LIV

Surpris, Tomás mit du temps à réagir et, avant qu’il s’en rende compte, le lieutenant Rocco se tenait déjà près de lui et lui saisit le bras.

– Je vous tiens ! s’exclama-t-il avec une satisfaction évidente.

Vous pensiez que vous alliez nous échapper, hein ?

– Ne soyez pas absurde, lieutenant, répondit le Portugais, recouvrant ses esprits. J’ai découvert quelque chose en rapport avec le message du pape sur la vidéo des ravisseurs et j’ai besoin de parler de toute urgence avec le cardinal Barboni. Emmenez-moi immédiatement près de lui, je vous en prie.

Le lieutenant Rocco le poussa.

– Je vous emmène à la cellule qui vous attend dans la gendarmerie ! Vous n’allez pas continuer à vous moquer de moi !

– Arrêtez vos sottises, répliqua Tomás en résistant avec fermeté et autorité. Si vous ne me croyez pas, laissez-moi au moins parler à l’inspecteur Trodela. Lorsque je lui aurai expliqué ce que j’ai découvert, je suis sûr qu’il ne voudra plus me faire arrêter.

L’assurance de l’universitaire déconcerta le gendarme.

– Qu’avez-vous découvert ?

– Ce qu’il faut pour nous mettre sur la piste du pape. Mais je dois d’abord éclaircir certains points avec le cardinal Barboni.

– Le jeune officier de gendarmerie hésitait, car le Portugais paraissait très sûr de lui et, s’il se confirmait que l’historien avait dit la vérité, il pourrait en pâtir. Après tout, celui qui avait donné l’ordre d’arrêter l’universitaire était le responsable de la police judiciaire. Qu’avait-il à perdre en consultant l’inspecteur Trodela ? Autant transférer la responsabilité à son supérieur.

Il colla son talkie-walkie à la bouche et parla.

– Ici check-point de la porte Sainte-Anne pour l’inspecteur Trodela, dit-il. J’appelle l’inspecteur Trodela.

On entendit un grésillement dans l’appareil et une voix répondit au loin.

– Ici Trodela. Que se passe-t-il ?

– Je suis avec le professeur Noronha, près de la porte Sainte-Anne. Il dit qu’il a fait des découvertes concernant le message de Sa Sainteté. Il veut parler avec vous et avec Son Éminence. Que dois-je faire ?

La réponse ne se fit pas attendre.

– Cazzo ! jura l’inspecteur. Ce stronzo est avec vous ? Arrêtez-le et ne me cassez plus les pieds avec ce déséquilibré ! J’en ai assez de perdre mon temps avec ces conneries !

L’ordre était clair. Rassuré, le lieutenant Rocco rangea son talkie-walkie et attrapa les menottes qui étaient accrochées à sa ceinture ; il ne commettrait pas une deuxième fois l’erreur de laisser le suspect les mains libres.

– Cette fois, vous allez vraiment finir au violon.

S’il était enfermé dans la cellule de la gendarmerie du Vatican, Tomás perdrait toute possibilité d’éclaircir l’affaire avant minuit. Il secoua brusquement la main du jeune officier.

– Non !

Parvenant à se libérer, il tourna les talons et se mit à courir vers la via di Porta Angelica, passa devant les gendarmes qui gardaient la porte Sainte-Anne et sauta en direction des carabiniers.

– Arrêtez-le ! cria le lieutenant Rocco. Ordre de la police judiciaire !

Les policiers italiens mirent un court moment à réagir, mais ce fut suffisant pour que le Portugais parvienne à sortir dans la rue. L’un des carabiniers réussit cependant à l’attraper par le coude avant qu’il ne se perde parmi la foule.

– Je le tiens !

Tomás disposait d’à peine trois secondes avant que les autres militaires ne viennent prêter main-forte à leur camarade, il plia alors le bras et, en un mouvement inattendu de recul, donna un coup de coude dans le visage de l’Italien.

– Aïe !

Par réflexe, le carabinier le lâcha et le fugitif, commettant la prouesse de lui demander pardon au milieu de toute cette confusion, plongea dans la foule.

– Scusate !

– Arrêtez-le !

 

La marée humaine envahissait la via di Porta Angelica, tout comme les autres voies d’accès à la place Saint-Pierre, ce qui pouvait être un avantage. Tomás pourrait certes se cacher dans cette masse et disparaître dans la foule, mais ces milliers de corps constituaient aussi une barrière qui allait compliquer son évasion.

– Gesù ! s’exclama une Italienne lorsque Tomás la bouscula dans sa fuite. Que se passe-t-il ?

– Scusi.

– Attention ! protesta une autre. Regarde où tu mets les pieds !

– Scusi.

– Madonna ! Ne me poussez pas !

– Scusi.

Tous se plaignaient lorsque le Portugais les bousculait dans son effort désespéré pour se frayer un passage et s’échapper ; il n’avait pas d’autre solution. On entendait les sifflets de la police et des ordres qui fusaient au loin.

– Giancarlo et Stefano, rattrapez-le ! criait un officier des carabiniers. Amato, contacte immédiatement le commandement ! Qu’on boucle la via di Porta Angelica et qu’on demande aux hélicoptères de surveiller le suspect. Ne le laissez pas s’échapper !

– Tomás comprit avec inquiétude que la confusion s’amplifiait. L’incident à la porte Sainte-Anne avait été mal interprété par les carabiniers qui croyaient que le fugitif était impliqué dans l’enlèvement du pape. Personne ne savait que tout venait simplement de l’irritation d’un inspecteur de la police judiciaire. Et quand les choses s’éclairciraient, il serait trop tard.

Mais était-ce seulement le fruit de l’irritation de l’inspecteur Trodela ? Le doute assaillit l’historien. Soudain, sorti de nulle part, un homme l’immobilisa.

– Je te tiens, bandit !

Tomás pensa que c’était un policier, mais il s’aperçut avec soulagement que ce n’était pas le cas ; il ne s’agissait que d’un simple citoyen qui, voyant les carabiniers poursuivre un suspect et considérant qu’il devait accomplir son devoir, avait décidé d’intervenir.

Très vite pourtant, le soulagement de Tomás se transforma en inquiétude, puis en effroi, car cette intervention signifiait une seule chose.

La foule était contre lui.