Tomás et Catherine durent s’arrêter devant un cordon de policiers installé porte Saint-Pierre, derrière les colonnades, et constitué de gardes suisses et de carabiniers italiens. Ils saluèrent le gendarme qui les avait accompagnés, puis présentèrent leurs pièces d’identité au responsable des gardes suisses chargé du cordon de sécurité. Le passeport de Tomás ne l’impressionna guère, mais le badge de Catherine se révéla extrêmement utile.
Après avoir vérifié quelques détails, l’officier leur rendit leurs papiers et leur fit signe d’avancer. La Française saisit cette occasion pour l’interroger sur le dispositif mis en place.
– Que se passe-t-il ? demanda-t-elle en indiquant les hommes armés qui occupaient le check-point. Il est arrivé quelque chose ?
– Il faudra poser la question aux autorités compétentes, Fräulein. Visiblement, l’officier était un suisse allemand.
– Et vous n’êtes pas une entité compétente ?
– Je suis compétent en matière de sécurité, mais pas pour fournir des informations, Fräulein. Vous voudrez bien vous adresser à qui de droit.
– Mais quels ordres avez-vous reçus ?
– Les ordres consistent à faire évacuer le Vatican et à assurer la sécurité du périmètre, en particulier du Palais apostolique.
– Et que s’est-il passé qui exige des mesures aussi radicales ?
– Pour obtenir cette information, Fräulein, adressez-vous aux autorités compétentes.
Catherine soupira. Elle était alsacienne et connaissait bien la mentalité germanique, y compris celle des Suisses allemands. Tout devait scrupuleusement obéir à des règles et il n’y avait pas la moindre possibilité de les contourner. Elle aurait beau essayer tout ce qu’elle voudrait, elle n’arriverait jamais à convaincre le garde suisse de lui dire ce qu’il n’était pas autorisé à lui dire. Elle ne pouvait cependant pas s’en plaindre car c’était bien à cela que servaient les règles.
– Très bien, acquiesça-t-elle, en se retournant pour faire signe à son compagnon. Allons-y Tomás.
Le Portugais regardait son portable, l’air désolé.
– Toujours sur répondeur.
– Qui est sur répondeur ?
L’historien ne répondit pas. Il leva les yeux au ciel et remarqua les deux hélicoptères de la police qui survolaient toujours la place Saint-Pierre. Que Maria Flor reste injoignable le perturbait. Jusqu’à présent, il avait envisagé des explications rationnelles à ce silence. Mais il commençait à se demander s’il n’y avait pas un lien entre le mutisme de sa fiancée et tout le déploiement de policiers au Vatican. Maria Flor était-elle en sécurité ?
– Toute cette agitation me rend nerveux, finit-il par déclarer. (Il indiqua d’un geste les hélicoptères qui bourdonnaient au-dessus d’eux et le cordon de sécurité.) Ça commence à me préoccuper sérieusement.
– Le garde suisse a dit que les mesures de sécurité étaient concentrées sur le Palais apostolique, déclara la Française. Essayons de voir ce qui se passe.
Ils passèrent la porte Saint-Pierre et traversèrent l’étroit patio des gardes suisses. Puis, ils tournèrent à gauche et empruntèrent la rue qui menait au Palais apostolique, en passant entre l’Imprimerie vaticane et la tour Nicolas-V, siège de l’IOR. Tomás était très perturbé. Catherine pensait sans doute comme lui.
– D’après vous, que se passe-t-il ?
– Probablement une nouvelle menace.
Tomás se dit qu’ils allaient devoir obtenir des informations concrètes plutôt que de jouer aux devinettes, et n’ajouta rien. Il était inutile d’énoncer ce qui était évident. Ils continuèrent à marcher et s’aperçurent un peu plus loin, exactement en face de l’entrée du bâtiment qui était habituellement la résidence du pape, un autre cordon de sécurité.
Lorsqu’ils arrivèrent au check-point, ils présentèrent à nouveau leurs papiers.
– Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce qui se passe ? demanda Catherine à l’officier chargé de ce deuxième cordon, s’efforçant d’obtenir quelques informations. Pourquoi tout ce dispositif ?
– Désolé, mademoiselle, répondit l’officier, un Suisse francophone cette fois, tandis qu’il vérifiait les passeports et le badge de la chef de la COSEA. Il faudra que vous demandiez à l’intérieur.
– Mon Dieu ! s’exclama-t-elle, exaspérée. Ces gens ont la manie du secret !
Après avoir vérifié les documents, l’officier les leur rendit et indiqua du pouce l’entrée du palais résidentiel, leur ouvrant la voie.
– Allez-y, dit-il. Vous pouvez passer.
Tous deux entrèrent dans le Palais apostolique, où ils s’étaient entretenus le matin même avec le pape. Ils commencèrent à monter l’escalier lorsqu’ils s’aperçurent que la voie était barrée, au deuxième étage, par un homme de petite taille avec une moustache, mal rasé, vêtu d’une gabardine froissée, qui leur fit signe de s’arrêter.
– Qui êtes-vous ? demanda-t-il sur un ton particulièrement autoritaire. Que faites-vous ici ?
– Je m’appelle Tomás Noronha, et voici Mme Catherine Rauch, indiqua l’historien. J’ai été chargé par le pape d’enquêter sur un crime qui s’est produit ici, au Vatican.
– À quel crime faites-vous allusion ?
– Au cambriolage qui a eu lieu la semaine dernière au palais des Congrégations.
L’homme à la gabardine froissée le regarda avec méfiance.
– Intro culo di mammata ! jura-t-il. Cette enquête, c’est moi qui en suis chargé !
La vulgarité du petit homme qui ne mesurait pas plus d’un mètre soixante choqua le Portugais.
– Eh bien ! (Il haussa les sourcils.) Et qui êtes-vous, monsieur ?
– Francesco Trodela, inspecteur de la police judiciaire, chargé du Vatican. (Il dévisagea Tomás avec une expression de méfiance.) Qui vous a donné l’autorisation d’enquêter sur le cambriolage au palais des Congrégations ?
– Le pape en personne. Ce matin.
L’inspecteur plissa les paupières, de plus en plus méfiant.
– Dio cane ! s’exclama-t-il avec incrédulité. Vous avez rencontré Sa Sainteté ce matin ?
– Oui, pourquoi ?
– Ma vattene a fanculo ! jura-t-il à nouveau. Vous vous foutez de moi !
De toute évidence, l’Italien appréciait les expressions italiennes les plus vulgaires ; cela devait être son tempérament, pensa Tomás, se résignant à son langage ordurier.
– Je vous assure que j’ai eu une réunion avec le pape.
– Et sur quoi a-t-elle porté ?
– Eh bien… à vrai dire, cela concerne exclusivement le pape et moi-même. Comme vous le comprendrez, je ne suis absolument pas tenu de vous informer des propos que nous avons échangés ni de…
– Après ce qui s’est passé aujourd’hui, tout le monde a l’obligation de m’informer de tout ce qui concerne Sa Sainteté, rétorqua le policier avec assurance. Quel a été le sujet de la réunion que vous avez eue avec le Saint-Père ?
Tomás cligna des yeux, surpris par le ton autoritaire de l’inspecteur de la police judiciaire, mais surtout intrigué par la première partie de ce qu’il venait d’entendre.
– Que s’est-il passé de spécial aujourd’hui ?
L’inspecteur Trodela pencha la tête sur le côté et lui lança un regard inquisiteur, comme s’il le disséquait.
– Allons, allons, vai a farti fottere ! grommela-t-il. Ne me faites pas croire que vous ne savez pas…
Les obscénités successives et l’incrédulité de l’inspecteur finirent par énerver l’universitaire. Pour quelle raison personne n’était capable de répondre à une question aussi simple et directe ? Était-ce si difficile ? Faisant un effort pour ne pas exploser, il échangea un regard avec Catherine, comme s’il lui demandait de l’aide au cas où il perdrait son calme, avant de regarder à nouveau le policier.
– Eh bien non, je ne sais pas. Que se passe-t-il ?
– Ce qui se passe, c’est qu’on ne peut pas se promener par ici tant que les investigations n’auront pas été achevées et que l’affaire n’aura pas été résolue.
– Des investigations ? Une affaire ? Mais de quoi parlez-vous ?
– Du crime, bien entendu.
Tomás et Catherine écarquillèrent les yeux, surpris, et réagirent presque en chœur.
– Un crime ?
Leur étonnement était si spontané que le policier comprit qu’à moins d’avoir affaire à de très grands acteurs, il ne pouvait qu’être authentique.
– Oui, un crime, confirma-t-il. Porca troia ! Vous ne voyez pas les mesures de sécurité qui sont prises ? Vous ne voyez pas que la police judiciaire contrôle le Palais apostolique ? Pourquoi pensez-vous qu’on fait tout cela ?
– Dites-le-nous, inspecteur !
Le petit Italien se caressa la moustache avant de répondre et d’expliquer enfin tout ce dispositif policier mis en place à l’intérieur des murailles léonines.
– Sa Sainteté a été enlevée.