LXXXV

En découvrant le résultat, Tomás fit une moue de désillusion. Il s’était attendu à un nom, une grande révélation, quelque chose d’étonnant, voire de fascinant, mais ce qui lui apparut, écrit de sa propre main sur le bloc-notes, était bien loin de tout cela.

FATTURE

Fatture ?

Était-ce là le véritable nom d’Omissis ? Le mystérieux titulaire du compte de l’IOR à la Fondazione Cardinale Francis Spellman s’appelait Fatture ? Était-ce vraiment la personne dont les ravisseurs du pape voulaient protéger l’identité à tout prix ? Fatture ? Était-ce un patronyme ?

Il envisagea encore une fois la possibilité d’une erreur de déchiffrage. Peut-être n’avait-il pas trouvé le bon mot ? Mais il écarta rapidement cette éventualité ; de toute évidence c’était la bonne solution. Quelle était la probabilité qu’un mauvais décodage ait pour résultat un mot qui existât vraiment ? Fatture était bel et bien un mot, qui signifiait « factures » en italien.

Le problème, c’est qu’il n’avait jamais entendu un tel nom. Personne ne s’appelait « M. Factures ». Il n’avait jamais rencontré un Jean Factures, à moins bien sûr qu’il ne s’agisse d’un surnom.

Mais personne ne se serait donné tout ce travail pour coder un surnom. Le mieux était de se mettre à la place de l’auteur du code. S’il avait choisi le mot « factures » pour qu’il soit enregistré sur le document d’ouverture du compte de la Fondazione Cardinale Francis Spellman, pour quelle raison l’aurait-il fait ? Ça ne pouvait être que pour…

Son regard s’illumina.

– C’est ça ! murmura-t-il. C’est ça !

Tout comme le G entre parenthèses, fatture était un indice. L’auteur du code utilisait le mot « factures » pour mettre sur la voie de la véritable identité d’Omissis.

Fatture était une information. Mais une information sur quoi ? Tomás continuait à penser que ça ne concernait pas l’identité d’Omissis. Et s’il s’agissait du lieu où était cachée cette identité ? En y réfléchissant bien, il se persuada que cette possibilité était la plus probable. Oui, c’était sans doute ça. Le véritable nom de la personne qui se cachait derrière Omissis devait figurer sur une facture ! Ça ne pouvait être que ça.

Il hésita. Stricto sensu, et comme il l’avait déjà constaté, fatture ne signifiait pas « facture », mais « factures », au pluriel. L’identité d’Omissis se cachait-t-elle dans plusieurs factures ? Lesquelles ? Où les trouver ?

Il jeta un œil sur la table. Au milieu de tous ces documents, il y avait peut-être un dossier consacré exclusivement aux factures de l’IOR.

Il se pencha à nouveau sur les chemises empilées dans le coin du bureau, celles qu’il n’avait pas consultées de prime abord, et il se mit à lire les titres écrits sur la couverture, les écartant les uns après les autres. Sur l’une, on pouvait lire « Électricité », sur une autre « Eau », ou encore « BCE », qui portait sans doute sur les relations entre l’IOR et la Banque centrale européenne, une autre indiquait « Ernst & Young », certainement des rapports d’audit, et ainsi de suite.

Enfin, arrivé à la dernière partie de la pile, il découvrit sur la couverture d’une chemise le mot qu’il cherchait.

« Fatture ».

Le dossier des factures existait vraiment. Tomás était sur la bonne piste. Il soupesa le dossier. Comme la plupart des autres, il était volumineux. Il l’ouvrit et commença à feuilleter les documents qui s’y trouvaient. Il s’agissait pour l’essentiel de factures concernant de menus services et des achats de matériel pour l’IOR. Il y avait ainsi celles d’un charpentier et d’un plombier, celle correspondant à l’achat de deux tables et d’un buffet, une autre encore pour la fourniture de 200 caisses d’eau minérale, et une quantité d’autres pour l’acquisition de divers objets. Apparemment, dans ce dossier n’étaient conservées que des factures pour des achats de peu de valeur, qui ne nécessitaient pas une chemise spécifique.

À vrai dire, il ne savait pas ce qu’il cherchait. Examinant les factures les unes après les autres, il espérait tomber sur un détail étrange, une référence inhabituelle, quelque chose qui sortirait de l’ordinaire, mais il n’avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait être. Tomberait-il sur une facture signée par Omissis ? Et comme il était très improbable qu’Omissis l’eut signée de son nom de code, comment saurait-il que le nom figurant sur la facture était celui du mystérieux titulaire du compte de la Fondazione Cardinale Francis Spellman ?

Sans réponse à ces questions, Tomás se contenta de suivre son plan : examiner une facture, déterminer si un détail anormal pouvait renvoyer à Omissis, et passer à la suivante. Après un certain temps, il agissait comme un automate, et de plus en plus vite. Il y avait tellement de factures et il disposait de si peu de temps, qu’il finit par se décourager.

Il avançait rapidement, mais rien d’extraordinaire n’apparaissait. Il se prit à douter. S’était-il à nouveau fourvoyé ? Quelque chose lui avait-il échappé ? Si ce n’était pas ça, qu’est-ce ça pouvait bien être ? Pourquoi diable avait-on codé le mot fatture ?

Il n’y avait pas d’autre solution. S’il s’était trompé et si le dossier était une fausse piste, il ne voyait pas où le mot fatture pourrait le conduire. Il ne pouvait s’agir que d’une référence au dossier des factures, pensa-t-il, confondant ses désirs et sa capacité d’analyse. Il fallait que la solution soit dans ce dossier.

Et pourtant. Il avait beau examiner facture après facture, de plus en plus vite, rien n’apparaissait. Si ça se trouve…

Il s’arrêta.

Ce qu’il tenait entre ses doigts fébriles n’était pas une facture comme les autres, mais un document au nom du compte de la Fondazione Cardinale Francis Spellman. Il prit la feuille et l’examina attentivement. Il s’agissait d’une fiche imprimée à partir d’un système informatique et probablement cachée dans ce dossier pour une raison précise. Examinant attentivement la feuille, Tomás y découvrit la référence « Key2 », imprimée automatiquement : probablement le logiciel de comptabilité utilisé par l’IOR.

Le nom de la personne qui avait imprimé cette fiche avait également été enregistré automatiquement : Renato Dardozzi.

Plus intéressantes, en revanche, étaient les données mentionnées sur la fiche relative au compte. Y figuraient le nom de l’institution bancaire où se trouvait le compte, l’Istituto per le Opere de Religione, la date du 15 juillet 1987, jour d’ouverture du compte, ainsi que sa désignation, Fondazione Cardinale Francis Spellman, et son numéro 001-3-14774-C.

 

La partie la plus importante, toutefois, se trouvait plus bas. Il s’agissait des noms des deux personnes autorisées à effectuer des opérations sur le compte, et de leurs signatures respectives. Le premier était monseigneur Donato De Bonis, ce que savait déjà le Portugais.

Débordant de curiosité, Tomás posa les yeux sur la seconde signature. Oui, la véritable signature d’Omissis figurait bien sur ce document, oui, elle était reconnaissable et oui l’historien connaissait cette personne. Son cœur fit un bond et il suspendit sa respiration quelques instants, conscient que tous les Italiens seraient sidérés.

Andreotti, Giulio

Il avait identifié Omissis.