Accompagné par un garde suisse dans son exubérant uniforme qui, contrairement à ce que dit une légende tenace, n’a pas été conçu par Michel-Ange, le cardinal Barboni conduisit le Portugais jusqu’aux jardins du Saint-Siège. Malgré son corps lourd et son souffle court, le secrétaire d’État cheminait d’un bon pas, imposant un rythme soutenu à Tomás, pourtant bien plus jeune que lui.
Ils tournèrent à gauche et passèrent quelques portes qui les conduisirent au Cortile del Belvedere, qu’ils traversèrent hâtivement.
– Vite, dit le cardinal Barboni, haletant mais continuant à marcher d’un pas vif. Nous sommes en retard.
– Que se passe-t-il, Éminence ?
– Il nous attend.
Il n’expliqua pas qui les attendait et Tomás, absorbé par d’autres préoccupations, ne le demanda pas. Il avait emporté le sac avec les ossements retirés du loculus du mur des graffitis, et il décida d’expliquer au secrétaire d’État ce qui s’était passé dans la matinée. Pendant qu’ils marchaient, il lui raconta leur découverte dans la nécropole. Il conclut son exposé en lui montrant le sac qui contenait les ossements et lui révéla ce qu’il croyait avoir réellement trouvé.
– Éminence, ce sont les restes de l’apôtre Pierre.
Il disait cela alors qu’ils se trouvaient sous la tour Borgia et se préparaient à entrer par une porte qui les mènerait aux bâtiments situés autour du Cortile di San Damaso. À ces mots, le cardinal Barboni s’arrêta net et le dévisagea avec perplexité, se demandant s’il avait bien entendu.
– Que dites-vous ?
– Ce sont les restes de Pierre. Je parle du compagnon de Jésus, le pêcheur, dont on a dit qu’il serait la pierre sur laquelle serait bâtie l’Église et qui devint le premier pape.
– Saint Pierre ?
Comme s’il montrait un trophée, Tomás leva le sac pour le montrer au secrétaire d’État du Saint-Siège.
– Oui. Ses propres os sont ici.
Regardant le ballot avec des yeux incrédules, le cardinal Barboni eut comme une révélation. Il s’agenouilla aussitôt et fit le signe de croix devant le sac.
– Madonna mia ! (Lorsqu’il eut fini, il se releva et, assailli par le doute, dévisagea l’historien.) Vous en avez la certitude, mon fils ?
– Quasi absolue. Ces restes ont été retirés d’une niche revêtue de marbre dans le mur contigu au trophée de Pierre. Par terre, à proximité, j’ai trouvé un fragment du mur rouge avec l’inscription, en grec, Petrus eni, c’est-à-dire « Pierre est ici ». Que faut-il en conclure ?
Cette fois le secrétaire d’État se signa lui-même.
– Très Sainte Vierge ! Mais c’est… c’est extraordinaire.
– Il va de soi que les ossements doivent à présent être analysés en laboratoire pour confirmation. S’il est établi qu’ils appartenaient à quelqu’un correspondant à ce que nous savons de Pierre, nous aurons alors un maximum de certitudes, compte tenu des circonstances. C’est pour cette raison que j’aimerais confier ces échantillons au laboratoire pour analyse avant d’aller là où Votre Éminence veut m’emmener.
– Ah, vous n’avez donc pas de certitude absolue et il faut encore faire des tests…
– Bien sûr. Imaginez que les analyses révèlent que les restes mortels appartiennent à une femme ou à un jeune garçon, par exemple. Dans ce cas, on saura qu’il ne peut pas s’agir de Pierre. Il nous faut confirmer ce qu’il est possible de confirmer.
Le cardinal Barboni regarda pensivement le sac contenant les ossements.
– Écoutez, mon fils, gardons cela pour nous, vous voulez bien ? Il s’agit d’une découverte trop importante pour que l’on suscite un espoir qui, ensuite, se révélerait infondé. Cela serait très fâcheux, voire contre-productif. Nous serions la risée du monde entier. Ces ossements seront d’abord envoyés au laboratoire. S’il se confirme qu’ils appartiennent effectivement à un homme qui correspond à ce que nous savons de saint Pierre, alors nous pourrons l’annoncer. (Il mit le doigt sur la bouche.) Mais d’ici là, il ne faut surtout pas créer d’espoir prématuré.
– Soyez rassuré, je n’en parlerai à personne.
Le secrétaire d’État leva l’index, pour souligner combien il importait de garder le silence sur la découverte tant qu’il n’y aurait pas de certitude absolue.
– Ni même au pape, vous entendez ?
Tomás sortit de sa poche la feuille sur laquelle il avait pris des notes et la montra à son interlocuteur.
– Voici la liste des examens qui devront être faits en laboratoire. Pourrions-nous y passer pour leur remettre les échantillons ?
Prenant le papier, le cardinal recommença à marcher, entraînant Tomás et le garde suisse à sa suite.
– Je crains qu’on ne puisse y aller pour le moment, dit-il sur un ton péremptoire, comme quelqu’un que rien ne pouvait éloigner de son objectif. Nous sommes déjà en retard et la réunion à laquelle nous avons été convoqués est d’une importance absolue.
– Plus importante que de s’assurer que ces ossements sont effectivement ceux de l’apôtre Pierre ?
L’ecclésiastique hésita. Du point de vue théologique, rien, en effet, n’avait plus d’importance qu’une telle découverte. En outre, quel coup l’Église catholique porterait à ses rivales protestantes et orthodoxes si, après avoir démontré que les catacombes sous le Vatican abritaient depuis plus de deux mille ans le principal compagnon de Jésus, elle pouvait à présent exhiber ses restes mortels !
– Hervé ! appela-t-il en se tournant vers le garde suisse qui les accompagnait. Lorsque tu nous quitteras au Palais apostolique, tu remettras ce sac à l’estafette afin qu’elle le porte au laboratoire de l’université de Rome, entendu ? (Il lui tendit la liste établie par Tomás.) Qu’ils fassent les analyses demandées par le professeur Noronha. N’oublie pas de préciser à l’estafette de demander un reçu. Si on la questionne sur ces ossements, qu’elle ne dise rien.
Le garde acquiesça.
– Oui, Éminence.
– Elle pourra néanmoins préciser qu’il s’agit probablement des plus importantes reliques jamais découvertes sur notre planète, afin qu’ils en prennent le plus grand soin. Je veux qu’on me donne un profil détaillé de la personne à laquelle appartenaient ces ossements, tu comprends ?
– Bien sûr, Éminence.
Un détail dans les propos du cardinal Barboni intrigua le Portugais.
– Nous avons rendez-vous au Palais apostolique ? s’étonna-t-il. N’est-ce pas là que vit le pape ?
– Les appartements du pape se trouvent en effet au troisième étage du Palais apostolique.
Le palais était un bâtiment imposant, qui jouxtait la basilique et donnait sur la place Saint-Pierre. Il servait traditionnellement de résidence au souverain pontife, mais les étages restants avaient d’autres fonctions ; s’y trouvaient notamment les bureaux du Saint-Siège ainsi que les appartements Borgia, confiés aux musées du Vatican. Aurait-on besoin de lui aux musées ?
– Ah. Et qui allons-nous rencontrer ?
Le secrétaire d’État était si pressé qu’il ne regarda même pas son interlocuteur lorsqu’il lui répondit.
– Sa Sainteté révérendissime.
– Sa… qui ?
C’est alors que le cardinal Barboni se tourna vers l’historien et, de son air affable et plein de bonhomie, il lui annonça :
– Le pape.