XLV

Dans la cour de la cave du palais des Congrégations, à côté de l’accès au garage où tous deux s’étaient retrouvés en fin de matinée, la porte avait un aspect particulièrement massif. On aurait dit le coffre-fort d’une banque. Tomás s’en approcha et posa la paume de la main sur la surface, lisse et froide comme du métal.

– Elle est blindée.

Catherine se mordit la lèvre inférieure.

– Ce n’est pas étonnant, dit-elle. Après tout, ce sont les archives confidentielles de l’IOR. Nous pouvions nous douter qu’ils n’allaient pas garder ici tous leurs secrets sans les protéger.

– Et alors, comment allons-nous faire pour entrer ?

Il entendit le tintement du métal et il se retourna. La Française avait sorti un trousseau de clés de son sac.

– Pourquoi ne pas l’ouvrir ? L’historien ouvrit la bouche, ébahi.

– Vous avez la clé de cette porte ?

La chef de la COSEA commença à vérifier les clés l’une après l’autre.

– N’oubliez pas que je suis la responsable de l’équipe d’auditeurs du Vatican, rappela-t-elle. Sa Sainteté m’a donné accès à la totalité des archives du Saint-Siège, y compris celles-ci.

– Et vous êtes déjà venue ici ?

Ayant trouvé la bonne clé, Catherine l’introduisit dans la serrure.

– Sa Sainteté m’a dit qu’il y avait d’autres priorités, se justifia-t-elle en tournant la clé. C’est donc la première fois que j’entre ici. (La porte s’ouvrit et la Française fit un pas en avant, se tournant vers Tomás pour l’inviter à la suivre.) Vous venez ?

 

Ils entrèrent dans une salle à l’aspect vétuste, dont les murs étaient dissimulés par des armoires grises, avec des tiroirs du sol au plafond. Il y avait de la poussière partout et dans l’air planait une odeur de renfermé ; cela devait faire très longtemps que personne n’était entré. Le style des armoires semblait plutôt ancien, sans doute des années cinquante, et sous la poignée de chaque tiroir, une étiquette dactylographiée, en papier, identifiait les dossiers.

– Pour quelle raison la banque du Vatican conserve-t-elle ici ses archives confidentielles, plutôt qu’en son siège ?

– Bonne question, observa la chef de la COSEA. J’avoue que je l’ignore. Je suppose que ce lieu n’étant pas associé à l’IOR, il est considéré comme plus sûr.

 

Ils se séparèrent. L’un alla contrôler les armoires du mur de gauche, tandis que l’autre se chargea de celles de droite ; il devait y avoir près de quatre-vingts tiroirs. Somme toute, ce n’était pas insurmontable et les étiquettes apposées sous les poignées allaient beaucoup les aider. L’une indiquait « Radio Vatican », l’autre « L’Osservatore Romano », une autre encore « Musée chrétien » et ainsi de suite.

Le premier tiroir qui attira vraiment l’attention de l’historien se trouvait en haut de la deuxième armoire qu’il inspecta. Comme sur toutes les autres, il comportait une indication en lettres rouges, probablement dactylographiées avec une vieille machine à écrire.

« Leurs Saintetés »

– Un tiroir consacré aux papes ? s’étonna Tomás.

À l’intérieur étaient rangées toute une série de chemises. Il en prit une et vérifia le nom.

« Benedictus XVI ». Il l’ouvrit et examina ce qui s’y trouvait ;

il s’agissait des coordonnées du compte bancaire de Joseph Ratzinger.

– Le pape Benoît XVI a un compte à la banque du Vatican ?

– Bien sûr, répondit Catherine machinalement, concentrée sur ses tiroirs. Les papes sont des êtres humains, vous ne savez pas ? Ils ont comme tout le monde leurs revenus et leurs dépenses.

– C’est le compte no 39887, ouvert au nom de Joseph Ratzinger. (Il vérifia les opérations.) Eh bien, il a gagné beaucoup d’argent ! Vous savez combien il a reçu, en un seul versement, en mars 2010 ? Près de deux millions et demi d’euros !

Incrédule, la Française écarquilla les yeux, scandalisée, et se retourna.

– Où avez-vous vu ça ?

Tomás se tourna vers elle et lui montra l’extrait de compte.

– Ici. C’est le dossier relatif au compte de Benoît XVI à la banque du Vatican.

La chef de la COSEA s’approcha de lui et consulta le document. Tout en bas de la page figurait le montant mentionné, en chiffres : 2 400 000 euros.

– Mince ! C’est une sacrée somme ! (Elle examina les références de l’opération.) Apparemment, elle provient d’un fonds au nom du pape.

– Mais il y a encore des opérations, indiqua le Portugais, en montrant d’autres extraits. Regardez ici, un autre virement. Et ici, encore trois. Benoît XVI recevait pas mal d’argent, dites-moi. (Le doigt glissa vers la gauche, où se trouvaient indiquées les références du donneur d’ordre, le Fonds Benoît XVI.) Vous avez remarqué, l’auteur des virements est presque toujours le même.

L’auditrice vérifia le nom.

– Ce sont ses livres ! constata-t-elle. Vous ne savez pas que le pape Benoît XVI a publié plus de cent trente ouvrages ? Cette somme représente les droits d’auteur qu’il a perçus. Durant son pontificat, les ventes ont explosé partout dans le monde et… et apparemment Ratzinger est devenu riche.

 

Pendant que Catherine vérifiait le compte de Benoît XVI, Tomás farfouillait dans les autres chemises qui se trouvaient dans le tiroir intitulé « Leurs Saintetés ». Il en sortit une autre et lut le nom. « Paulus VI ».

Il l’ouvrit et consulta les extraits successifs. Il constata avec surprise que les numéros de compte associés au titulaire variaient d’une feuille à l’autre. L’un était le 26400-042, décrit comme le compte personnel de Paul VI, l’autre le 26400-035.

– Ça alors ! s’étonna-t-il. Le pape Paul VI a plusieurs comptes.

Toujours plongée dans le dossier de Benoît XVI, la Française jeta un coup d’œil sur la chemise que l’historien avait ouverte.

– Avait, corrigea-t-elle. Que je sache, le pape Paul VI est mort.

– Ah ! lança Tomás, en posant l’index sur une ligne. Les comptes sont toujours ouverts.

Nouvelle surprise. Catherine contrôla les dates imprimées sur le dossier dont le titulaire était Giovanni Battista Montini, le nom de Paul VI, et confirma que c’était bien le cas.

– Mon Dieu, vous avez raison. (Elle était perplexe.) Comment est-ce possible ?

– En quoi cela pose-t-il un problème que ces comptes soient toujours ouverts ?

– Lorsque le titulaire d’un compte décède, celui-ci doit être clôturé, tout simplement. Le fait qu’il reste ouvert soulève plusieurs questions inquiétantes. Comment se fait-il qu’il soit toujours actif alors que son titulaire est décédé ? Quelqu’un l’utiliserait-il pour effectuer des opérations ? Si oui, qui ?

– Peut-être un héritier.

– À l’IOR ? Les seules personnes ou entités qui peuvent ouvrir un compte à l’IOR appartiennent à l’Église catholique. Les laïcs n’ont pas accès à l’IOR.

Tomás acquiesça.

– Dans ce cas, nous avons du pain sur la planche.

– On dirait, en effet.

Le Portugais désigna les différents numéros de compte mentionnés dans les extraits.

– Notez que le pape Paul VI disposait de plusieurs comptes, insista-t-il. Le solde du compte 26400-042 s’élève encore à 125 031 euros. Le compte avec le même numéro, mais se finissant par 035, affiche un solde de 298 051 euros. Le compte…

– Ce n’est pas nécessairement anormal, précisa la chef des auditeurs. Le pape Paul VI a vécu à une époque de grande instabilité des changes et il était fréquent que les gens disposent de plusieurs comptes en différentes monnaies. Si la lire baissait, ils se rattrapaient avec le dollar. Si le dollar venait à faiblir, alors ils compensaient avec le mark. Il est clair qu’avec la création de l’euro, tout cela avait moins de sens.

 

Tandis qu’elle parlait, Tomás remit la chemise consacrée à Paul VI dans le tiroir et en sortit une autre, appartenant à « Johannis Paulus I ». Il l’ouvrit et regarda à l’intérieur.

– Le solde du compte du pape Jean-Paul Ier est de cent dix mille euros, constata-t-il. Et, bien qu’Albino Luciani soit mort en 1978 dans des circonstances peu claires, le compte est toujours ouvert.

Catherine secoua la tête avec une expression d’incrédulité.

– Comment est-ce possible ? se demanda-t-elle, perplexe. Qui peut bien gérer ces comptes ?

Les questions étaient pertinentes, mais le Portugais se lassa rapidement de consulter les comptes bancaires des papes, et il replaça les chemises dans le tiroir ; rien de tout cela ne semblait présenter le moindre intérêt pour la question qui les préoccupait.

– Assez de comptabilité, dit-il sur un ton sentencieux, en passant à l’armoire suivante. Nous devons nous dépêcher car nous n’avons pas beaucoup de temps pour trouver ce que nous cherchons.

– La chef de la COSEA avait bien envie de continuer à examiner le contenu de ce tiroir, mais Tomás avait raison. Elle rangea également la chemise consacrée à Benoît XVI, ferma le tiroir « Leurs Saintetés » et revint à sa rangée d’armoires.

 

« À vrai dire, se demanda Tomás, que cherchons-nous exactement ? » Les tiroirs étaient consacrés à des thèmes variés ; l’un indiquait « Nonciatures pontificales », un autre « Suisse », un autre encore « Corps de la gendarmerie », et ainsi de suite. Où trouver une piste au milieu de tout cela ? Le tiroir intitulé « Suisse » était certainement très intéressant, car elle devait concerner les relations entre l’IOR et les banques suisses, dans lesquelles, grâce au secret bancaire, il était possible de cacher des sommes importantes d’origine douteuse, mais cela valait-il la peine de perdre un temps précieux avec ça ? Non, certainement pas.

 

– J’ai trouvé !

Il se retourna. La Française était plantée devant une armoire de l’autre côté de la salle et examinait un tiroir.

– Vous avez dit quelque chose ?

Elle était absorbée par ce qu’elle venait de découvrir et ne répondit pas immédiatement. Tomás s’approcha d’elle, intrigué par son exclamation et par le tiroir qu’elle regardait sans l’avoir encore ouvert. Catherine se tourna vers lui et lui montra l’étiquette.

– Regardez ça.

Dactylographiés à l’encre rouge près de la poignée, deux mots magiques.

« Monsignor Dardozzi »

C’était le dossier qu’ils cherchaient.