Tomás se hissa vers la pioche qu’il avait enfoncée dans le mur et, en une succession de mouvements frénétiques, il monta encore d’un mètre. Il posa la pointe des pieds sur les briques en saillie qui formaient une espèce d’escalier vertical, minuscule certes mais suffisant pour trouver un équilibre et avancer.
– Sois prudent, Alfredo ! cria l’un des carabiniers, de plus en plus proche. Le type doit être armé et il peut nous attendre !
Le trou aménagé dans les entrailles du Palais apostolique se trouvait juste au-dessus de la tête de Tomás. Il avait quelques secondes pour y parvenir ; il pourrait s’y cacher et demeurer invisible.
– Il vaudrait mieux appeler le commandant, non ?
– Oui, tu as raison, appelle-le.
Tomás était face à deux nouveaux problèmes. Le premier était de devoir escalader dans l’obscurité.
– Unité Tango appelle Alfa, dit le carabinier, toujours plus proche. Tango appelle Alfa.
Le second problème, c’étaient les parois du trou, qui ne présentaient pas les mêmes aspérités que les murs du souterrain.
Comment escalader dans de telles conditions ?
– Allô Alfa ? insista le même carabinier. Tango appelle Alfa. J’écoute.
Le bruit des pas s’amplifiait. Les militaires approchaient. Et c’était devenu le plus urgent de tous ses problèmes.
– Porca Madonna, protesta l’un des carabiniers. Personne ne répond.
– Laisse tomber, répondit l’autre. Regarde, on dirait que le chemin s’élargit là-bas. Restons prudents, il peut être caché par là.
À ce moment-là, tout ce que Tomás voulait, c’était entrer dans le trou, coûte que coûte. Il utilisa le peu de temps qui lui restait à creuser, à l’aide de la pioche, une petite fente dans la paroi, juste au-dessus de l’ouverture, et il y posa le pied droit. Il tâtonna et sentit les bords de l’entrée creusée dans le plafond. Il enfonça profondément la pioche, se pendit à la corde et se hissa jusqu’à ce qu’il parvienne enfin à se glisser dans le trou.
L’odeur y était infecte, presque insupportable, mais il avait réussi à se dissimuler à temps. Pour le reste, il verrait plus tard. Il regarda en bas et distingua la lueur des torches qui scrutaient le fond du tunnel. Les carabiniers étaient arrivés et inspectaient les lieux.
– Je ne vois personne.
« Bien sûr, en bas il n’y a personne », pensa Tomás. Seulement, s’ils décidaient de diriger leurs torches vers le haut, ils le découvriraient et tout serait perdu.
– Pouah, quelle puanteur ! se plaignit l’un des policiers. Quel est le porc qui est venu se soulager ici ?
– Ça doit être notre fuyard. Il a dû se chier dessus de trouille. Ils éclatèrent de rire.
– Très drôle, fit remarquer son compagnon. Non, sérieusement, d’où peut venir cette odeur ?
– Ça doit être les rats…
– Quels rats, espèce de naze ! Tu ne vois pas que ça sent la merde ? Quelqu’un est venu faire ça là ! C’est dégoûtant !
Les lueurs des lampes sautillaient d’un endroit à l’autre, explorant tout l’espace alentour.
– Je ne vois rien.
– Ce sont sûrement les égouts, dit le second, en dirigeant la torche vers les murs du tunnel. Il doit y avoir des tuyaux par ici…
La position dans laquelle se tenait Tomás n’était guère confortable et la puanteur des canalisations n’était pas agréable non plus. Mais le plus difficile, c’était de rester silencieux et immobile pendant si longtemps. Le dos appuyé contre un côté du trou et les jambes exerçant une pression sur le côté opposé, il n’allait pas pouvoir tenir bien longtemps. Il commençait déjà à sentir des fourmis dans ses membres inférieurs.
– Non, il n’est pas ici, conclut l’un des carabiniers, mettant ainsi un terme à la ronde. Andiamo, Alfredo ! Allons-nous-en.
– Mais alors, et le portail ? demanda l’autre. Tu n’as pas vu la serrure ? Quelqu’un l’a brisée.
– C’est vrai, mais c’était peut-être il y a longtemps.
– Comment peux-tu le savoir ?
– Ces tunnels ont été construits pendant la Seconde Guerre mondiale, Alfredo. Depuis, ils n’ont pas servi. À mon avis, celui qui a cassé la serrure l’a fait il y a très longtemps.
– Et les bruits que nous avons entendus tout à l’heure ? On aurait dit un chalumeau…
– Ça doit être les travaux sous la basilique. Les ingénieurs n’ont-ils pas interdit l’accès aux catacombes, par crainte que la structure ne résiste pas ? C’étaient probablement les ouvriers qui renforçaient les étais. Ça m’étonnerait que notre suspect traîne par ici avec un chalumeau, tu ne crois pas ?
Sur ces mots, les deux policiers commencèrent à rebrousser chemin. Toujours blotti dans le trou du plafond, Tomás vit les lueurs des torches disparaître et il soupira de soulagement. Il allait enfin pouvoir changer de position.
Il dirigea sa lampe vers le haut et l’alluma pour examiner le chemin qui restait à parcourir. Bien qu’il eût été creusé verticalement, le tunnel s’incurvait légèrement pour suivre le tracé des canalisations, et il se dit qu’il pourrait s’y reposer.
Le dos toujours appuyé contre un côté du trou et les pieds exerçant une pression sur l’autre, Tomás reprit son escalade, tantôt se soutenant avec les épaules et hissant les pieds, tantôt poussant avec les pieds et montant le dos ; il avait l’impression d’être une araignée géante.
– Si ça se trouve, il est parti de l’autre côté du souterrain.
– Si c’est ça, Giancarlo va l’attraper, déclara le second policier. Cet imbécile aurait vraiment de la chance ! S’il lui met la main dessus, il sera même décoré, tu vas voir ! Et si, grâce à lui, on arrive à sauver le pape, on finira par le canoniser !
Ils éclatèrent de rire.
– C’est ça. Il y en a qui ont une chance de cocu, que veux-tu !
Tomás entendit les voix qui s’éloignaient. Les policiers étaient toujours dangereusement près, mais de toute évidence ils avaient abandonné leurs recherches. Le Portugais commençait à se détendre, s’il ne faisait pas de bruit, il s’en sortirait. Et dans trois ou quatre minutes, il pourrait même faire tout le bruit qu’il voudrait, car ils seraient suffisamment loin. Le plus important était sans aucun doute…
Soudain, une musique assourdissante se fit entendre.
Merde, manquait plus que ça… Son téléphone portable s’était mis à sonner.