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« Chère Moira,

Je viens de vivre des jours difficiles et intenses. Ma fille continue sa grève de la faim. Une autre jeune fille, en prison avec elle, a failli mourir il y a trois jours d’un arrêt cardiaque. Elle, au moins, a recommencé à s’alimenter. La bonne nouvelle, c’est que la solidarité avec les prisonniers politiques augmente dans et à l’extérieur du pays. Chaque jour, je reçois des dizaines d’appels et des mails, soit de personnes que je connais, soit de parfaits inconnus qui me disent qu’ils se sont reconnus dans l’attitude des jeunes. Ils me donnent du courage – comme s’ils m’offraient leur cœur.

Je t’avais parlé d’un ami, Hossi Apolónio Kaley, propriétaire d’un petit hôtel, qui envahissait les rêves d’autres personnes. Hossi a été victime d’un attentat. On a tiré sur lui deux coups de revolver. Il est dans une clinique, à Luanda, entre la vie et la mort. Un employé de l’hôtel a été tué en même temps. La police a arrêté l’assassin présumé. Un pauvre diable. Je ne pense pas qu’il soit le véritable meurtrier. Je crois, mais je n’ai pas les moyens de le prouver, que notre police politique est mêlée à ce crime. L’un des jeunes prisonniers est le neveu de Hossi. Mon ami était décidé à le faire sortir de prison, à n’importe quel prix, et peut-être en a-t-il parlé à qui il n’aurait pas dû.

Depuis que Hossi a été hospitalisé, plusieurs patients à la clinique se sont mis à rêver de lui. L’une des rêveuses est son amoureuse, Ava, que Hossi a connue il y a des années, à La Havane. Elle est arrivée à Luanda soudainement, comme tombée du ciel, peu avant que Hossi soit victime de cet attentat. Elle l’a perdu une première fois et elle se refuse à accepter l’idée de le perdre de nouveau. Elle vient à la clinique, s’assied sur une chaise et s’endort. Ainsi, elle peut rêver de lui.

J’ai passé une nuit dans une chambre à côté de celle où se trouve Hossi. J’ai rêvé que j’étais dans un avion, qui survolait un océan immense, avec Hossi à mes côtés, vêtu d’une veste violette, couverte de décorations et de médailles, comme un portier de grand hôtel. Les hôtesses de l’air allaient et venaient en glissant sur des patins. J’étais étonné de les voir si affairées car l’avion était presque vide.

“Heureusement que tu es venu, m’a dit Hossi. Je t’attendais.”

L’une des hôtesses de l’air s’est penchée sur nous. C’était toi, tu portais un chemisier bleu foncé et une jupe de la même couleur. Sur la tête tu avais un énorme turban, imprimé de petits avions jaunes. Tu nous as tendu un plateau couvert d’étoiles de mer : “Goûtez-en une…”

Hossi m’a pris le bras : “Fais bien attention à ce que je vais te dire.”

Ce n’était pas facile parce que, pendant que Hossi parlait, tu as commencé à te déshabiller. “Venez ! as-tu susurré en déboutonnant ton corsage et en enlevant ton soutien-gorge. Nous avons une plage en première classe.”

“Écoute-moi bien, insista Hossi. Concentre-toi sur ma voix. Tu dois aller à l’hôtel. Assure-toi que personne ne te surveille. Il y a une clé cachée derrière la sirène. Ouvre la porte, entre et va dans la salle de bains. Mes journaux sont cachés dans l’armoire, dans une boîte à chaussures. Garde-les.”

Le lendemain matin, je suis allé à Cabo Ledo, à l’hôtel de Hossi, j’ai trouvé la clé, j’ai ouvert la porte, j’ai pris la boîte à chaussures et l’ai emportée avec moi à Luanda. Les journaux sont extraordinaires. Je t’en parlerai une autre fois. Ce que je voudrais maintenant, c’est que tu viennes me retrouver. Je voudrais que tu réussisses à convaincre Hélio de venir aussi. Je voudrais qu’il filme mes rêves, ici, à la clinique. Mes rêves et ceux d’Ava.

L’un des meilleurs amis de Hossi, un avocat portugais qui a pris en charge son hospitalisation et ses soins, est disposé à payer votre voyage.

J’ai plus que des raisons pour vous demander cela, la première étant le besoin de savoir qui a tiré sur mon ami. Pour Hélio ce pourrait être une expérience unique. Qui confirmerait, éventuellement, la capacité qu’ont certaines personnes de se faire rêver par d’autres.

Il existe, bien sûr, la possibilité que j’aie tout inventé d’abord parce que j’ai besoin que tu sois avec moi. J’ai besoin de toi parce que j’ai décidé d’affronter la peur et, chaque fois que tu me prends dans tes bras, je grandis un peu plus et je deviens plus fort. J’ai besoin de toi pour devenir quelqu’un de meilleur.

Un baiser,

Daniel »