– Vous savez que le Vatican vend du tabac ?

La question fut posée à voix basse et Tomás écarquilla les yeux, pensant avoir mal entendu.

– Pardon ?

– Catherine se tourna vers le mur et se mit à composer la combinaison du premier coffre à gauche.

– Comme mesure de sécurité supplémentaire, j’ai décidé de photocopier les documents les plus importants et je les ai cachés dans ce coffre sans en informer personne, dit-elle. C’était une bonne idée.

– Vous avez des copies des documents qui ont été volés ?

 

La petite porte métallique du coffre s’ouvrit à ce moment-là. À l’intérieur, il y avait un gros classeur que la Française attrapa. Puis elle l’ouvrit et commença à le feuilleter.

– Bien sûr, confirma-t-elle en fixant son attention sur une feuille en particulier. Vous saviez que les résidants de la Cité du Vatican peuvent acheter des produits dans les boutiques qui s’y trouvent sans acquitter de TVA ?

– On ne paie pas de TVA au Vatican ?

– Bien sûr que non. C’est un avantage fiscal prévu par les accords conclus avec l’État italien, extrêmement apprécié par les titulaires de la carte qui donne accès à ces exonérations, c’est-à-dire les huit cents habitants du Vatican et les cinq mille personnes qui y travaillent. Vous savez combien a rapporté la vente de tabac dans les boutiques du Vatican en une seule année ? Les auditeurs d’Ernst & Young ont fait les comptes et ils nous ont envoyé ce rapport. (Elle tendit le document à son interlocuteur.) Plus de onze mille personnes ont acheté du tabac au Vatican, et ce produit mortel a rapporté trois millions cinq cent mille euros à l’Église ! La vente de tabac est la deuxième source de recettes la plus importante du département des Services économiques du Saint-Siège.

– Onze mille personnes ont acheté du tabac au Vatican ? s’étonna Tomás. Mais comment est-ce possible si l’on ne recense que huit cents habitants et cinq mille employés ?

Catherine le dévisagea avec l’expression docte des auditeurs qui ont affaire à des gestionnaires incapables.

– C’est évident, dit-elle. Certains paquets étaient destinés à la consommation, et d’autres à… enfin, à… autre chose.

– À autre chose ?

La chef de la COSEA se tut un instant et ébaucha un sourire embarrassé avant de répondre.

– À la contrebande.