XXIX

En arrivant au troisième étage du Palais apostolique, où se situaient traditionnellement les appartements officiels du souverain pontife, Tomás reconnut la porte vers laquelle se dirigeait le responsable de la police judiciaire : celle de la bibliothèque privée du pape, le lieu où il s’était entretenu avec le chef de l’Église le matin même. La police avait posé des rubans en plastique pour en interdire l’accès et deux agents de la gendarmerie montaient la garde. Tout semblait indiquer que la zone était considérée comme une scène de crime, mais l’inspecteur Trodela leur fit signe de le suivre.

– Per favore, dit-il. Entrons.

L’historien ainsi que tous ceux qui se trouvaient auparavant dans le bureau du secrétaire d’État pénétrèrent dans la bibliothèque privée. Divisé par des rubans marqués « Police », l’espace était occupé par quatre enquêteurs de la police scientifique en blouses blanches. Tout semblait identique à ce qu’ils avaient vu quelques heures plus tôt, hormis que le pape n’était pas là et que la pièce avait été transformée en scène d’enquête policière. En réalité, tout avait changé.

– Où se trouve la preuve d’un enlèvement ?

Le policier italien sortit plusieurs paires de gants d’un sac plastique et les distribua à ceux qui l’accompagnaient.

– Veuillez les enfiler, ordonna-t-il. N’oubliez pas que dans une scène de crime tout contact laisse des traces. Ne vous déplacez que dans les zones qui ne sont pas interdites par les rubans en plastique, et évitez de déranger les techniciens de la police scientifique. Même avec des gants, ne touchez à rien afin de ne pas contaminer le lieu. Vous avez compris ?

Ils répondirent en chœur.

– Oui.

Lorsqu’ils furent prêts, l’inspecteur Trodela fit traverser à Tomás le périmètre délimité par les rubans de la police jusqu’à la bibliothèque, et il désigna le tableau attribué au Pérugin qui était accroché au mur entre deux étagères de livres.

– La voilà.

Le Portugais s’approcha du tableau et s’immobilisa.

– Nom d’un chien !

Sur la fresque du XVe siècle qui représentait Jésus sortant du tombeau, on avait tracé au pinceau plusieurs caractères arabes.

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– Vous savez ce que ça veut dire ?

L’universitaire portugais ferma les yeux, comprenant les implications du message.

– Allahu akbar ! lut-il. Dieu est grand.

– C’est exactement ce que les cambrioleurs du palais des Congrégations ont inscrit sur le tableau de Sa Sainteté, observa Catherine. Vous avez remarqué ?

Tomás acquiesça.

– Comment ne pas le remarquer ? Celui qui a enlevé le pape est visiblement aussi l’auteur du cambriolage de la semaine dernière, au cours duquel ont été dérobés les documents compromettants pour le Saint-Siège. Les deux affaires sont évidemment liées.

Une expression de défi dans les yeux, l’inspecteur Trodela croisa les bras, attendant des excuses de la part du Portugais.

– Vous doutez encore de l’enlèvement de Sa Sainteté ?

– Avec cette preuve, non, admit l’historien. Ceci est un message. Et un message signé.

– Vous comprenez à présent pourquoi je vous ai dit que les conséquences politiques de l’affaire étaient immenses ?

– Tout à fait.

– Ce sont les prophéties ! intervint à ce moment-là le cardinal Barboni. Vous souvenez-vous, mon fils, de ce que Sa Sainteté vous a dit ce matin même ? Les prophéties de saint Malachie, de Pie X et de Fátima annonçaient une grande catastrophe pour Sa Sainteté et pour toute la chrétienté ! Eh bien l’heure est arrivée ! L’évêque vêtu de blanc, évoqué par Lúcia dans sa vision de 1917, a été immolé sur l’autel de notre malheur ! (Il se signa.) Que la Vierge nous protège des épreuves qui commencent à présent et qu’elle nous guide sur la voie du salut.

– Calmez-vous, Votre Éminence.

Le secrétaire d’État semblait réellement ébranlé par les événements.

– Tout a été prophétisé, dit-il, en tremblant. Les augures s’accomplissent et Petrus Romanus n’est plus parmi nous ! N’oubliez pas les prophéties ! (Il désigna les caractères dessinés sur le tableau.) L’État islamique qui a menacé publiquement Sa Sainteté et le Saint-Siège, les islamistes radicaux qui répandent la haine sur toute la terre, ces impies qui provoquent le malheur et la destruction sont la main qui exécute les ordres de Satan. Loué soit le Seigneur, qui nous protégera du mal !

 

Tomás s’éloigna. Prenant soin de ne pas gêner le travail de la police scientifique, il revint vers le majordome et le secrétaire particulier du pape qui se trouvaient près de la porte, visiblement mal à l’aise, presque comme s’ils vénéraient la bibliothèque privée et considéraient que le fait de s’y trouver sans l’autorisation du souverain pontife revenait à profaner le lieu.

– Giuseppe, est-ce ainsi que se trouvait la bibliothèque lorsque vous y êtes entré après le déjeuner ?

Le majordome acquiesça.

– Exactement comme ça, professeur.

– Et vous avez vu les caractères sur le tableau ?

– Pas tout de suite, professeur. Comme j’étais très intrigué, j’ai appelé Ettore, qui entre-temps était revenu de la promenade avec Son Éminence. Je voulais savoir où était allée Sa Sainteté. Ettore se montra très surpris lorsque je lui ai annoncé que la bibliothèque était vide et il m’a accompagné. C’est alors que nous avons vu ces caractères peints sur le tableau et que nous avons compris que quelque chose de grave s’était passé.

– Vous avez remarqué autre chose d’anormal ?

Ettore et Giuseppe secouèrent la tête en même temps.

– Non, professeur. Nous avons aussitôt appelé les gendarmes et, lorsque l’officier a vu les caractères arabes, il en a informé Son Éminence et a immédiatement donné l’alerte. En dix minutes, le Vatican a été évacué et tout le périmètre a été contrôlé.

Tomás se tourna vers l’homme de la police judiciaire et désigna les agents de la police scientifique.

– Les experts ont trouvé quelque chose ?

L’inspecteur posa la question au chef de l’équipe de la police scientifique et technique (PST), un certain Sandro, un homme aux cheveux clairsemés et portant une moustache qui avait l’air d’un commis de bureau en blouse.

– On a déjà trouvé des cheveux ainsi que de nombreuses empreintes digitales, inspecteur, mais je crains qu’il ne s’agisse de traces laissées par Sa Sainteté et par ses invités. On va tout faire porter au laboratoire pour examen ; on pourra toujours analyser l’ADN des cheveux.

– Ah, benissimo.

Sandro leur montra un petit sachet plastique scellé avec des fils blancs à l’intérieur.

– Cela étant, nous avons trouvé ces fibres, qui pourraient être en rapport avec l’enlèvement de Sa Sainteté.

– Qu’est-ce que c’est ?

– Ce sont des fils de coton. J’ai déjà effectué une analyse préliminaire et d’après les résultats, ils seraient imbibés d’une solution chimique.

– Une solution chimique ? Laquelle ?

Le chef de l’équipe de la PST hésita, il se demandait s’il devait vraiment dire ce qu’il pensait. L’expérience lui conseillait d’être prudent, car il n’avait pas oublié que son prédécesseur avait eu des problèmes parce qu’il avait formulé trop tôt un diagnostic qui s’était révélé erroné. Non qu’il doutât de la valeur des tests préliminaires qu’il venait d’effectuer ; il y avait de très fortes probabilités qu’ils soient exacts, mais le manque de certitude absolue l’incitait à la prudence.

– Vous savez, inspecteur, je dois d’abord porter les échantillons au laboratoire de la police et achever les analyses en respectant le protocole adéquat. Ce n’est qu’après avoir réalisé tous ces tests que je pourrai dire ce que…

– Cazzo, épargnez-moi tout ça ! grogna l’inspecteur Trodela, impatient. Je ne peux pas passer trois jours à attendre les résultats du laboratoire. Je ne sais pas si vous avez saisi, mais nous sommes engagés dans une course contre la montre et si vous savez quelque chose qui peut faire avancer l’enquête, dites-le-moi tout de suite, même s’il faut ensuite la confirmation du laboratoire ! Cessez de tourner autour du pot et dites-moi plutôt quelle solution chimique vous avez trouvée sur ces fils.

Sandro comprit qu’il allait devoir parler. Après avoir regardé une dernière fois les fils de coton conservés dans le sac en plastique scellé, il révéla le résultat des tests préliminaires :

– Du chloroforme.