XCII

La scène qui se déroulait dans les ruines du trophée de Pierre n’était pas sans rappeler ces images sinistres que Tomás avait déjà vues à la télévision. Encore allongé là où il était tombé, l’historien distingua un homme vêtu de noir, le visage grossièrement caché par un morceau de tissu, tenant un couteau à la main. Malgré son déguisement, il le reconnut ; c’était le même individu qui l’avait attaqué cet après-midi, dont le nom de guerre était Abu Bakr.

Le djihadiste tenait par la tête son prisonnier, agenouillé devant lui, les mains attachées derrière le dos, à sa merci. Des drapeaux noirs de l’État islamique couvraient en partie le mur rouge derrière les ruines de la tombe du fondateur de l’Église. À la différence des vidéos habituelles, la victime ne portait pas une combinaison orange, mais les traditionnels habits blancs qui permettaient de l’identifier immédiatement.

Le pape.

Deux puissants projecteurs illuminaient la scène. Entre les deux foyers de lumière se tenait un autre homme vêtu de noir, le visage également dissimulé, à côté d’une caméra posée sur un trépied et reliée à un ordinateur ; c’était Ibn Taymiyyah. Il avait un pansement sur le nez et un hématome à l’œil, souvenirs de la blessure que Tomás lui avait infligée quelques heures plus tôt.

Il se préparait visiblement à transmettre des images en direct sur Internet, et Abu Bakr s’était positionné pour procéder à l’exécution, comme il avait annoncé qu’il le ferait à minuit.

 

– Ma hdha ? demanda en arabe le djihadiste qui était à la caméra. Qu’est-ce que c’est que ça ?

L’arrivée soudaine de Tomás n’était pas passée inaperçue. Mais les projecteurs étant orientés vers le trophée de Pierre où se déroulait la scène, le contraste lumineux empêchait de bien voir la partie des catacombes qui n’était pas éclairée, et notamment l’endroit où se trouvait le Portugais. Cela l’avait protégé momentanément.

– Hal hnak shay ! lança Abu Bakr, qui avait le couteau à la main et maintenait le chef de l’Église. Il y a quelque chose là-bas !

Les deux djihadistes mirent leur main en visière pour se protéger de la lumière des projecteurs et essayer d’identifier l’origine du bruit.

– Who’s there ? demanda en anglais celui qui tenait la caméra. Qui est là ?

Tomás comprit qu’ils ne l’avaient pas encore vu. Tirant parti de l’obscurité, il roula sur sa droite et se cacha derrière des ruines.

– Arrête la vidéo, ordonna en arabe celui qui se préparait à décapiter le pape. Tourne les projecteurs par là.

Ibn Taymiyyah obéit et dirigea l’un des projecteurs vers la zone où ils avaient entendu du bruit. Adossé aux restes d’un tombeau, l’historien vit la lumière s’abattre sur l’endroit où il s’était caché et il ne bougea pas, comme s’il s’était lui-même transformé en ruine.

– Kan yumkin na yakun far, déclara celui qui avait manipulé le projecteur, ne distinguant rien d’étrange. C’est sans doute un rat.

– Un rat ne ferait pas autant de bruit, espèce d’idiot ! répondit Abu Bakr. Prends la kalachnikov et va voir ce que c’est.

L’autre obéit. Il alla chercher l’arme qui était posée près de l’ordinateur et, le projecteur à présent dirigé vers la zone suspecte, il avança dans la pénombre, le doigt sur la détente, le canon de son arme pointé devant lui, prêt à ouvrir le feu si une cible se présentait.

Toujours caché, Tomás sentit l’homme approcher. Il comprit que le djihadiste explorait les ruines lentement et méthodiquement, scrutant chaque recoin avec attention. S’il continuait ainsi, le Portugais se dit qu’il ne tarderait pas à être découvert.

Il balaya du regard l’espace autour de lui, ne distinguant que des ruines et des ombres au-delà de la zone illuminée par le projecteur.

L’historien connaissait bien le périmètre archéologique, et il savait que dans cette zone limitée il n’y avait que des restes de tombeaux et de murs. S’il pouvait traverser le mur rouge situé derrière le trophée de Pierre, ce serait différent. Il y trouverait sans aucun doute des endroits plus propices pour se cacher, car dans ce secteur les chambres mortuaires et les mausolées ne manquaient pas, qui feraient d’excellentes cachettes. En revanche, là où il se trouvait, il n’avait pas beaucoup d’options.

Il entendit près de lui le djihadiste qui s’approchait avec la kalachnikov.

– Lays lashy huna, déclara Ibn Taymiyyah. Il n’y a rien ici.

– Mutalabat bitahsin, lui répondit Abu Bakr. Cherche mieux. Ce bruit a été provoqué par quelque chose. Tâche de voir ce que c’est. Tomás suivait la conversation avec anxiété. Il avait bien senti que l’homme armé voulait arrêter de chercher et il avait même eu l’espoir de s’en sortir, mais l’insistance de l’autre djihadiste ne présageait rien de bon.

Il retint sa respiration et se recroquevilla davantage. Il entendit les pas de l’homme juste derrière lui ; il lui semblait incroyable que celui-ci ne l’ait pas encore découvert. Ce qui le sauvait c’était l’ombre qui l’enveloppait.

Et pourtant, ce qui devait arriver arriva.

– Hnak kafir huna ! cria soudainement Ibn Taymiyyah, pointant sa kalachnikov vers Tomás et se préparant à faire feu. Il y a un infidèle ! Je vais le tuer !

C’était la fin.