Cela faisait une heure que Tomás s’interrogeait sur l’inscription gravée près de la structure funéraire. Depuis qu’il se trouvait dans cette aile de la nécropole souterraine, il avait consacré tout son temps à un mausolée voisin de celui des Valerii dont l’inscription chrétienne qu’il y avait trouvée le fascinait. Les parents du défunt, sans doute une personne importante dans la société de l’époque, demandaient à saint Pierre d’intercéder pour les âmes des morts enterrés « près de lui ».
– « Près de lui »…, murmura Tomás, réfléchissant à ces mots gravés dans la pierre. Hum… intéressant.
C’était un indice supplémentaire, s’il en était besoin, que le principal compagnon de Jésus avait effectivement été enterré à proximité ; c’était la seule manière de comprendre cette requête. C’est d’ailleurs dans cette chambre que se trouvait la deuxième plus ancienne peinture connue du Christ, ce qui lui conférait un caractère encore plus particulier.
Il gribouilla quelques notes dans le journal des travaux archéologiques. Il fallait dater ces inscriptions de façon précise. Quel qu’eût été leur auteur, à l’époque où la requête avait été écrite, les ossements de saint Pierre devaient certainement se trouver encore dans le trophée de Gaius. Comment expliquer autrement la prière adressée à l’apôtre d’intercéder pour les âmes de ceux qui étaient enterrés « près de lui » ?
– Tomás ?
D’ailleurs, le travail d’un archéologue était fait de détails. La plupart des informations arrachées au passé résultaient d’indices indirects recueillis dans les fouilles. Des éléments qui, à première vue, paraissaient secondaires, voire parfaitement insignifiants, ouvraient souvent des pistes qui menaient à d’importantes découvertes. En croisant les informations et…
– Tomás !
La voix lointaine de Maria Flor parvint jusqu’à l’historien, plongé dans sa réflexion. Il sursauta et se retourna, mais ne vit que l’obscurité des catacombes.
– Qu’y a-t-il ?
– Tu peux venir ici ?
Il soupira, frustré. Tout compte fait, l’amener avec lui n’était pas une bonne idée. Il aimait travailler pendant des heures, concentré sur une tâche unique, seule façon d’être efficace, et les interruptions troublaient sa concentration.
– J’arrive.
Il se leva et esquissa une grimace de douleur ; passer autant de temps accroupi à examiner des vestiges archéologiques était non seulement fatigant, mais aussi très mauvais pour son dos. Il saisit la torche et marcha en direction de la voix de Maria Flor, vers la zone du Champ P.
Il zigzagua entre les ruines et distingua la lueur de la lampe de sa fiancée par l’ouverture percée dans le mur rouge ; elle se trouvait près du trophée de Pierre.
– Viens voir, dit Maria Flor, viens voir ça.
Tomás se faufila et repassa de l’autre côté. Elle était installée dans le trophée de Pierre, penchée sur le muret situé à l’endroit où la colonne avait disparu ; le mur faisait presque un mètre de haut et cinquante centimètres d’épaisseur.
– Qu’y a-t-il ?
– Il y a plein d’inscriptions. Regarde.
Tomás s’approcha de sa fiancée et scruta les messages sculptés dans le mur.
– Ah, oui. C’est le mur des graffitis.
– Le quoi ? s’alarma-t-elle. Ne me dis pas qu’on a vandalisé la tombe de saint Pierre !
– Non, non. Ça s’appelle le mur des graffitis parce qu’il est rempli d’inscriptions faites par les chrétiens du IIIe siècle. Le fait qu’il y ait autant de graffitis ici, ce qui n’est pas très courant, montre l’importance que les premiers chrétiens attribuaient à ce mausolée. En outre, ces inscriptions sont codées afin que seuls les initiés puissent les déchiffrer, ce qui est très intéressant et nous donne un aperçu des croyances de l’époque. (Il désigna l’une des inscriptions.) Tu vois ces deux symboles ? Il s’agit d’un chi et d’un rhô, et ensemble ils représentent le Christ.
– Ah, je vois. C’est comme sur ce caillou par terre.
– Quel caillou ?
Maria Flor se baissa et lui montra un fragment qu’elle ramassa sur le sol.
– Ça, tu vois ? Il y a aussi des signes sculptés.
L’historien le saisit et constata qu’il ne s’agissait pas d’un caillou mais d’un morceau de plâtre identique à celui du mur rouge. Il dirigea la lumière vers la surface du fragment et examina l’inscription.
– Curieux…
Il semblait tellement intrigué que son amie s’inquiéta.
– Qu’y a-t-il ?
Tomás garda le silence pendant un long moment, scrutant les contours de l’inscription et s’interrogeant sur sa signification, l’air incrédule.
– Est-ce possible ? murmura-t-il, pour lui-même plus que pour elle. Serait-ce que… que…
– Que quoi ? Que se passe-t-il, Tomás ?
Il finit par détacher les yeux du fragment et la regarda.
– Où as-tu trouvé ça ?
Elle désigna le sol, à l’endroit où le mur rouge et le mur des graffitis se rejoignaient.
– Ici. Pourquoi ?
Ouvrant hâtivement son bloc-notes, Tomás copia sur une feuille les deux mots gravés sur le fragment, l’un au-dessus de l’autre, et se mit à réfléchir. Le deuxième caractère du premier mot, celui du dessus, était un E et le dernier un I. Un peu hésitant, il ajouta un accent sur le E, de manière à obtenir un É, et compléta le haut du I avec un cercle fermé, ce qui le transforma en une sorte de P. Testant l’hypothèse qu’il avait formulée mentalement, il ajouta ensuite deux nouveaux caractères, un O et un Σ.
Il écarquilla les yeux et fit un bond.
– Eurêka !
– Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
– Tu ne vois pas ce qui est écrit ?
Il lui présenta la feuille qu’il venait de griffonner avec les mots déchiffrés sur le fragment, complétés par le POƩ final du mot du dessus.
ΠÉTPOΣ
ÉNI
Maria Flor manifesta son incompréhension.
– Je n’y comprends rien.
– Petrus eni ! s’exclama-t-il. N’est-ce pas extraordinaire ?
– Certainement, mais qu’est-ce que ça veut dire ?
L’historien était tellement excité qu’il lui fallut un instant pour se rappeler qu’elle n’était pas versée en la matière et ne pouvait donc pas suivre son raisonnement.
– Petrus c’est Pierre, écrit en caractères grecs. Et eni est une contraction d’un verbe grec qui signifie « est ici ». Petrus eni, cela veut dire « Pierre est ici » ! Tu comprends ?
Sa fiancée le dévisagea, toujours sans comprendre.
– Ici ? Où ici ?
Tomás fit un geste en direction de la colonne qui soutenait le trophée de Pierre.
– Ici, dans le mausolée !
Elle le dévisagea, les yeux écarquillés.
– Ah, je commence à comprendre ! s’exclama-t-elle. (Elle fronça les sourcils, assaillie par un doute, et observa l’annotation.) Il est écrit que saint Pierre est ici, d’accord, mais où exactement ?
La question était pertinente. L’historien examina à nouveau le fragment de plâtre : sa couleur et sa texture laissaient penser qu’il s’était détaché du mur rouge. Comme celui-ci était antérieur au mausolée, tout indiquait que quelqu’un avait utilisé le fragment pour signaler le lieu par écrit, comme sur une tablette. Les restes de Pierre se trouvaient donc quelque part dans le mur ou près de lui. C’était là qu’il fallait chercher.
Après avoir placé le fragment dans un sachet en plastique pour un futur examen en laboratoire, Tomás s’approcha de l’endroit où le mur rouge touchait le mur des graffitis, dans lequel il découvrit une ouverture ; cela ressemblait davantage à une cachette qu’à un reliquaire.
– Ça alors !
– Qu’y a-t-il ?
– Un loculus, constata-t-il. C’est un loculus.
– C’est-à-dire ?
Il glissa la main dans l’ouverture qu’il venait de découvrir. Le loculus contenait une espèce de coffre en marbre, sans couvercle, qu’il explora à tâtons.
– C’est une niche.
– Il y a quelque chose dedans ?
Après avoir tâtonné d’abord lentement, puis avec une plus grande frénésie, Tomás sortit sa main et afficha un air déçu.
– Non, rien.
– Mais alors, où peut bien être saint Pierre ?
L’historien examina également le mur rouge, puis fouilla dans les gravats qui jonchaient le mausolée. Mais il ne découvrit rien là non plus. Frustré, il s’arrêta pour considérer les différentes hypothèses. Ses yeux verts allaient de l’inscription Petrus eni sculptée dans le fragment de plâtre rouge au loculus du mur des graffitis. Était-il possible que le loculus fût vraiment vide ? Il se mit à cogiter. Selon l’inscription, saint Pierre se trouvait là, mais il n’y avait rien dans le loculus. Quelle pouvait être l’explication ?
Et si… ?
– Je sais !
Il pivota sur ses talons et, dirigeant la lampe vers l’ouverture qui conduisait au clivus le plus proche, s’en alla d’un pas rapide et déterminé ; comme s’il venait d’être chargé d’une mission.