XXXV

Le grincement de la lame se prolongea encore quelques instants dans l’église Saint-Étienne-des-Abyssins, jusqu’à ce que la machine soit enfin débranchée et que le silence s’installe à nouveau. Les ravisseurs s’assirent. Pendant de longues minutes, on n’entendit plus rien, hormis la respiration des trois hommes. Tous attendaient.

 

La voix d’Abu Bakr, celui qui semblait commander, finit par rompre le silence.

– Combien de temps encore avant qu’il se réveille ?

– Une demi-heure, lui répondit son compagnon, le dénommé Ibn Taymiyyah. Plus ou moins. Pourquoi ?

N’osant pas ouvrir les yeux, Tomás entendit des pas s’approcher et s’arrêter tout près de lui. Ce devait être le chef qui venait observer le prisonnier pour s’assurer qu’il dormait vraiment. Le Portugais demeura immobile, respirant calmement et lentement, comme plongé dans un profond sommeil.

Au bout de quelques instants, les pas s’éloignèrent et il entendit à nouveau la voix d’Abu Bakr.

– Je vais envoyer les images, annonça-t-il. Je reviens tout de suite. La porte s’ouvrit, un courant d’air envahit l’intérieur de l’église ; il cessa dès que la porte se referma. Le sanctuaire plongea à nouveau dans le silence qui n’était rompu que par la respiration posée de Tomás sur le brancard et celle d’Ibn Taymiyyah à côté de lui, qui le surveillait.

Il restait donc une demi-heure à Tomás pour feindre l’inconscience. Après cela, ils le réveilleraient, bon gré, mal gré, et l’interrogatoire commencerait, probablement avec la lame qui venait d’être affûtée. C’était donc là l’occasion. Le chef s’était absenté pour envoyer « des images », ce qui signifiait que pendant quelques minutes à peine son compagnon restait seul pour le surveiller.

C’était maintenant ou jamais.

 

Tomás savait qu’il n’avait pas beaucoup de temps pour agir, mais surtout qu’il ne pourrait rien faire sans un plan. Quel plan ? Se lever et fuir ? Les menottes l’empêchaient de bouger les mains. De plus, l’homme qui le surveillait devait être armé. En réalité, il n’avait ni le temps ni les informations nécessaires pour élaborer un plan d’action parfait. Ses seules armes à lui étaient le courage, le désespoir et l’effet de surprise. S’il voulait s’échapper, il faudrait improviser, se lancer tête baissée, comme un fou, et vendre chèrement sa peau. S’il voulait profiter de l’absence de l’autre homme, il n’y avait pas un instant à perdre. Ça devait être…

Maintenant !

 

Il se leva d’un bond et, ouvrant enfin les yeux, il vit Ibn Taymiyyah assis à côté de lui, toujours vêtu de sa blouse d’infirmier, les jambes croisées, surpris par la manière subite dont le prisonnier était passé de l’immobilité totale à un réveil vigoureux.

– Fils de chien ! réagit le ravisseur.

Avant que son gardien n’ait le temps de se lever, Tomás jeta le drap sur lui. Comme les menottes l’empêchaient d’assommer son ennemi à coups de poing, il lui saisit la tête des deux mains et lui asséna de toutes ses forces un coup de genou au visage. Le drap amortit à peine le choc, et Tomás répéta son geste deux fois jusqu’à ce qu’il sente que son ennemi s’affaiblissait. Surpris par la violence de l’attaque, l’homme avait perdu connaissance avant de pouvoir réagir.

Tomás le jeta au sol et constata qu’une tache de sang frais maculait le drap au niveau du visage.

– Tu dois être beau à voir, tiens…

Alors qu’il se retournait pour s’enfuir, il entendit un bruit métallique dans le pantalon de son ravisseur. Serait-ce les clés des menottes ? Il se baissa et, les mains toujours entravées, il sortit le trousseau de sa poche. Il compara la serrure des menottes et chacune des clés jusqu’à trouver celle dont le format semblait correspondre. Il la saisit, l’inséra dans le trou. Il tourna la clef et entendit un clic métallique lorsque les menottes s’ouvrirent.

– Hum…

Son gardien reprenait déjà ses esprits ; il n’avait pas de temps à perdre, d’ailleurs l’autre pouvait revenir à tout moment. Il se leva et lui asséna un coup de pied à la tête.

– Dors !

Si Ibn Taymiyyah ne s’évanouit pas totalement, il ne put réagir, ce qui donna à l’otage le temps dont il avait besoin pour s’échapper. Tomás courut vers la porte et l’ouvrit. Il regarda à l’extérieur : le bâtiment le plus proche était la basilique Saint-Pierre et, par chance, l’autre homme n’était pas dans les parages. La voie était libre.

Il courut vers la liberté.