XLI

Un groupe de carabiniers armés de fusils automatiques contrôlait l’accès à la place Saint-Pierre, mais Tomás, adossé à un pilier de la colonnade du Bernin, ne se laissa pas perturber ; en fin de compte, il avait réussi à sortir du Vatican sans être importuné. Présenter le laissez-passer que l’inspecteur Trodela lui avait remis en début d’après-midi avait suffi pour que les gardes au poste de contrôle lui ouvre le barrage sans le moindre problème. Il était clair que tout le monde avait d’autres préoccupations en tête.

 

Cela faisait à peine une quinzaine de minutes que la nouvelle de l’enlèvement du pape et la vidéo avaient été diffusées, mais déjà une foule convergeait vers la grande place, en pleurs, les visages graves, les yeux plein d’angoisse. Si les terroristes mettaient leur menace à exécution et assassinaient le chef de l’Église, qu’adviendrait-il de tous ses fidèles ? Quelques instants auparavant, l’armée italienne avait positionné des véhicules blindés autour des murailles léonines et des policiers à cheval quadrillaient le périmètre, tandis que les grandes chaînes de télévision arrivées avec leurs véhicules satellites montaient rapidement leur équipement afin de commencer à diffuser en direct du Vatican. Le cirque médiatique s’installait, et à partir de maintenant, pensa le Portugais, cela ne pouvait qu’empirer.

Une femme aux cheveux blonds et aux yeux clairs apparut sous les colonnades et traversa la place Saint-Pierre d’un pas rapide en direction du palais des Congrégations. Apercevant les équipes de télévision, elle fit un détour pour les éviter et disparaître dans la masse des croyants qui avaient accouru sur les lieux.

Lorsqu’elle arriva devant le bâtiment et sortit la clé de son sac pour l’introduire dans la serrure, l’historien quitta la colonne et vint se placer aussitôt derrière elle.

 

– Qui est monseigneur Dardozzi ?

Au son de la voix dans son dos, Catherine Rauch sursauta. Elle se retourna et dévisagea Tomás, les yeux écarquillés et l’air terrorisé.

– Mon Dieu ! s’exclama-t-elle en posant la main sur sa poitrine comme si elle pouvait ainsi contrôler les battements désordonnés de son cœur. Vous m’avez fait peur !

Le Portugais gardait les bras croisés et la dévisageait tranquillement.

– Qui est monseigneur Dardozzi ?

Remise de sa frayeur, la Française fixa Tomás avec un air incrédule et, comme si elle avait enfin recommencé à réfléchir, elle regarda frénétiquement autour d’elle pour s’assurer que personne ne les observait avant de le dévisager à nouveau, cette fois-ci comme si elle le disséquait.

– Tomás, que faites-vous ici ? demanda-t-elle, la voix tremblante. Vous ne savez pas qu’ils veulent vous arrêter ? L’inspecteur Trodela m’a même dit qu’il avait donné l’ordre de vous incarcérer.

– Je dirais qu’à présent l’inspecteur Trodela doit avoir des sujets de préoccupation bien plus importants, vous ne pensez pas ?

C’était évident, Catherine ne se donna même pas la peine de répondre. Au lieu de cela, elle le dévisagea de la tête aux pieds.

– Vous avez besoin d’aide ?

– J’ai besoin que vous répondiez à ma question, dit l’historien.

Qui est monseigneur Dardozzi ?

Elle prit un air dubitatif.

– Monseigneur Dardozzi ? Pourquoi me demandez-vous cela, à un moment aussi tragique ? Vous êtes devenu fou ?

– Vous n’avez pas vu la vidéo du pape ?

La question fit trembler la Française, qui respira profondément et secoua la tête avec tristesse.

– Quelle horreur, quelle horreur ! murmura-t-elle, le cœur lourd, comme si elle revoyait les images sur le petit écran. Je me trouvais avec Son Éminence dans les appartements du pape lorsque nous avons vu cette vidéo monstrueuse à la télévision. Vous ne pouvez pas imaginer ce que j’ai ressenti ! Vous ne pouvez pas imaginer ! Son Éminence est complètement atterrée, totalement anéantie. Elle a éclaté en sanglots lorsqu’on a commencé à diffuser la vidéo et moi aussi, je me suis mise à pleurer et… et…

Tomás la serra dans ses bras.

– Allons, allons, calmez-vous, murmura-t-il, en tentant de la réconforter. Calmez-vous.

 

Catherine posa sa tête sur son épaule et, en sanglots, elle laissa les larmes glisser sur ses joues. Puis elle se détacha et, recouvrant ses esprits, elle le dévisagea de nouveau avec un regard effrayé.

– Mon Dieu, Tomás, qu’allons-nous devenir ? Qu’allons-nous devenir dans ce monde où des hommes sont capables d’égorger le pape devant les caméras de télévision ?

Tomás ne partageait pas son sentiment, non qu’il fût insensible, mais parce qu’il ne pouvait s’offrir le luxe de céder aux émotions. Il fallait absolument que quelqu’un garde les idées claires, et il était fermement résolu à être celui-là. Le monde pouvait s’effondrer, il garderait sa lucidité et son sang-froid.

– C’est terrible, je sais, acquiesça-t-il, d’une voix basse et apaisante. Nous devons tous affronter cette situation avec courage et faire de notre mieux pour en sortir. C’est pour ça qu’il faut que vous répondiez à ma question. Qui est monseigneur Dardozzi ?

Une expression de perplexité se dessina de nouveau sur le visage de Catherine.

– Pourquoi voulez-vous le savoir ?

Il baissa la tête vers elle, comme s’il voulait partager un secret.

– À cause de la vidéo.

– La vidéo ?

– Vous n’avez pas remarqué que le pape a demandé que monseigneur Dardozzi prie pour lui ? Mais qui est-il, qui est ce monseigneur Dardozzi ?

La responsable de la COSEA réalisa que la question était bien plus pertinente qu’elle ne l’avait d’abord pensé.

– C’est… c’était un prélat, ici, au Saint-Siège.

– C’était ?

– Il est mort.

– Et le pape le sait ?

– Bien sûr !

Tomás se tut un moment, s’efforçant d’évaluer la portée de ces informations.

– Mais alors, s’il le sait, pourquoi a-t-il utilisé le peu de temps de parole que lui ont accordé les terroristes pour demander à ce monseigneur Dardozzi de prier pour lui ? Comment un mort peut-il prier pour le pape ? Cela n’a aucun sens.

Excellente question, se dit Catherine, qui ne prenait conscience qu’à ce moment-là de l’incongruité de la demande du souverain pontife. En effet, pourquoi demander à un prélat mort de prier pour lui à un moment aussi grave ?

 

La Française se retourna vers l’entrée du palais des Congrégations, introduisit la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Elle fit deux pas à l’intérieur du bâtiment et regarda Tomás, qui était resté planté dehors, attendant une réponse.

– Venez, je vais vous raconter ce que je sais.