Tomás resta une minute adossé à la paroi du tunnel, haletant et épuisé. Les deux carabiniers avaient encore tiré trois coups de feu dans sa direction, mais la courbe était suffisamment prononcée pour le mettre à l’abri des balles. Tout cela était allé beaucoup trop loin, se dit-il, mais quand le vin est tiré, il faut le boire.
Les policiers scrutaient le tunnel avec leurs torches pour tenter de le localiser, mais ils comprirent rapidement que le fugitif était hors de portée.
– Appelle le capitaine Rizzi, suggéra l’un d’eux. Si le type parvient aux appartements du pape, ça risque d’être terrible.
Toujours haletant, Tomás écoutait la conversation, il devait reprendre son escalade le plus vite possible. Une fois les forces de sécurité alertées, l’ouverture du tunnel serait bloquée et il n’aurait plus aucune issue.
– Unité Tango à Alfa, dit un carabinier. Tango appelle Alfa.
Le Portugais alluma sa torche et la dirigea vers le haut afin d’évaluer le chemin qui lui restait à parcourir. Il avait gravi l’équivalent d’un étage et il en restait encore deux. Ça ne serait pas simple. Cependant, le commando ayant creusé le tunnel pour pouvoir l’escalader, une série de petits trous avaient été pratiqués dans les parois qui pouvaient servir d’appuis pour les pieds et les mains.
– Répondez, Alfa. Tango appelle Alfa.
Respirant profondément pour récupérer son souffle et trouver le courage nécessaire, Tomás souleva son corps endolori et, posant un pied dans l’une de ces entailles et les mains dans une autre, il se hissa au-dessus de la courbe du tunnel. Ce faisant, il détacha quelques petites pierres, qui glissèrent jusqu’en bas.
– Tango appelle Alfa, vous m’entendez, Alfa ? Tango appelle…
– Attention, Alfredo, interrompit son camarade. Il continue de monter. Regarde, le type a une torche et il monte vers les appartements du pape. Il faut avertir nos gars.
– Je fais ce que je peux, Fabrizio, rétorqua l’autre. Tu ne vois pas que j’essaie d’appeler le poste du capitaine Rizzi ?
– Mais le talkie-walkie ne fonctionne pas. Nous sommes dans un souterrain !
– Et alors, que veux-tu que je fasse ?
– Utilise ton portable.
– Et tu crois qu’il y a du réseau, stronzo ?
– Mais son portable a sonné tout à l’heure…
– Il doit y avoir du réseau là-haut. Mais ici, il n’y en a pas.
Un court silence s’installa pendant que les Italiens envisageaient différentes options. Enfermé dans le tunnel, Tomás avait déjà gravi un mètre.
– Il faut sortir d’ici pour avertir le capitaine Rizzi.
– Et il faut qu’on interroge ce type pour savoir où se trouve le pape.
– Alors tu restes ici et tu le surveilles pendant que moi j’y vais.
– Va bene, acquiesça son camarade. Vas-y et reviens vite. Dis-leur d’envoyer des renforts.
Les pas du carabinier qui s’éloignait résonnèrent dans le souterrain et parvinrent jusqu’au fugitif, qui se mit aussitôt à échafauder des plans.
Il n’avait pas beaucoup de temps. L’Italien mettrait tout au plus cinq à dix minutes pour sortir, mais dès qu’il aurait du réseau, il alerterait ses supérieurs. Ceux-ci feraient évacuer le Palais apostolique et tout serait perdu. Il devait les prendre de vitesse.
Ses muscles toujours endoloris, mais ragaillardi par sa courte pause, Tomás montait plus facilement grâce aux fentes creusées dans la paroi ; il avait réussi à accélérer son rythme. Mais il avait l’impression que cette course infernale ne finirait jamais. Un sprint succédait à un sprint et à un autre ; c’était comme s’il courait sans arrêt pour atteindre la ligne d’arrivée en pensant que son effort allait s’achever, mais lorsqu’il y arrivait, il devait à nouveau courir un cent mètres, puis un autre, et ainsi de suite. Il était exténué et seule l’adrénaline le faisait progresser. Quand se terminerait ce cauchemar ?
Il ne savait pas combien de temps s’était écoulé ; deux minutes, cinq, dix, vingt ? Il l’ignorait. L’effort et la concentration lui avaient fait perdre la notion du temps, mais, persévérant dans son effort, posant un pied ici et une main là, escaladant encore et encore comme s’il avait cessé d’être un homme et était devenu un automate, il parvint enfin en haut du tunnel pour constater que la cuvette des W.-C. bloquait la sortie. La police avait-elle déjà été alertée et l’attendait-elle en haut ? Ou avait-il été plus rapide que le carabinier qui était parti informer ses supérieurs ?
Il n’y avait qu’une manière de le savoir.
– Encore un effort, murmura-t-il haletant, pour se donner du courage. Encore un petit peu…
Il examina la cuvette en céramique qui bouchait l’extrémité supérieure du tunnel. Il eut envie de la briser à coups de pioche, mais cela ferait beaucoup trop de bruit et risquerait d’effrayer le cardinal Barboni. Le mieux était de faire comme le commando islamique : si les ravisseurs étaient arrivés à passer par là sans que personne s’en aperçoive, lui aussi y parviendrait.
Il se cala fermement contre les parois du tunnel et, prudemment pour ne pas perdre l’équilibre, il poussa vers le haut. La cuvette en céramique était lourde, mais pas autant qu’il le pensait, et il parvint à la faire bouger. Il se plaça de manière à la soutenir avec le dos et, exerçant une pression, il tenta à nouveau.
La cuvette se souleva et la lumière du soleil qui inondait la petite fenêtre des toilettes pénétra dans le tunnel. Il avait réussi.