L’air bouleversé de Tomás, et surtout l’histoire rocambolesque qu’il se mit à raconter sur un ton exalté, suscitèrent la méfiance des nouveaux gendarmes qui venaient d’arriver pour leur tour de garde au poste de sécurité du Palais apostolique ; tout cela leur semblait trop compliqué, et le lieutenant chargé de l’unité finit même par se convaincre qu’il avait affaire à un déséquilibré.
Cependant, l’insistance du Portugais, ajoutée à son laissez-passer signé par l’inspecteur Trodela, qui l’autorisait à circuler librement au Vatican, finirent par convaincre le chef du groupe qui prit son talkie-walkie et demanda à parler au responsable de l’enquête.
– Ici Trodela, dit une voix lasse. Que se passe-t-il ?
– Ici le lieutenant Rocco, au check-point du Palais apostolique, répondit l’officier des gendarmes. Inspecteur, j’ai devant moi un individu suspect, qui prétend vous connaître et qui a besoin de parler avec vous de toute urgence. (Il vérifia le laissez-passer.) Il s’appelle Tomaso… euh… Tomás Noronha.
– Che cazzo ! jura l’inspecteur. Le professeur Noronha n’est-il pas muni d’un laissez-passer signé par moi, qui l’autorise à circuler librement à l’intérieur du Vatican ?
– Oui, en effet mais…
– Alors, s’il a le laissez-passer, pourquoi demandez-vous mon autorisation, stronzo ? Laissez-le passer !
– Le lieutenant Rocco encaissa les reproches et l’insulte qui lui avaient été adressés.
– C’est que… enfin, il dit que… qu’il a été enlevé.
Pendant quelques instants, on n’entendit qu’un grésillement.
– Écoutez-moi bien, espèce de triple imbécile, pezzo di merda ! N’avez-vous pas reçu de votre commandant l’ordre formel de n’évoquer en aucune circonstance, sur une fréquence ouverte, la situation de Sa Sainteté ?
– Je ne parle pas de Sa Sainteté, inspecteur. Il s’agit de l’individu qui se trouve ici avec moi, le dénommé… Tomás Noronha. Il dit qu’il a été enlevé.
Nouveau grésillement, comme si l’homme de la police judiciaire doutait de ce qu’il venait d’entendre.
– Vous êtes sérieux ?
– Oui, inspecteur. M. Noronha soutient qu’il a été enlevé dans la basilique et retenu à l’église Saint-Étienne-des-Abyssins. Voulez-vous lui parler ?
Encore quelques secondes de silence ; le responsable de l’enquête semblait digérer l’information.
– J’arrive.
Toutes ces suspicions et ces vérifications commençaient à agacer sérieusement Tomás. Il venait de passer un très mauvais quart d’heure aux mains du commando islamique, et la dernière chose dont il avait besoin maintenant était qu’on doute de lui et qu’on érige de nouveaux obstacles, perdant ainsi un temps précieux qui permettrait aux ravisseurs de s’échapper.
Il fallut moins d’une minute au responsable de l’enquête pour sortir du Palais apostolique et arriver au check-point où se trouvait le Portugais.
– Professeur Noronha, l’interpella-t-il alors qu’il approchait de la barrière de sécurité. Cazzo ! Qu’est-ce que c’est que cette histoire, on vous a enlevé ?
La présence familière de l’homme de la police judiciaire apaisa Tomás. Le temps pressait et, maintenant qu’il était plus calme, le Portugais raconta brièvement ce qui s’était passé dans la basilique et dans l’église, et comment il avait réussi à s’échapper.
– L’important, inspecteur, c’est que les ravisseurs, ou du moins certains d’entre eux, sont encore ici, au Vatican. Je les ai entendus parler au téléphone avec leur chef, qui se trouve probablement là où le pape est retenu en otage. Si nous agissons rapidement, nous pouvons les attraper !
Comprenant ce qui était en jeu, l’inspecteur Trodela porta son talkie-walkie à la bouche et le brancha.
– Stefano, tu m’entends ?
– Oui, inspecteur.
– Avec tes hommes, tu vas immédiatement à la basilique et tu arrêtes tous les suspects qui s’y trouvent.
L’homme qui était à l’autre bout de l’appareil fut surpris par cet ordre.
– Il se passe quelque chose, inspecteur ?
– Tais-toi et magne-toi !
À peine l’inspecteur Trodela eut-il coupé le talkie-walkie que Tomás le tira par le bras.
– Allons tout de suite à l’église, inspecteur, dit l’historien sur un ton d’urgence. Ces types opèrent sous notre nez ! Vous allez voir, c’est incroyable !
Trodela se tourna vers le lieutenant Rocco.
– Toi et tes trois hommes, venez avec moi.
– Mais, inspecteur, nous avons l’ordre de ne pas quitter le check-point et de…
– Baciami il culo ! vociféra l’Italien, intimidant le gendarme avec ses obscénités habituelles. Tais-toi ! (Il désigna les hommes qui se trouvaient à la barrière de sécurité.) Appelle-les et viens avec moi, je ne le répéterai pas !
Le lieutenant se mit au garde-à-vous.
– Oui, inspecteur.
Une fois constitué, le groupe se mit en marche, dépassa rapidement le Cortile del Belvedere, contourna la fontaine du Sacrement et passa par la basilique pour arriver enfin à l’église Saint-Étienne-des-Abyssins.
Les deux ambulances étaient toujours devant le sanctuaire, tout comme le drapeau blanc avec la croix rouge, fixé sur la porte. Apparemment, rien n’avait changé.
– Ils sont là-dedans, dit le Portugais, en montrant le bâtiment. Comme vous le voyez, ils utilisent ce prétendu poste médical comme camouflage. Ingénieux, non ?
Arme au poing, les policiers s’approchèrent prudemment de la porte de l’église. Prêts à entrer en action, ils vérifièrent leurs armes automatiques. On entendit le cliquetis des gâchettes qu’on débloquait et des munitions qu’on vérifiait.
– Prêts ?
L’inspecteur Trodela, qui tenait des deux mains son petit Beretta, regarda le lieutenant Rocco comme s’il lui demandait s’il pouvait avancer.
– Prêts, souffla un gendarme.
– Prêts, confirmèrent les autres presque en même temps.
Après avoir jeté un regard sur les membres de son unité et s’être assuré qu’ils étaient réellement prêts, le lieutenant fit un signe de la tête et, le doigt sur la détente, il posa la main sur la poignée.
– Un… deux…
À trois, le lieutenant Rocco ouvrit la porte en grand et, suivis de l’inspecteur Trodela et de Tomás, les gendarmes envahirent la petite église.
– Tout le monde à terre !