L’image de l’homme à la soutane pourpre en larmes émut l’universitaire portugais. Le puissant secrétaire d’État du Saint-Siège, la personnalité qui, en l’absence du pape, devait assumer toutes les responsabilités du gouvernement de l’Église, l’ecclésiastique qui exercerait formellement le rôle de camerlingue lorsque le souverain pontife aurait été décapité, était un homme brisé par l’angoisse face aux événements incroyables qui se déroulaient dans le monde et dont l’épicentre était le Vatican. Le pire n’était pas encore arrivé, et tout allait reposer sur ses épaules. Comment ne pas se sentir écrasé par la peur devant une telle épreuve ?
La scène était à ce point intime que Tomás hésita à franchir la porte. Le secrétaire d’État, avec son air bon enfant et son regard affectueux, était un personnage sympathique et il ne voulait pas lui faire peur. Mais alors qu’il rassemblait son courage et s’apprêtait enfin à apparaître, un homme maigre ouvrit la porte de la bibliothèque et fit irruption dans la pièce, l’air effrayé ; c’était le majordome du pape.
– Éminence ! cria-t-il, très agité. Nous devons sortir d’ici au plus vite !
Gêné d’avoir été surpris dans un moment de faiblesse, le cardinal sécha rapidement ses larmes et retrouva sa contenance.
– Mon Dieu, Giuseppe ! que se passe-t-il ?
– La police vient de téléphoner, Éminence révérendissime. Nous devons quitter immédiatement les appartements du pape !
– Et pourquoi ? Que s’est-il passé ?
– Les terroristes, Votre Éminence ! Les terroristes sont ici !
– Ici où ? À Rome ?
– Dans le Palais apostolique !
Le visage du secrétaire d’État se contracta.
– Quoi ?
– Les terroristes sont ici, dans le palais ! répéta le majordome, désespéré. Je viens de recevoir un appel du commandant des carabiniers donnant l’ordre d’évacuer immédiatement le bâtiment. Les gendarmes arrivent, mais Votre Éminence court un réel danger et doit sortir d’ici. Les appartements du pape ne sont plus sûrs !
Le cardinal Barboni se leva, interloqué.
– Ah, mon Dieu, mon Dieu, bredouilla-t-il. Vierge Marie, mère de Dieu, ayez pitié de nous…
– Vite ! dit Giuseppe paralysé par la peur. Ils peuvent arriver à tout moment !
Tomás observait par la porte entrebâillée des toilettes. L’alerte avait été finalement donnée, les gendarmes arrivaient et le cardinal Barboni allait partir.
Il ouvrit la porte et entra dans la bibliothèque privée du pape.
– Éminence ! appela-t-il. Un instant s’il vous plaît !
Les deux hommes sursautèrent, la peur les rendit plus livides encore.
– Professeur ! s’exclama le secrétaire d’État dès qu’il eut recouvré ses esprits. Mais… comment ? Que… que faites-vous ici ?
– Il faut que je vous parle.
Le cardinal échangea un regard avec le majordome, comme s’il lui demandait conseil.
– Éminence révérendissime, supplia Giuseppe, les terroristes… Cela suffit pour persuader le secrétaire d’État.
– Impossible pour l’instant, mon fils, dit-il en haussant les épaules, résigné. Il semblerait que les terroristes soient dans les lieux et la police a donné l’ordre d’évacuer le Palais apostolique. Nous devons…
– C’est moi que la police recherche.
Les deux hommes ouvrirent de grands yeux.
– Vous ? s’étonna le cardinal. Mais non. Elle recherche un terroriste.
– Le terroriste qu’elle recherche, c’est moi.
Les deux hommes dévisagèrent Tomás entre frayeur et incrédulité.
– Professeur, vous êtes un… un terroriste ?
– Non, non ! s’empressa de préciser Tomás. Ce n’est qu’un regrettable malentendu. Depuis une heure, j’essaie de parler à Votre Éminence, mais les choses se sont incroyablement compliquées et une pagaille indescriptible s’est installée.
– Mais…
– Ce que j’essaie de vous dire, c’est qu’aucun terroriste n’est entré dans le Palais apostolique, insista-t-il. C’est moi qui ai tenté de venir ici et, par un concours de circonstances que j’ai moi-même du mal à comprendre mais que l’inspecteur Trodela a déclenché, la police me considère, à tort, comme un terroriste. C’est un invraisemblable cafouillage. Personne d’autre que moi n’a voulu pénétrer dans le Palais apostolique, et votre vie n’est nullement en danger ici, soyez rassurée, Votre Éminence.
Le cardinal ouvrit puis ferma la bouche, sans bien comprendre l’explication.
– Ah, finit-il par balbutier. (Il se tourna vers le majordome du pape.) Mais finalement, que se passe-t-il, Giuseppe ?
Celui-ci ébaucha une mimique qui semblait signifier qu’il ne comprenait rien.
– C’était la police, Votre Éminence. Elle vient de m’appeler pour dire que le bâtiment doit être immédiatement évacué et… On entendit alors des pas approcher, suivis de cris. Tomás échangea un regard inquiet avec le cardinal et le majordome lorsque, en quelques secondes, plusieurs hommes armés envahirent la bibliothèque, le doigt sur la détente de leurs armes automatiques, prêts à ouvrir le feu.