Le Portugais sortit de l’église Saint-Étienne-des-Abyssins, suivi du responsable de la police judiciaire et des gendarmes. Contournant le sanctuaire d’un pas rapide, ils parvinrent à la porte latérale que Tomás reconnut aussitôt ; il s’agissait bien de l’endroit d’où il s’était échappé quinze minutes plus tôt.
– C’est cette porte !
Les policiers répétèrent l’opération qu’ils avaient menée devant la porte principale.
Après avoir vérifié que ses hommes étaient prêts, le lieutenant Rocco compta jusqu’à trois et ouvrit la porte latérale, laissant les gendarmes envahir l’arrière de l’église avec leurs armes.
– Police ! cria l’inspecteur Trodela. Tout le monde à terre !
Ils furent accueillis par un silence absolu. Comme il faisait sombre, un gendarme alluma une torche. La lueur éclaira l’intérieur, mais les nouveaux venus ne détectèrent rien. Le lieutenant Rocco finit par trouver l’interrupteur électrique et alluma la lumière. La pièce était complètement déserte.
– Il n’y a personne ici.
Les policiers inspectèrent les lieux sans découvrir le moindre suspect. Tomás lui-même s’agenouilla pour essayer de déceler des traces ; il espérait trouver au moins quelques gouttes de sang par terre, à cause des coups de genou qu’il avait assénés à Ibn Taymiyyah, mais il ne trouva rien.
– Ils se sont enfuis.
L’inspecteur Trodela allait ajouter quelque chose quand son talkie-walkie se mit à grésiller.
– Inspecteur, ici Stefano. Vous m’entendez ?
Stefano était l’adjoint de Trodela qu’il avait envoyé quelques minutes plus tôt à la basilique avec l’ordre d’arrêter toute personne qu’il rencontrerait.
– Ici Trodela. J’écoute.
– Nous avons fini d’inspecter la basilique et nous n’avons rien trouvé de suspect. Tout est désert.
– Cazzo ! Tu en es sûr ?
– Absolument. Nous sommes en train de sortir.
L’inspecteur Trodela débrancha son talkie-walkie et dévisagea Tomás avec méfiance. Le Portugais comprit qu’il avait épuisé son crédit auprès de la police judiciaire.
– Écoutez, je n’ai rien inventé, se sentit-il obligé de dire. J’ai été attaqué à l’intérieur de la basilique et transporté sur un brancard par deux hommes déguisés en médecins. (Il réalisa que son histoire sonnait faux ; il disait la vérité mais celle-ci était si rocambolesque qu’elle paraissait incroyable.) Ça m’est vraiment arrivé, je n’invente rien, ce n’est pas ma faute si…
– Professeur…
– … personne n’a rien vu. Ils m’ont amené ici et ils se préparaient à m’interro…
– Professeur !
Cette fois il ne s’agissait pas d’une interpellation, mais d’une injonction sur un ton accusateur. La manière dont le policier l’avait regardé en lui coupant la parole ne laissait aucun doute : cette fois, la conversation était terminée.
– Je vous dis la vérité.
L’inspecteur Trodela le dévisagea pendant un long moment avant de lancer :
– Professeur Noronha, je vous arrête.
– Tomás ouvrit la bouche, incrédule. Il comprenait que le responsable de la police judiciaire n’ait plus confiance en lui, après les invraisemblances de son histoire et, surtout, l’humiliation qu’il avait subie devant l’équipe médicale. Mais de là à l’arrêter, la réaction semblait excessive, voire tout à fait disproportionnée.
– Vous m’arrêtez ? Vous êtes devenu fou ?
– Le fou ici ce n’est pas moi, professeur. À partir de maintenant, vous êtes en état d’arrestation.
– Mais… pourquoi ? De quoi suis-je accusé ?
Jusqu’à présent, l’inspecteur Trodela avait contrôlé sa fougue, mais à ce moment-là il pointa le doigt vers l’historien, comme un procureur dans un procès, et, rouge comme une tomate, il explosa :
– Tu n’es qu’un caga cazzo, un stronzo, un testa di minchia ! Vai a farti fottere, pompinaro di merda !
Bien qu’il parlât couramment l’italien, les insultes étaient si nombreuses, prononcées avec une telle rapidité, et d’une telle vulgarité, que Tomás ne les comprit pas toutes.
– De quoi m’accusez-vous ?
– Je t’accuse d’outrage à l’autorité et d’ingérence dans une enquête en cours, espèce de faccia culo ! Je vais te mettre hors d’état de nuire pendant le reste de l’enquête, tu m’entends ? Che ti morisse la mamma !
Les épaules basses, Tomás se résigna. Si on se méfiait de lui au point de vouloir l’écarter de l’affaire, pourquoi devrait-il s’en faire ?
– Comme vous voudrez, inspecteur. Permettez-moi de vous rappeler que je n’ai pas demandé à être mêlé à tout ça, dit-il calmement. Il me paraît inutile, cependant, de…
– Tu ne crois tout de même pas que je vais en rester là, segaiolo ! rugit le policier italien. Tu m’as fait perdre mon temps avec tes balivernes en plein milieu d’une crise comme celle-là ! Vai a farti fottere ! Sache que, le moment venu, tu devras répondre devant la justice d’outrage à la police et d’entrave à l’enquête !
– Mais… mais…
Trodela lui tourna le dos avec mépris et se dirigea vers la porte par laquelle Tomás était passé en courant quelque temps auparavant, pour échapper à ses ravisseurs. Avant de sortir, il fit un signe au lieutenant Rocco en montrant le Portugais du pouce.
– Emmenez-le.