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Ignorant l’interdiction, il contourna la barrière, emprunta l’escalier qui descendait aux catacombes et se lança dans une course effrénée. Il ne pensait pas arriver à temps mais, jusqu’au dernier moment, il n’abandonnerait pas.

 

Deux minutes.

En réalité, deux minutes moins quelques secondes.

 

Il passa par les structures constantiniennes, situées immédiatement sous la basilique actuelle, et descendit jusqu’au niveau pré-constantinien, celui des catacombes et du cirque de Caligula. Ce matin même, il y cherchait les ossements de saint Pierre, mais il avait l’impression que c’était il y a des années, que ça s’était passé dans une autre vie.

 

Il consulta sa montre.

Une minute et trente secondes.

 

Il avait l’impression de s’asphyxier tant il avait chaud, les poumons brûlants et les muscles endoloris par les efforts accomplis durant cette folle journée. L’anxiété renouvelait pourtant son énergie et, ignorant la fatigue accumulée, il zigzagua à toute vitesse entre les diverses chambres et niches, parcourant les clivi successifs en se cognant aux parois abîmées des vieilles catacombes chrétiennes, passant par des ouvertures en opus reticulatum, se baissant pour franchir un passage bas, empruntant un couloir étroit, franchissant une porte entrouverte, évitant un tumulus, sautant par-dessus un autre, montant et descendant des marches ingénieusement ménagées dans les murs, accélérant dès qu’il le pouvait et freinant chaque fois que c’était nécessaire.

 

Sa respiration était devenue haletante, son corps lui faisait mal, sa vision se troublait, brouillée par un tourbillon de mouvements incessants. Il sentait qu’il pouvait défaillir à tout moment. Son corps l’implorait d’arrêter, de se reposer, de tout abandonner et de le laisser en paix. Mais, chez Tomás, c’était la tête qui commandait et, obstiné, se sentant si près du but, il se força à continuer.

Il regarda encore sa montre.

 

Une minute.

 

C’était comme disputer une course d’obstacles dans un labyrinthe semé d’embûches, la nécropole étant truffée de vieilles pierres et de passages qui se révélaient des impasses. Mais, ayant tant de fois parcouru les lieux ces derniers jours, il s’était familiarisé avec tous ses recoins, ses pièges et ses chausse-trappes. Les catacombes étaient mal éclairées ; seules quelques lampes jaunâtres conféraient à l’espace une atmosphère fantomatique. Il regretta de ne pas avoir eu le temps de se munir d’une lampe torche. Ce qui l’aidait c’était l’aisance avec laquelle il évoluait dans ce lieu, comme si l’ancienne nécropole était sa propre maison et qu’elle n’avait aucun secret pour lui.

 

Pour la énième fois, il regarda sa montre.

Trente secondes.

 

Il n’y arriverait pas. Dans la matinée, il avait cherché parmi ces ruines les ossements de Pierre, du premier pape, et il avait fini par les trouver dans un obscur entrepôt du Vatican. Ce soir pourtant, il n’allait pas parvenir à sauver le dernier pape. Il restait encore quelques mètres et le temps était pratiquement écoulé. Par ailleurs, il ne suffisait pas d’arriver au trophée de Pierre et de délivrer le pape. Ce n’était hélas pas aussi simple.

Le défi était immense et tout jouait contre lui. Seul, il lui faudrait faire face à un commando d’hommes entraînés dans des camps en Syrie, en Irak, en Libye ou ailleurs. N’avait-il donc jamais vu, dans d’innombrables vidéos plus horribles les unes que les autres, ce dont étaient capables ces terroristes ? Sans l’aide de la police, la décision d’affronter des hommes aussi dangereux représentait un acte extrêmement audacieux, pour ne pas dire insensé. Mais il ne voulut pas y penser. Le moment venu il réagirait, il avait confiance en sa capacité d’improvisation.

 

Encore un coup d’œil sur sa montre.

Minuit.

 

Son dernier espoir s’évanouissait et le pire des scénarios était devenu effroyablement réel. Il n’arriverait pas à temps et les prophéties de Malachie, de Fátima et de Pie X sur l’assassinat du pape allaient effectivement se réaliser.

 

Mais il ne renonça pas.

 

Essoufflé, dégoulinant de sueur, Tomás dépassa le dernier angle du couloir de la nécropole. S’effondrant presque de fatigue et négligeant les plus élémentaires précautions, il reconnut l’étroite ouverture ménagée dans un mur comme la dernière barrière avant l’inconnu qui l’attendait, et il se jeta littéralement dessus.

 

Il s’étala de tout son long de l’autre côté et se cogna contre des ruines, déchirant ses coudes et ses genoux. Sa course était finie. Déconcerté, il toucha ses membres pour évaluer les dégâts causés par sa chute et se tranquillisa : il avait dû s’écorcher mais, apparemment, il ne s’était rien cassé.

Il entendit des voix.

Effrayé, il leva la tête et constata qu’il était arrivé au champ P, là où, deux mille ans plus tôt, les restes de saint Pierre avaient été conservés par la première génération de chrétiens. Le lieu lui était familier, mais pas le décor qu’il y trouva. Une partie du champ P, justement celle où se trouvaient les ruines du trophée de Pierre, était illuminée par de puissants projecteurs.

Il regarda attentivement et finit par le voir.

Le pape.