XXXVII

Les hommes et les femmes en blouse blanche qui se trouvaient à l’intérieur de l’église s’arrêtèrent net, pétrifiés, et dévisagèrent, incrédules, les hommes en uniforme qui venaient d’entrer dans le sanctuaire avec des pistolets et des armes automatiques pointés sur eux. À leur air abasourdi, entre la surprise et l’horreur, on voyait que personne ne semblait comprendre ce qui se passait.

Le premier à s’exprimer fut un homme d’une quarantaine d’années, l’air distingué, qui portait un stéthoscope autour du cou.

– Que se passe-t-il ? demanda-t-il. Qui êtes-vous ?

L’inspecteur pointa son Beretta vers lui, l’air menaçant, et répéta son ordre.

– Police ! dit-il. Tout le monde à terre, j’ai dit. Immédiatement ! Voyant que la sommation était réelle, les personnes qui se trouvaient dans l’église sortirent de leur torpeur et obéirent. Quelques femmes gémissaient d’effroi, l’une d’elles sanglotait ; tous s’étendirent sur la pierre froide, les mains tremblantes levées pour montrer qu’ils n’étaient pas armés et ne présentaient aucune menace.

– Ne tirez pas, s’il vous plaît !

– Madonna ! Ne nous tuez pas !

L’homme qui avait parlé le premier, également couché, semblait le seul à avoir gardé son sang-froid.

– Nous sommes du service médical d’urgence, expliqua-t-il. Pourquoi nous obligez-vous à faire ça ?

Le responsable de la police judiciaire s’approcha de celui qui paraissait être le chef du groupe.

– Écoute, cazzo di merda ! Qui es-tu ?

– Je suis le docteur Giovanni Ferro, sous-directeur du service d’urgence de l’hôpital Santo Spirito, annonça-t-il, contenant mal son irritation. Nous avons été déployés à titre préventif, depuis le début de l’après-midi, à la demande du Saint-Siège.

Le dévisageant d’un air méfiant, l’inspecteur Trodela tendit la main vers lui.

– Papiers !

Le docteur Ferro sortit son portefeuille et le tendit à l’enquêteur.

– Voici ma carte d’identité, ma carte de membre de l’ordre des médecins, ainsi que mon badge de l’hôpital.

L’inspecteur Trodela prit les documents et les vérifia un par un. Ils paraissaient authentiques et les photographies correspondaient effectivement à l’homme qui se trouvait à ses pieds. Assailli par le doute, il prit à nouveau son talkie-walkie.

– Giulio, tu m’entends ?

Une voix lui répondit aussitôt.

– Qui m’appelle ?

– Ici Trodela. Dis-moi, est-ce qu’on a déployé un service médical d’urgence au Vatican à cause de… de… enfin, de la situation ?

– Affirmatif inspecteur. J’ai demandé à l’hôpital Santo Spirito de nous envoyer une unité à titre préventif, comme le prévoit le protocole dans ce type de situation. L’unité a été installée dans une petite église, derrière la basilique. Pourquoi cette question inspecteur ? Quelqu’un a besoin d’assistance médicale ?

– C’est simplement pour vérifier. Est-ce que tu connais, par hasard, le nom du chef de l’unité ?

– Je crois que c’est le docteur Ferro, inspecteur. Vous voulez que je l’appelle ?

– Comprenant qu’il avait commis une erreur, une grave erreur, l’inspecteur Trodela soupira lourdement ; il avait pointé son arme sur le responsable de l’équipe d’urgence de l’un des plus prestigieux hôpitaux de Rome et l’avait traité de cazzo di merda.

– Ce n’est pas nécessaire.

Puis il se retourna et de la main fit signe à ses hommes que tout était en ordre. Les gendarmes baissèrent leurs armes tandis que l’inspecteur de la police judiciaire rendait ses documents au docteur Ferro, qui demeurait allongé par terre.

– Mes excuses, docteur, dit-il sur un ton hésitant et embarrassé. Nous avions… enfin, on nous a dit que… que…

Le responsable de l’équipe d’urgences médicales se leva, visiblement contrarié et, d’un geste brusque, il prit les documents de la main du policier.

– Les choses ne vont pas en rester là, je vous le garantis, affirma-t-il d’un ton froid. Jamais de ma vie je n’ai été traité de la sorte. (Il leva l’index pour insister.) Jamais, vous entendez ? Vos supérieurs seront informés de votre comportement indigne. J’en parlerai au ministre s’il le faut !

 

L’inspecteur Trodela lança à Tomás un regard plein de ressentiment. Le Portugais était resté planté près de la porte, constatant, interloqué, qu’ils avaient affaire à d’authentiques médecins et infirmiers. Comment était-ce possible ?

– Ces documents sont peut-être des faux, inspecteur. Le policier écarquilla les yeux, irrité.

– La seule chose fausse ici, c’est votre histoire d’enlèvement, professeur…

Inquiet de voir que l’inspecteur Trodela commençait à douter de lui, Tomás se dirigea d’un pas rapide vers le docteur Ferro. Cette affaire devait être tirée au clair à tout prix.

– Docteur, vous n’auriez pas vu passer deux Arabes portant un brancard ?

Le médecin le regarda, étonné.

– Des Arabes ? De qui parlez-vous ?

Comprenant que le docteur Ferro n’avait rien vu, l’historien se tourna vers les autres membres de l’équipe médicale.

– Personne n’a vu deux hommes en blouse blanche, dehors, qui ne faisaient pas partie de votre équipe ?

Les médecins et les infirmiers se regardèrent, sans même prendre la peine de lui répondre ; on comprenait, à leur expression, qu’ils jugeaient que l’homme qui les interrogeait devrait être pris en charge par un psychiatre de l’hôpital.

L’inspecteur Trodela posa la main sur le bras de Tomás.

– Professeur…

– Ils m’ont attaqué dans la basilique et m’ont amené ici !

– Dans cette église ?

– Oui, mais… nous sommes entrés par une autre porte et ils m’ont emmené dans une espèce de débarras.

– Quelle autre porte ?

Ce n’est qu’à ce moment que le Portugais comprit qu’ils n’étaient pas entrés par la bonne porte. C’était bien cette église, il n’y avait pas le moindre doute là-dessus, mais le lieu où on l’avait conduit se situait plus à l’arrière. Ils venaient de perdre plusieurs minutes précieuses. Arriveraient-ils à temps ?

– Venez.

– Où ?

Il tira l’inspecteur Trodela par le coude, conscient qu’il serait sans doute trop tard.

– Vite !