XLIV

Le nom du prélat qui avait fait le ménage à l’IOR à la suite du scandale de la banque Ambrosiano appela l’attention de Catherine. La Française détourna une fois de plus les yeux de l’écran et regarda Tomás avec l’air interrogateur de celle qui ne comprenait pas où il voulait en venir.

 

– Dardozzi ? Oui, et alors ?

Le Portugais montra une page du dossier qu’il consultait.

– C’est ici ! Vous voyez ? Renato Dardozzi !

La chef de l’équipe des auditeurs s’approcha à nouveau et considéra la ligne qui portait le nom de Dardozzi.

– Tout à fait. Lorsque monseigneur Dardozzi est mort, il a fallu vider ses armoires à l’IOR. Le problème, c’est qu’il n’y avait personne à qui remettre les biens qui s’y trouvaient et on ne pouvait pas les jeter. Alors, ils ont été rassemblés et conservés. C’est pour cela que ses affaires apparaissent dans l’inventaire. C’est tout à fait normal.

 

Une fois de plus, elle n’accorda aucune signification particulière à cette découverte, tandis que Tomás n’était guère disposé à classer le dossier. La moindre piste, si insignifiante fût-elle, devait être considérée.

– Et où sont gardées les affaires de monseigneur Dardozzi ?

La chef de la COSEA prit la chemise et consulta le cahier de l’IOR contenant l’inventaire des documents des anciens gestionnaires et fonctionnaires. Une expression de surprise se dessina sur son visage.

– Oh !

– Quoi ? s’étonna le Portugais en la voyant tout à coup intriguée. Qu’avez-vous trouvé ?

Catherine désigna un symbole imprimé à droite du nom de monseigneur Dardozzi.

– Vous voyez ça ? C’est le sceau du pape.

– Ah bon ? s’étonna Tomás. Et qu’est-ce qu’il vient faire là ?

– Vous savez ce qu’est un sceau papal n’est-ce pas ?

– Dans mon activité d’historien, il m’est souvent arrivé de travailler sur des sceaux papaux, très chère. Une fois, j’en ai même examiné un extrêmement important, décoré avec des cordons de soie, vous voyez de quoi je parle ?

– Oui, mais vous savez à quoi servent les sceaux papaux ?

– Ils sont utilisés dans des documents auxquels le pape attribue une très grande valeur, et auxquels il veut donner son approbation, par exemple les bulles. Tout historien sait ça.

Elle le regarda avec un air sibyllin, comme si la présence du sceau papal dans un inventaire représentait un mystère.

– Certes, mais en l’occurence, cela signifie que Sa Sainteté a ordonné de mettre ces documents sous scellés. (Elle fit une moue.) Ça n’a pas de sens.

– Pourquoi ? Ce n’est pas habituel ?

– Bien sûr que non.

– Les sceaux papaux ont-ils une autre fonction que je ne connais pas ?

– Eh bien… ils sont effectivement utilisés dans les cas que vous avez évoqués, notamment pour conférer une portée particulière à un document ou signifier que Sa Sainteté l’approuve, mais dans le cas présent, il n’a pu être utilisé que parce qu’il s’agit de…

Elle se tut, comme si elle venait de saisir le sens de sa découverte.

– De quoi ?

La Française rougit, comprenant qu’elle avait involontairement aiguisé sa curiosité. Elle sentait qu’elle devait terminer sa phrase mais, en réalité, elle ne pouvait le faire sous peine d’accroître ses soupçons.

– C’est… c’est… enfin, ce n’est rien.

– Dites-moi, insista-t-il. C’est quoi ?

– Rien, rien…

Tomás la dévisagea d’un air particulièrement sévère, montrant qu’il n’avait aucune intention de céder.

– Écoutez, Catherine, la vie du pape est en grand danger. (D’un geste, il désigna le téléviseur qui se trouvait dans le bureau.) Dans la vidéo où il est apparu, il a décidé de faire une allusion à monseigneur Dardozzi. L’intéressé étant mort, il s’agit évidemment d’une piste qu’il veut nous indiquer. Nous devons donc la suivre, vous comprenez ? Or, cette piste nous a conduits à ces documents. Ils peuvent être très importants, ou ne rien valoir du tout, je l’ignore. Mais nous devons le vérifier et le temps presse, car les choses les plus insignifiantes peuvent se révéler capitales. (Il adoucit sa voix, tout en conservant un ton de fermeté.) S’il vous plaît, expliquez-moi ce que vous savez et ne me racontez pas d’histoires. La vie du chef de l’Église et de bien d’autres personnes en dépend !

 

– Je…

Tomás la dévisagea intensément, comme un juge qui accorde une dernière chance à un accusé.

– Étant donné que nous avons affaire à des archives, que signifie la décision du pape d’apposer son sceau sur ce document ?

Catherine soupira. En effet, compte tenu de la vidéo, il pouvait s’agir d’un élément crucial pour comprendre l’allusion du pape à monseigneur Dardozzi. Elle montra le signe imprimé sur la feuille.

– Comme je vous l’ai dit, le pape utilise son sceau dans différentes circonstances. Dans le cas présent, je dirais que Sa Sainteté l’a apposé parce qu’elle a estimé que le document en question ne… enfin, ne doit être vu par personne.

– Tomás posa un regard vitreux sur Catherine, se demandant si elle s’était correctement exprimée ou s’il avait mal compris.

– Ça signifie que le pape a vu les documents de monseigneur Dardozzi qui se trouvaient dans les tiroirs ?

– Oui, il les a vus.

Le ton sur lequel Catherine avait répondu indiquait que la remarque de Tomás était correcte, mais incomplète.

– Et après les avoir vus, il a conclu qu’ils devaient rester secrets ? C’est ça ?

Elle confirma d’un léger mouvement de la tête.

– C’est exactement ça.

L’historien eut alors la certitude qu’il était sur la bonne piste. Tout concordait. Pour une raison ou pour une autre, le pape avait attiré leur attention sur monseigneur Dardozzi. Pourquoi ? Qu’y avait-il dans la vie de Renato Dardozzi qui était susceptible de les éclairer ? Était-ce vers ces dossiers sur lesquels il avait fait apposer son sceau que le chef de l’Église voulait les conduire ?

– Où sont conservés les documents ?

– Eh bien… à l’IOR je suppose.

– Alors nous devons y aller.

Elle l’interrogea du regard, comme si sa proposition était absurde.

– Maintenant ?

– Oui, maintenant. Il y a un problème ?

– L’IOR est fermé.

– Et on ne peut pas l’ouvrir ?

– C’est-à-dire que… vous semblez oublier que vous êtes sous le coup d’un mandat d’arrestation. Nous devrons donc aller voir Son Éminence et tout lui expliquer. Ensuite, Son Éminence contactera le président de l’IOR, qui, si je ne m’abuse, n’est pas à Rome, et lui demandera…

– En procédant ainsi, on y sera encore demain, coupa Tomás qui s’impatientait. Pourquoi ne forçons-nous pas l’entrée de la banque du Vatican ?

– Forcer l’entrée ?

L’historien lui indiqua sa montre.

– Vous avez vu l’heure ? Vous savez qu’il sera bientôt minuit ? Le temps presse et nous avons encore beaucoup à faire. Nous devons entrer dans la banque du Vatican, trouver les documents laissés par monseigneur Dardozzi et les lire. C’est beaucoup pour qui n’a pas de temps à perdre. Nous devons brûler les étapes. S’il est plus rapide de cambrioler la banque, eh bien cambriolons-la !

Elle secoua la tête.

– Ce n’est pas si simple, répondit-elle, déterminée à ne pas commettre de folies. Le système de sécurité de l’IOR est très perfectionné. Il ne suffit pas d’y aller, de défoncer la porte, et hop ! Non, ça ne se passe pas comme ça.

– Alors, comment ?

 

Catherine s’approcha du mur où était accrochée une carte de la Cité du Vatican.

– Comme vous le savez, l’IOR se trouve ici, dit-elle, en indiquant un point à proximité du Palais apostolique. On ne peut y accéder que par la cour Sixte-V. L’entrée est surveillée vingt-quatre heures sur vingt-quatre par les gendarmes. À l’intérieur, il y a plusieurs coffres. À supposer que l’on parvienne à tromper les gardes, et nous n’y parviendrons pas, il nous faudrait connaître la combinaison des coffres. Rien que l’on puisse faire en quelques heures, vous pouvez l’imaginer.

Tomás se frotta le menton. Le cambriolage aurait été un acte désespéré, mais il devait se rendre à l’évidence, c’était tout simplement irréaliste. Une telle opération aurait exigé des mois de préparation. Toute improvisation était vouée à l’échec.

– Bon, alors il faudra s’adresser à Son Éminence, accepta-t-il. (Il fit un signe en direction de la chemise.) Regardez s’il y a une indication plus précise de l’endroit où pourraient se trouver les documents.

 

La Française passa rapidement en revue le dossier contenant l’inventaire de l’IOR. Elle feuilleta plusieurs pages, sans rien trouver de pertinent. Cependant, elle ne renonça pas. Après quelques secondes de réflexion, elle ouvrit un nouveau tiroir d’où elle sortit une nouvelle chemise. Elle l’ouvrit et commença à farfouiller dedans.

– Qu’est-ce que c’est ?

– C’est le dossier avec le compte rendu des archives de l’IOR, répondit-elle, tout en consultant les documents. J’essaye de comprendre dans quelle salle de l’IOR les biens de monseigneur Dardozzi ont été placés afin que nous pu… (Soudain, elle écarquilla les yeux.) Oh !

– Qu’y a-t-il ?

Elle indiqua une ligne.

– Regardez ça ! Les documents de monseigneur Dardozzi revêtus du sceau papal sont… sont ici !

– Ici où ?

– Dans les archives de l’IOR du palais des Congrégations.

– Où ?

Catherine le dévisagea avec une expression mêlée de surprise, d’incrédulité, voire d’amusement, et pointa le doigt vers le sol.

– Ici.